Ce débat intervient plus de quatre ans après le fameux tweet dans lequel le Chef de l’État annonçait vouloir « prendre les dispositions nécessaires pour que l’utilisation du glyphosate soit interdite en France », alors que la procédure pour actualiser l’autorisation du glyphosate suit actuellement son cours au niveau européen et que le Gouvernement semble avoir fait le choix d’une stratégie de sortie très progressive du glyphosate, assortie de dispositifs d’aides et d’alternatives en direction des agriculteurs qui s’imposent mais demeurent très insuffisantes à nos yeux.
Nous nous accordons tous, sur ces bancs, sur la dangerosité de cette substance, sur ses effets néfastes sur la santé humaine et sur l’impact indiscutable de la molécule sur la biodiversité – plantes, adventices et insectes. Si ses effets sur la santé humaine sont des objets de controverses, le CIRC et l’OMS ont inscrit, dès 2015, le glyphosate sur la liste des substances cancérogènes probables. À l’inverse, la France, la Hongrie, les Pays-Bas et la Suède, qui constituent le groupe d’évaluation sur le glyphosate, ont réitéré, dans leur rapport de juin dernier, l’affirmation selon laquelle « la classification du glyphosate au regard de la cancérogénicité n’était pas justifiée ». Ils ont donc fait droit aux lobbies industriels et proposé de ne pas modifier la classification existante, se contentant de maintenir uniquement les références aux lésions oculaires « graves ».
Le second constat sur lequel nous nous accordons est celui de l’échec des plans successifs de réduction de l’usage des produits phytosanitaires. Les causes de cet échec sont multiples. Elles ont été étudiées par des chercheurs du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et de l’INRAE : ceux-ci pointent notamment le fait que les actions des pouvoirs publics n’ont ciblé que les agriculteurs et leurs conseillers, sans tenir compte des interdépendances qui relient l’ensemble des acteurs économiques engagés dans la logique de systèmes agricoles, dans lesquels les pesticides jouent un rôle de pivot.
Cet échec résulte aussi de l’aggravation des conditions de la concurrence et de l’absence de volonté européenne et nationale d’accélérer la transition agroécologique. Nous le redisons aujourd’hui, avec force, à l’occasion de l’examen de ce texte : la transformation agroécologique de notre agriculture, par conséquent la réduction très importante de l’usage des intrants et des produits phytosanitaires, est un défi agronomique de grande ampleur qui nécessite des politiques structurelles au plan européen comme national : des garanties de prix des productions, une déspécialisation des territoires, une complémentarité entre systèmes d’élevage et de grandes cultures, des actifs agricoles beaucoup plus nombreux sur tous les territoires. La future politique agricole commune (PAC) et les plans stratégiques nationaux, en cours de finalisation, n’ont toujours pas pris la mesure de cette ambition.
Nous aurions néanmoins tort de laisser croire que nous réglerions à bon compte le problème global de l’utilisation des centaines de produits phytosanitaires auxquels recourt l’agriculture, en interdisant, simplement par la loi, l’usage du glyphosate. Si, comme les disent les derniers travaux d’expertise de l’INRAE, il est possible de se passer de glyphosate dans une majorité de cultures, la situation est plus complexe pour les grandes cultures, car se passer sans délai et totalement du glyphosate en grandes cultures suppose un changement brutal des pratiques culturales, avec un travail du sol renforcé et des labours plus fréquents.
Or, le labour régulier influe fortement sur la structure et sur la dynamique de la vie des sols. À l’inverse, moins on travaille le sol, plus on participe à son bon fonctionnement, à la conservation de ses qualités agronomiques, au stockage de matière organique et de carbone, à l’activité microbienne et à la rétention d’eau.
Il s’agit d’objectifs contradictoires, qui sont parfaitement bien référencés dans les évaluations de l’INRAE. Nous ne pouvons pas faire l’impasse sur ces obstacles techniques, qui concernent notamment tous les agriculteurs engagés en agriculture de conservation ou dans des techniques limitant drastiquement le travail du sol. En tout état de cause, nous ne saurions interdire le glyphosate sans faire valoir – même transitoirement – des exceptions ou des dérogations à cette interdiction, pour les pratiques agricoles écologiquement vertueuses, ni sans laisser le temps aux alternatives d’être développées et appliquées.
Ainsi, si nous comprenons que l’interdiction du glyphosate ait aujourd’hui valeur de symbole dans le combat en faveur d’une transformation de notre modèle agricole, nous aurions aimé que le texte de nos collègues fasse droit à la réalité extrêmement complexe du terrain, en prévoyant des dérogations. Par conséquent, nous nous abstiendrons sur ce texte.