Il y a un peu plus de trois ans, alors qu’il était encore en campagne, le président de la République avait présenté sa stratégie de politique énergétique, visant à faire de la France le premier grand pays à sortir des énergies fossiles. Cette stratégie reposait sur deux piliers : sobriété et efficacité énergétiques d’une part, production d’énergie décarbonée d’autre part, avec le développement des énergies renouvelables, mais aussi la fameuse relance du nucléaire, après avoir passé tout un quinquennat à suivre les errements de ses prédécesseurs dans ce domaine.
Quel que soit le jugement que nous pouvons porter sur cet énième revirement présidentiel, cette nouvelle stratégie aurait dû être déclinée dans une loi de programmation pluriannuelle de l’énergie. Nous l’attendions en juillet 2023, l’avons espérée tout au long de l’année 2024 : rien n’est venu ! Vous avez confirmé, il y a quelques jours seulement, devant notre assemblée qu’il n’y aurait pas de texte gouvernemental, et vous nous proposez donc aujourd’hui, en guise de lot de consolation, un simple débat pour commenter votre déclaration, assorti – petite cerise sur le gâteau – de la promesse d’une éventuelle proposition de loi en juin prochain.
Comme chaque fois depuis sept ans, les parlementaires sont donc tenus à l’écart des grands choix stratégiques pour l’avenir du pays ! Cela ne serait rien si ce mépris constant du Parlement ne servait pas d’abord à masquer l’indigence de cette programmation énergétique. Votre projet n’a ni réelle trajectoire de référence ni orientations claires, et il ne prend pas la mesure des risques et des marges de manœuvre à conserver pour s’adapter.
Je ne parle même pas du niveau des soutiens publics et budgétaires que vous envisagez, puisqu’ils n’apparaissent nulle part. Pas étonnant puisque vous avez fait, ces derniers jours, de la baisse des dépenses publiques la seule priorité de votre action.
Pourtant, la priorité pour les prochaines générations, ce n’est pas de savoir si elles arriveront à surmonter un point de plus ou un point de moins de déficit public ; c’est de savoir si leurs conditions de vie seront encore soutenables avec 1 ou 2 degrés de plus !
Les enjeux liés à la planification énergétique devraient en effet être prioritaires alors que notre consommation d’énergie finale reste dominée par les fossiles, avec 37 % de pétrole et 21 % de gaz naturel. Tenir l’engagement de neutralité carbone en 2050 impose des transformations en profondeur de tous nos grands secteurs économiques : transports, agriculture, industrie, bâtiment. Cela demande d’assurer en amont la décarbonation totale du secteur de l’énergie, tout en fixant, dans le même temps, des objectifs de relocalisation industrielle et de réduction de toutes les dépendances liés à nos importations, qui représentent, je le rappelle, 55 % de notre empreinte carbone ! Je ne vous ai pas entendu en parler.
Nous avons la conviction que nous ne parviendrons pas à concrétiser cette transition sans une planification rigoureuse. Or la PPE que vous nous présentez passe à côté de l’essentiel. Elle ne propose ni trajectoire crédible de réduction des émissions, ni véritable stratégie d’investissement. Elle ne s’adosse pas à un vaste plan de soutien de la recherche et de la formation, de la relocalisation industrielle ou de la coordination et de la coopération au sein des filières.
Ce n’est pas nous qui le disons mais les principales autorités indépendantes qui ont eu à se prononcer sur ce projet – l’Autorité environnementale en premier lieu. Elle souligne un manque criant d’ambition et de cohérence et pointe des failles béantes. Elle s’est notamment étonnée – comme nous – de l’absence de hiérarchisation des usages de la biomasse. Vous mettez en effet sur le même plan l’alimentation humaine, les réseaux de chaleur ou encore les besoins de l’industrie ou du transport aérien, dont vous augmentez la part des carburants durables.
Il est pourtant nécessaire de questionner notre capacité à mobiliser la biomasse comme source pérenne de production d’énergie. Non seulement cette ressource n’est pas extensible, mais elle jouera un rôle clé pour compenser les émissions résiduelles. C’est pourquoi nous demandons que cette hiérarchisation des usages soit strictement définie, en privilégiant d’abord les capacités productives et de stockage de carbone de nos sols agricoles, ainsi que le maintien du puits de carbone forestier et la biodiversité. Nous devrions au moins pouvoir en débattre !
Le Haut Conseil pour le climat (HCC), ensuite, se montre encore plus sévère et souligne que le projet de PPE « manque de clarté » et qu’il se réduit « à une liste d’objectifs, leviers et outils réglementaires, sans constituer néanmoins une planification robuste détaillant des mesures quantifiées, déclinées temporellement, pilotées et évaluées en termes de potentiel et d’efficacité ». Le Haut Conseil s’arrête aussi sur l’absence de prise en compte de l’accompagnement nécessaire des ménages modestes – j’y reviendrai.
Enfin, le haut-commissariat à l’énergie atomique insiste, quant à lui, sur le besoin urgent de reconstruire une chaîne de compétences, de planifier les investissements et de reprendre la main sur la recherche, notamment pour ne pas laisser à d’autres le déploiement industriel des réacteurs de quatrième génération à neutrons rapides ou des petits réacteurs modulaires.
Il vous a alertés surtout sur le fait que, si la PPE repose sur l’idée que renouvelables et nucléaire sont complémentaires, cette complémentarité repose sur un équilibre pour le moins précaire, qui risque de se solder non seulement par un sous-emploi du nucléaire, mais encore par des surcoûts pour les consommateurs et les industriels.
Bien sûr, cette situation est d’abord la conséquence de la volte-face stratégique trop tardive intervenue sur le nucléaire, après la fermeture en 2020 de la centrale de Fessenheim et l’arrêt calamiteux du programme Astrid – réacteur rapide refroidi au sodium à visée industrielle.
Cette volte-face aurait dû conduire à plus de prudence dans la programmation des objectifs en matière de renouvelable. Le haut-commissariat vous a ainsi invités à revoir à la baisse les objectifs en termes de photovoltaïque, pour éviter une situation de surproduction chronique, qui pourrait coûter cher aux consommateurs français, voire mettre en danger notre réseau électrique.
Mais cette surévaluation met surtout en évidence deux choses : nous prenons un retard considérable dans l’électrification des usages, ce qui rend aujourd’hui très peu probable l’atteinte des objectifs européens pour 2030 ; nous commençons aussi à rencontrer des difficultés dans le pilotage et l’optimisation de l’équilibre électrique, dans un contexte d’ouverture du marché à des acteurs économiques privés, là où nous aurions besoin d’une grande entreprise intégrée pilotant l’ensemble de la production.
Comme nous l’avions demandé lors de l’examen de la loi relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables, dite loi Aper, vous n’avez pas remédié au déploiement anarchique des énergies renouvelables dans les territoires. Pour le photovoltaïque en particulier, le cadre législatif et réglementaire actuel laisse trop souvent les communes dans un face-à-face avec les promoteurs et les propriétaires fonciers.
Communes et intercommunalités sont ainsi contraintes de naviguer à vue, au gré de politiques publiques erratiques, qui n’ont jamais voulu planifier strictement et confier ce développement à un pôle public unifié autour d’EDF. Résultat : le paysage énergétique territorial se transforme en une jungle de marchés, d’où chaque opérateur espère retirer sa rente en multipliant les projets, puisque les priorités de déploiement ne sont toujours pas identifiées. Zones d’accélération de la production d’énergie renouvelables (Zaer) ou non ? Comment les préfets peuvent-ils arbitrer, sans réflexion en amont, par exemple sur le potentiel des zones déjà artificialisées ou dégradées, qui devaient être prioritairement ciblées en adéquation avec nos besoins ?
Mais ce que révèle peut-être le plus crûment votre PPE, c’est l’oubli des classes populaires et des ménages modestes. Alors que l’énergie devrait être un levier de progrès social et d’aménagement plus équilibré du territoire, aucune stratégie claire n’est proposée pour les accompagner dans cette mutation. Les aides à la rénovation, les soutiens à l’électrification des véhicules font du stop-and-go, pour finir rabotés à la va-vite, comme de simples variables d’ajustement budgétaire. Vous venez encore d’en faire la triste démonstration ce samedi même, en annulant 3,1 milliards d’euros de crédits budgétaires, notamment pris sur les missions Écologie, développement et mobilité durables et Recherche et enseignement supérieur ! (MM. Maxime Laisney et Matthias Tavel applaudissent.)
Là où il faudrait des engagements massifs, pérennes et lisibles, il y a une succession de mesures décousues, qui continuent de condamner des millions de ménages modestes à la précarité énergétique et à la précarité dans la mobilité – je pense au leasing social pour l’acquisition d’un véhicule électrique, excellente mesure, mais dont l’arrêt, au bout de trois semaines en février 2024, témoigne d’un véritable mépris pour les travailleurs et les ménages les plus modestes. Quand il s’agit de sortir le carnet de chèques pour les grands groupes du CAC40, il n’y a pas d’arrêt des aides publiques au bout de trois semaines ! (M. Matthias Tavel applaudit.)
Pas un mot non plus sur la relocalisation industrielle que la programmation décennale devrait pourtant impulser. Où sont les plans de filière et de formation pour produire sur notre sol les panneaux photovoltaïques, les éoliennes, les pompes à chaleur, les batteries, les infrastructures électriques ? À quoi sert-il de sortir de notre dépendance aux importations de combustibles fossiles si c’est pour continuer à importer massivement de Chine, des États-Unis ou d’Europe du Nord ces productions essentielles à la transition ?
Monsieur le premier ministre, la souveraineté énergétique ne se décrète pas. Elle ne peut se réduire à un slogan politique. Elle doit se construire sur une planification solide et partagée par tous. Elle doit s’adosser aux besoins énergétiques que nous anticipons, grâce à une stratégie concertée de transformation de notre économie et des modes de vie. Il est plus que temps de remettre de la démocratie et de la justice dans notre politique énergétique. C’est à ce changement de cap que les députés communistes et du groupe GDR ne cesseront de vous appeler. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR. – M. Matthias Tavel applaudit également.)