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Don de congés payés sous forme de chèques vacances aux membres du secteur médico-social

Vous voici donc de retour avec cette proposition de loi qui appelle les salariés à donner leurs jours de repos – et désormais leurs jours de travail – pour payer des chèques-vacances aux soignants. Vous nous forcez donc à vous redire que, pour nous, elle est à côté de la plaque. Elle l’est d’abord parce que la revendication des personnels hospitaliers n’est pas de toucher des chèques-vacances, et encore moins de prendre des jours de repos à d’autres actifs. Ils et elles aimeraient déjà bien pouvoir prendre les leurs et, à défaut, se les voir payer ; elle l’est ensuite parce que les applaudissements du confinement consistaient d’abord en une reconnaissance sociale, dont il était clair qu’elle était étrangère depuis trois ans à tous les plans de financement de la sécurité sociale et à tous les plans réunis d’urgence pour l’hôpital.

De deux choses l’une : soit vous n’avez pas vu tout cela et vous voulez simplement organiser une sorte de cadeau de fin d’année que vous ne financez pas comme il se doit ; soit vous l’avez bien vu et il s’agit d’une tentative de détournement de solidarité. Dans les deux cas, vous avez conscience qu’il y a un problème dans le traitement des personnels hospitaliers.

Là encore, il y a deux possibilités : soit vous cherchez à vous faire pardonner à peu de frais, mais le procédé est voué à l’échec ; soit vous vous dites qu’en les aidant à partir en vacances, vous les aidez aussi à revenir, parce que vous savez combien nous avons besoin d’elles et d’eux. Dans ce cas, écoutez-les et ne trouvez pas des idées qui sont des gadgets et qui ne contentent personne.

À ce stade, je pourrais me contenter de deux questions : quel sens peut bien avoir cette façon de vouloir remplir la caisse des chèques-vacances alors que, pendant la crise, le Gouvernement l’a siphonnée pour financer les aides aux entreprises ?

Ce n’est peut-être pas intentionnel, mais n’y a-t-il pas une forme d’obscénité, après les annonces si faibles du Ségur de la santé au regard des besoins et de la justice, à demander aux salariés de verser une forme de complément pris sur leur repos ou sur leurs salaires, que le Premier ministre a d’ailleurs oubliés dans son discours de politique générale ?

Avec ce type de solutions, vous risquez de mettre tout le monde en colère : les soignants, qui attendent de l’État qu’il assume ses responsabilités, et les salariés, qui n’entendent pas être culpabilisés pour une situation qui résulte des politiques néolibérales, dans lesquelles nous sommes enfermés comme le Minotaure dans le labyrinthe de Dédale. Vous surfez sur les saines émotions et n’attaquez pas les causes.

Cette proposition, qui s’apparente à un cheval de Troie, continue à déployer une conception sociale fondée sur l’individualisation des rapports sociaux. Cette proposition va résonner comme une provocation. Elle prend place dans un puzzle où le Président de la République lui-même légitime les offensives conduisant à réduire les rémunérations et encourage à augmenter le temps de travail. Elle vient après ce traumatisme d’une réforme des retraites adoptée en première lecture dans la défiance populaire et par le recours à l’article 49, alinéa 3, de la Constitution. Elle s’inscrit dans un paysage où les multinationales sont invitées à mesurer la ponction des actionnaires. Même des millionnaires vous disent qu’ils ont de l’argent en trop !
Mais vous préférez demander aux salariés d’y aller de leurs jours de repos et de leur salaire. Après cette crise, ne croyez-vous pas que les jours de repos ont été imposés par les circonstances à une partie des salariés, et que l’autre partie en a bien besoin pour récupérer ?

Mais alors, nous direz-vous, ne peut-on permettre un élan de solidarité, de générosité ? Les salariés n’ont pas besoin de vous pour être solidaires, et cette injonction morale à la générosité dans un monde d’inégalités décuplées, où l’on vante les mérites des premiers de cordée par comparaison avec ceux qui ne seraient prétendument rien, vous pouvez comprendre qu’elle agace, qu’elle énerve, qu’elle ulcère, qu’elle révolte. En réalité, vous leur demandez d’être solidaires parce que votre politique ne l’est pas.
Le projet politique de la Macronie, nous l’avons désormais durement éprouvé. Chaque mot que vous utilisez pour le décrire perd de sa valeur. Combien de fois avez-vous été surpris à employer un mot pour un autre, à user de superlatifs pour masquer la faiblesse, à faire semblant de faire, à dire sans tout dire, à ne pas tout faire de ce que vous aviez dit ?

Que restera-t-il des intentions à l’égard de la reconnaissance de tous les métiers, à commercer par les métiers du soin ? Ceux et celles qui les exercent ont donné leur savoir-faire, leur travail, leur courage, leur engagement ; ils et elles ont assumé leurs missions, honorant ainsi la République. Il se trouvera sans doute des femmes et des hommes pour verser leur obole, pour exprimer par ce canal leur profonde solidarité. À elles et à eux va tout notre respect. Mais à vous qui avez les manettes pour répondre vraiment aux enjeux, nous ne pouvons plus faire crédit. (Mme Caroline Fiat applaudit.)

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Pierre
Dharreville

Député des Bouches-du-Rhône (13ème circonscription)

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