Dans la discussion générale, la parole est à M. Gaby Charroux.
M. Gaby Charroux. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure, mes chers collègues, je prends avec plaisir les remerciements adressés par Mme Valter aux hommes qui s’engagent dans ce débat. Très sincèrement, en étant présent ici, je ne croyais pas réaliser un exploit, mais plutôt faire normalement mon travail !
La question de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes reste, malgré toutes les lois adoptées depuis le début des années 1980, malgré toutes les déclarations d’intention, une question majeure pour notre société tout autant qu’une entorse permanente à la devise de notre République : liberté, égalité, fraternité. Les femmes représentent aujourd’hui 48 % de la population active, dont les deux tiers sont en activité. Ces chiffres témoignent d’une volonté des femmes de se placer de plain-pied dans le monde du travail. Pourtant l’égalité professionnelle ne leur est pas assurée. Chacun le sait, elles perçoivent en moyenne un salaire 24 % moins élevé que les hommes. À niveau de compétence égal et dans une même catégorie socioprofessionnelle, d’âge et d’expérience, l’écart de rémunération entre les femmes et les hommes – ce que l’on appelle l’écart inexpliqué – s’élève encore à 10 %, ce qui relègue la France à la 134e place sur 144 en matière d’égalité professionnelle selon le dernier rapport du Forum économique mondial.
Derrière ce classement, derrière ces chiffres et ces statistiques, se cachent des réalités sociales et professionnelles difficiles, parfois humiliantes, et des conditions de vie et de pauvreté inacceptables, dont la cause centrale se nomme précarité. Mme la rapporteure le soulignait en commission des affaires sociales : selon les données de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques – DARES – publiées en juin 2013, le temps partiel concerne surtout les femmes : 82 % des salariés à temps partiel sont des femmes, et une femme sur trois travaille à temps partiel, contre 7 % des hommes. Au total, les contrats à temps partiel, qui concernent plus de 4,5 millions de salariés, touchent plus de 3,5 millions de femmes.
Le travail à temps partiel est, vous le savez toutes et tous, trop souvent un temps partiel imposé, synonyme de précarité. Dans ma région, en Provence-Alpes-Côte d’Azur, un salarié sur quatre – je parle bien de salariés – perçoit un salaire inférieur à 850 euros par mois, c’est-à-dire qu’un salarié sur quatre est en situation de pauvreté ; parmi eux, une grande majorité de femmes.
Le temps partiel est un aménagement du temps de travail contraire à l’égalité professionnelle. Lorsque l’on voit le niveau actuel des salaires, le SMIC qui fait du surplace et l’écart infime entre le salaire minimum et le seuil de pauvreté, le choix du travail à temps partiel est la plupart du temps un leurre. N’oublions pas que temps partiel signifie salaire partiel et retraite partielle ! Il faut donc absolument encadrer le recours à ce mode de gestion du temps de travail, qui est devenu la règle dans de nombreux secteurs comme la grande distribution, les entreprises de propreté, les aides à la personne et les services aux entreprises – des métiers souvent exercés par des femmes.
Car la précarité et le temps partiel sont synonymes de pauvreté, voire de grande pauvreté. C’est un constat qui doit attirer notre attention et nous permettre d’analyser, en termes d’arsenal juridique, ce qui est à notre disposition pour y remédier au mieux.
À propos de la négociation annuelle obligatoire relative à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, l’article L. 2242-8 du code du travail prévoit que toute entreprise de plus de 50 salariés doit s’engager dans un plan d’action définissant notamment des objectifs précis de suppression des écarts de rémunération. Or 60 % des entreprises assujetties à cette obligation ne sont couvertes ni par un accord ni par un plan d’action. Ce chiffre s’élève même à 69 % pour les entreprises entre 50 et 300 salariés.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, Mme la rapporteure l’a souligné, ne contient pas de nouveaux dispositifs législatifs. Nous aurions pu en proposer qui aillent plus loin dans notre conception de l’égalité réelle entre les femmes et les hommes et, plus largement, qui renforcent la sécurité de l’emploi et la formation pour tous. Mais ce qui a guidé le dépôt de cette proposition, à l’initiative de Marie-George Buffet, c’est la modeste volonté de se donner les moyens de voir les dispositifs existants s’appliquer. Il s’agit de faire appliquer les mesures prévues par le code du travail, et de renforcer les droits des femmes salariées lorsque ce code n’est pas suffisamment protecteur.
En effet, quel est le constat ? De notre point de vue, nous ne faisons peser que très peu de contraintes en cette matière sur les entreprises. Finalement, après l’adoption d’une loi, la facilité de passer des accords de branche ou d’entreprise, renforcée par les dispositions de la loi travail, fait voler en éclat la philosophie des textes que nous votons ici. Et au regard de cette réalité, les contraintes qui pèsent sur les entreprises – oserais-je parler de sanctions ? – restent finalement un sujet tabou.
Le Gouvernement et la majorité ont souvent tendance à parler d’équilibre trouvé avec les entreprises dans la mise en œuvre des textes. Derrière cela, se cache la volonté – ou la faiblesse – de ne pas s’attaquer à elles quand elles ne respectent pas les lois votées, afin, prétend-on, de ne pas porter atteinte au développement économique, à l’emploi, à la productivité. Quelle ineptie ! Pour plusieurs raisons : la première, c’est que les victimes de cette philosophie politique sont les salariés et, encore plus fortement, les femmes salariées. Mais par ailleurs, où sont les contreparties de cet hypothétique équilibre, notamment en matière d’emploi, de salaire, de conditions de travail ? Je dois vous avouer que je ne les vois pas et permettez-moi de penser que les Français ne les voient pas non plus !
C’est cette philosophie qui a poussé la commission des affaires sociales à vider cette proposition de loi de sa substance, c’est-à-dire à décider de baisser les bras devant les efforts immenses à accomplir pour aller vers une égalité professionnelle réelle entre les femmes et les hommes. Cette décision intervient à un moment où s’exprime très fortement dans le pays un besoin de gauche, le besoin d’une véritable politique de gauche nourrie de ses marqueurs d’égalité sociale et de lutte contre la précarité et la pauvreté. C’est tout simplement incompréhensible !
S’agissant du temps partiel, alors que la loi relative à la sécurisation de l’emploi prévoit une durée minimale de 24 heures par semaine, les possibilités de dérogations déjà accordées et les effets à venir de l’inversion de la hiérarchie des normes contenue dans la loi travail ont littéralement fait exploser cette contrainte en vol, et ce n’est pas fini. Comment l’accepter ? Comment laisser les entreprises et les branches professionnelles détricoter la loi au prétexte qu’il faut laisser agir le marché ?
Nous soutiendrons avec énergie les amendements proposés par Mme la rapporteure afin de rendre à cette proposition de loi son esprit initial, son efficacité et sa force. En faisant preuve de courage, notre assemblée peut envoyer un signe fort, participer avec conviction à la mise en œuvre de l’égalité professionnelle réelle, combattre la précarité et l’austérité, et se donner les moyens de faire appliquer les lois qu’elle a souverainement adoptées. Pour y arriver, elle doit avant tout réintroduire les articles relatifs aux accords et aux plans d’action portant sur l’égalité professionnelle au sein des entreprises. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
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