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Industrie verte

D’abord, les cocos ne veulent pas recevoir de leçons. Nous connaissons les entreprises, nous n’avons pas besoin d’aller les visiter, nous vivons avec ; elles sont implantées sur nos territoires. Depuis toujours, nous sommes aux côtés des organisations syndicales et des salariés. Du reste, nous regrettons que vous n’ayez pas pris soin de vous nourrir de leur expertise, dans le cadre de l’élaboration de ce texte.

Nous n’avons pas attendu 2023 pour produire français Dans les années 1970, dans les territoires où vous laminiez l’industrie, étaient collées des affiches indiquant la nécessité de recouvrer la souveraineté par le made in France. Les 2,2 millions d’emplois n’ont pas été perdus par l’opération du Saint-Esprit. Cette perte est le fruit de renoncements successifs ; les libéraux que vous êtes s’inscrivent dans cette continuité. Les traités de libre-échange, les accords de l’OMC (Organisation mondiale du commerce), les traités européens ont instauré une concurrence libre et non faussée, qui joue au détriment de notre tissu industriel. (M. Matthias Tavel applaudit.)

La faillite du site de Florange et celle de certaines usines de Whirlpool, d’Ascoval, d’Arcelor, de Péchiney, ou la liquidation d’Alcatel : il y a des responsables. Les politiques ont laissé faire et les patrons en ont été complices. Ces mêmes patrons arboraient des badges, prétendant créer un million d’emplois grâce aux aides allouées.

J’ai imprimé un schéma des aides allouées aux entreprises. Entre 1979 et 2019, elles sont passées de 9,7 milliards à 156,88 milliards. Le schéma suit la même courbe s’agissant des dépenses de nature fiscale et budgétaire. Malheureusement, les saignées industrielles, qui s’accompagnent de drames humains, ont continué à laminer les territoires et leurs habitants. Tous ces événements sont survenus par idéologie. En effet, Thatcher est passée par là et vous avez affaibli l’État. Vous avez toujours proposé les mêmes solutions : d’une part, les hauts taux au-dessus des totaux, d’autre part, l’efficacité supposée des exonérations.

Aujourd’hui, Emmanuel Macron déclare son amour à l’industrie. On devrait l’appeler Emmanuel Montebourg, et le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique devrait être appelé Bruno de Gaulle ! À entendre le Président de la République, il a réinventé son amour pour l’industrie. Mais, derrière les déclarations d’amour et les paroles, il faut passer aux actes, et c’est un pas que vous peinez à franchir.

D’abord, vous saucissonnez la politique de relance industrielle, en accélérant d’un côté les énergies renouvelables, de l’autre le nucléaire, et en faisant le choix politique de baisser les impôts de production.
Puis, vous renvoyez à l’examen du projet de loi de finances de nombreux sujets stratégiques qui auraient dû être au cœur de ce texte. Mais le pire est ailleurs. Par exemple, vous oubliez qu’avec les impôts, on peut financer des infrastructures ferroviaires nécessaires à la relance industrielle – Hubert Wulfranc en fera la démonstration dans le cadre de la commission d’enquête sur la libéralisation du fret ferroviaire et ses conséquences pour l’avenir – et des services publics efficaces, que les entreprises nous demandent lorsqu’elles font le choix de s’implanter sur un territoire. Bref, vous faites un choix idéologique en considérant que les impôts sont un obstacle à l’implantation d’industries, alors que c’est l’inverse.

Par ailleurs, votre texte brille par l’absence de dispositions relatives à la formation, à l’organisation des filières – inconnues au bataillon –, à la relance de la recherche et développement, au service du développement industriel. Ces lacunes ne sont pas accessoires, mais témoignent de l’approche feutrée des cabinets, qui ne mènent aucun combat dans les territoires et ne mobilisent ni les moyens ni les bras nécessaires.

Pis, force est de constater que ce texte ne permettra pas non plus de réaliser la transition écologique de l’industrie. Il rate l’essentiel. Il ne faut pas une industrie verte : il faut considérer qu’une industrie est verte une fois qu’elle est relocalisée. Il faut verdir l’ensemble des pans de notre industrie, c’est-à-dire investir massivement dans la décarbonation, conditionner les aides des entreprises et soumettre la commande publique à l’objectif de transition écologique en responsabilisant les grands groupes envers leurs sous-traitants. Le texte est sourd et même muet, s’agissant de ces sujets. Comment envisager qu’on puisse atteindre l’objectif d’une souveraineté industrielle verte, alors que 40 % des intrants industriels sont extraits à l’étranger, dans des conditions souvent déplorables sur le plan écologique et social ? Sans régulation du marché, sans protectionnisme intelligent, sans haut niveau de formation, sans investissement massif, il n’est pas d’industrie verte.

Pour conclure, je reviens sur les propos du ministre, qui, pour étayer son discours, a cité le général de Gaulle.
Sous de Gaulle, EDF était forte, ce qui permettait de proposer des tarifs réglementés, au service de la souveraineté industrielle ; la SNCF était unifiée, ce qui garantissait le maillage du territoire, y compris au profit du fret ; un pacte social et fiscal avait été conclu avec des salariés sous statut, ce qui permettait d’envisager la reconstruction du pays.

Tels sont les grands sujets absents de la réflexion d’un État stratège qui fait défaut dans la conduite de votre politique. Voilà l’état d’esprit qui nous anime. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR-NUPES.– Mme Sandrine Rousseau et M. Maxime Laisney applaudissent également.)

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Sébastien
Jumel

Député de Seine-Maritime (6ème circonscription)
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