Depuis le recul de l’âge de départ à la retraite de 60 à 62 ans en 2010, toutes les études ont montré que repousser l’âge de départ pour effet d’allonger la période entre la fin de la carrière professionnelle et le début de la retraite. De fait, en moyenne, entre 55 et 61 ans, 21 % des travailleurs – surtout des ouvriers et des employés – ne sont ni en emploi ni à la retraite. La dernière étude de l’Unedic montre que les entreprises ont tendance à se séparer brutalement de leurs salariés expérimentés et à moins recruter à ces âges du fait de mécanismes de discrimination, ce qui contraint ces travailleurs à des périodes de chômage de longue durée, ou à passer du chômage aux minima sociaux avant de pouvoir enfin percevoir leur pension de retraite. Avec la réforme inique de 2023, contre laquelle je rappelle que notre assemblée s’est prononcée par le biais d’une résolution déposée par le groupe GDR le 5 juin dernier, des dizaines de milliers de travailleuses et de travailleurs seront encore plus précarisés.
C’est d’autant plus vrai que les plans de licenciement s’amoncellent, frappant les plus âgés. La précarisation des travailleurs expérimentés relève en réalité de causes structurelles que vous éludez. Cela vient d’être dit, selon la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), en 2019 – donc déjà avant le passage à la retraite à 64 ans –, 37 % des salariés ne se sentaient pas capables de tenir jusqu’à la retraite du fait de conditions de travail dégradées, de reculs en matière de prévention et de santé, et d’une pénibilité insuffisamment reconnue.
Outre que ce texte ne traite nullement de ces causes structurelles, il pèche aussi par le fait qu’il transpose non pas un, ni trois, mais désormais quatre accords nationaux interprofessionnels, puisque la réécriture express de l’article 10 par le gouvernement permet de transposer la dernière négociation conclue sur les reconversions et les transitions professionnelles. Cet article rédigé à la va-vite se traduit par la spoliation d’un bénéfice individuel, confisqué pour être mis au service de l’entreprise.
Ce n’est donc pas sans de grandes réticences que nous abordons l’examen de ce texte, d’autant que ses dispositions principales sur les travailleurs expérimentés sont au mieux très timides, au pire régressives. Si nous approuvons l’obligation de négocier sur l’emploi des travailleurs expérimentés tous les quatre ans, celle-ci n’équivaut pas à une obligation de conclure un accord ou même seulement de produire un plan d’action type, et encore moins d’en respecter les termes quand ils existeront, car aucune sanction afférente au non-respect de cette obligation n’a été instaurée.
Ensuite, vous nous ressortez la vieille lune du patronat et de la droite, avec la création à titre expérimental pour cinq ans d’un contrat de valorisation de l’expérience, qui reviendra à affaiblir le contrat à durée indéterminée, puisqu’en réalité ce contrat arrivera à échéance dès que le travailleur aura réuni les conditions d’un départ à la retraite à taux plein, ce qui ne signifie pas une retraite pleine pour tout le monde. Ce nouveau contrat fait donc perdre beaucoup aux salariés, tout en faisant gagner un peu plus encore et toujours aux employeurs. Ceux-ci seront en effet exonérés de la contribution patronale spécifique de 30 % sur l’indemnité de mise à la retraite. Madame la ministre, vous avez annoncé au Sénat que cette mesure coûterait 123 millions d’euros. Les dizaines de milliards consacrés au soutien aux entreprises et aux exonérations totales et partielles de cotisations sociales ne suffisent donc jamais ; c’est un puits sans fond.
Enfin, nous nous interrogeons sur la possibilité d’affecter l’indemnité de départ à la retraite au maintien total ou partiel de la rémunération d’un salarié en fin de carrière qui passerait à temps partiel, ce qui est une aubaine pour les employeurs puisque l’opération est, pour eux, à coût nul. Mais pour les salariés, et particulièrement pour ceux qui subissent des carrières hachées, cette disposition a un coût et est foncièrement injuste, puisqu’il leur revient d’aménager eux-mêmes leur temps de travail en fin de carrière sur les deniers de leur indemnité de départ de retraite à venir. Tout le monde est favorable à une retraite progressive, mais ce n’est pas aux salariés de la financer eux-mêmes.
Certes, ce texte acte la suppression de la limite des mandats successifs pour les élus des CSE et il prévoit d’adapter les conditions d’activité requises pour les primo-entrants à l’assurance chômage. Mais sur le sujet principal, celui des travailleurs expérimentés, comme cela est déjà visible et si prévisible, il ne permet nullement de répondre à la précarisation des travailleurs de plus de 60 ans, dont un nombre croissant devra vivre avec les minima sociaux.
Notre pays, sixième puissance mondiale, est un pays riche, madame la ministre. Il abrite de plus en plus de millionnaires et surtout de centimillionnaires. L’enjeu réside, à notre sens, dans un autre partage des richesses et non dans la recherche incessante d’économies au profit d’une petite caste qui se gave. Face aux fermetures d’entreprises, notamment industrielles, dont le nombre repart à la hausse, avec pour corollaire la remontée du taux de chômage, le texte que vous nous présentez sera de bien peu d’effet pour les travailleuses et les travailleurs. Pour toutes ces raisons, le groupe de la Gauche démocrate et républicaine ne pourra pas approuver ce projet de loi. (Mme Sophie Taillé-Polian applaudit.)
Discussions générales
Emploi des salariés expérimentés et évolution du dialogue social
Publié le 3 juillet 2025
Nicolas
Sansu
Député
de
Cher (2ème circonscription)