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Définition pénale du viol et des agressions sexuelles (CMP)

Me voilà, homme, dans ma condition d’homme, à cette tribune au nom du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, à évoquer un fléau qui gangrène notre société depuis des siècles : le viol, les violences sexuelles, et plus largement la domination patriarcale qui les rend possibles. Un fléau qui, sous les habits de la banalité, continue de détruire des vies, de voler des corps, de briser des âmes.
Chaque année, 230 000 femmes en sont victimes ; 230 000 destins marqués à jamais ; 230 000 noms ; 230 000 vies. Pourtant, seules 6 % d’entre elles osent porter plainte et, au bout du compte, moins de 1 % des violeurs sont condamnés.
Dans la patrie des droits de l’homme, combien de femmes doivent encore crier pour obtenir justice ? Nous parlons ici de celles qui se taisent, de celles qu’on ne croit pas, de celles qu’on interroge, de celles que, parfois, on abandonne. Or nous savons que ce silence n’est pas un hasard : il est le fruit d’une culture du viol encore trop enracinée, d’un défaut de moyens et de failles institutionnelles qui persistent.
Le texte que nous examinons aujourd’hui porte un souffle d’espoir. Il propose d’introduire dans le code pénal une définition claire du consentement, afin de mieux reconnaître les situations de sidération, d’emprise, de coercition. Il veut éviter aux victimes la torture de devoir prouver qu’elles n’ont pas voulu. Il veut faire reculer cette logique obscène du « oui, mais elle n’a pas dit non ». Nous partageons cette ambition –⁠ mille fois oui !
Aussi est-il de notre responsabilité d’interroger la portée réelle d’une telle réforme. Car la loi, lorsqu’elle n’est pas accompagnée de moyens, risque de n’être qu’un mirage et la justice, lorsqu’elle s’écrit sans budget, demeure lettre morte. Nous ne nous trompons pas de combat : ce ne sont pas les mots du code pénal qui violent, mais des hommes qui se savent impunis. Or cette impunité prospère sur les défaillances de l’État. Ce qui manque, ce sont 2,6 milliards d’euros chaque année pour lutter efficacement contre les violences faites aux femmes. Ce qui manque, ce sont des campagnes d’éducation, des structures d’accueil ouvertes jour et nuit, des psychologues, des médecins, des brigades spécialisées, des magistrats formés. Ce qui manque encore trop souvent, ce sont des professeurs qui apprennent à dire non, des policiers qui écoutent, des juges qui comprennent. Ce qui nous incombe comme devoir, madame la ministre, c’est de porter une volonté politique forte et d’en faire une grande cause nationale permanente, au-delà des discours, au-delà des symboles.
Dès demain, il nous reviendra de ne pas transformer cette noble intention –⁠ inscrire le consentement dans la loi – en une nouvelle épreuve pour les victimes, car bien sûr, au creux de nos échanges se logent des doutes, que nous entendons. Ces mêmes doutes ont pu traverser le mouvement féministe. Ne demandons pas encore aux victimes de se justifier, de convaincre, de prouver l’évidence. Comme le soulignait Gisèle Halimi au procès d’Aix-en-Provence, le drame du viol, c’est qu’il accule les plaignantes à devenir des accusées. Nous ne voulons pas d’une justice où celle qui est de toute évidence la victime doit se justifier d’avoir été violée.
Alors oui, ce texte est un pas –⁠ un pas sur un long chemin. Il faut un projet de loi-cadre, des moyens à la hauteur, une politique éducative et judiciaire globale. Sans cela, le mot « consentement » risque de sonner creux, de n’être qu’un ornement dans un code non lu. Nous saluons le travail transpartisan acharné, déterminé, qui a permis cette avancée, et nous en partageons l’esprit, tout en réaffirmant que quand des femmes meurent, quand des enfants se taisent, quand des vies se brisent dans le silence, la politique des petits pas ne suffit plus : la situation exige encore un effort plus grand, plus fort, plus vrai, dans la lutte contre les violences sexuelles. La représentation nationale semble enfin manifester sa détermination ; à nous de la confirmer. (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.)

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Edouard
Benard

Député de Seine-Maritime (3ème  circonscription)
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