Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le débat qui nous réunit aujourd’hui vise à mesurer l’efficience des politiques publiques conduites sous ce quinquennat, notamment en évaluant le non-recours de nos concitoyens à un certain nombre de droits sociaux.
En effet, le Gouvernement a adopté en 2013 un plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale dont l’ambition était de « rompre avec l’approche précédente, trop culpabilisante, en se fondant sur les principes de non-stigmatisation, de juste droit et de décloisonnement ».
Le non-recours désigne la situation des personnes qui n’accèdent pas aux droits ou aux prestations sociales auxquels elles peuvent pourtant légitimement prétendre. Les causes en sont multiples : le manque d’information, la complexité des démarches et surtout le sentiment de stigmatisation voire d’humiliation que le mot d’« assistanat » exacerbe chez les personnes concernées.
Force est de constater à la lecture du rapport que, bien que les causes en soient connues, la situation ne s’améliore pas puisque l’accès aux droits ne cesse de reculer alors que les besoins sociaux vont croissant. Ainsi constatons-nous 35 % de non-recours au RSA socle, destiné aux personnes n’exerçant aucune activité et n’ayant pas droit au chômage ou à l’allocation de solidarité spécifique, l’ASS, et 68 % de non-recours au RSA activité versé aux très petits salaires et remplacé en 2016 par la prime d’activité. Au total, les sommes non distribuées au titre du RSA s’élèveraient à 5,3 milliards d’euros.
En outre, plus de trois millions de personnes n’auraient pas fait valoir leurs droits aux dispositifs de santé : un million en ce qui concerne la couverture maladie universelle complémentaire, la CMU-C, et deux millions s’agissant de l’aide à la complémentaire santé, soit un taux de non-recours de près de 70 % !
Face à cette réalité, le rapport présente une série de mesures utiles et de bon sens : mieux informer les ayants droit, mieux former les travailleurs sociaux, faciliter l’accès aux prestations.
Les rapporteurs préconisent également de disposer d’une évaluation régulière du coût du non-recours. Il s’agit, d’une part de mesurer à quel point les « économies » ainsi réalisées sont des leurres et d’autre part de resituer à leur juste place les discours centrés sur la fraude sociale dont l’objectif essentiel est de remettre en cause les politiques publiques de solidarité.
Sur ce point, le rapport souligne que la lutte contre la fraude qui « pour le législateur, le Gouvernement, les opérateurs de la protection sociale ou la CNIL, est devenue une expression banale et une exigence de bonne gestion ou de "maîtrise des risques ", continue d’être très mal ressentie par les titulaires réels ou potentiels de minima sociaux, surtout dans le contexte de durcissement du discours de certains responsables publics à ce sujet ».
Les auteurs du rapport estiment le montant de la fraude sociale à 425 millions d’euros pour 2014, ce qui est sans aucun doute regrettable et condamnable mais demeure modeste en comparaison des 16 milliards d’euros de fraude aux cotisations patronales ou encore aux 25 milliards de l’évasion fiscale.
Je note d’ailleurs avec satisfaction que les rapporteurs invitent à lutter contre ce qu’ils appellent le « cynisme budgétaire » qui consisterait à croire ou à faire croire que la collectivité tirerait des bénéfices économiques du non-recours aux droits sociaux. En réalité, les prestations sociales constituant un salaire indirect, le fait de ne pas en bénéficier constitue une perte sèche de pouvoir d’achat pour les ayants droit et, s’agissant de la santé, un retard de prise en charge souvent source de complications pour les patients, lesquelles ont un coût à la fois financier et humain.
Si je me félicite de l’approche qui est celle des auteurs de ce rapport, force est cependant de constater à l’issue de cette mandature que les économies budgétaires drastiques réalisées notamment dans le domaine de la santé, des prestations sociales et des dotations aux collectivités n’ont pas facilité le devoir de solidarité et ont même trop souvent participé de ce « cynisme budgétaire ».
Le dernier point que je souhaite aborder – et que les rapporteurs ont d’ailleurs à juste titre soulevé – est celui de la gouvernance. En effet, on peut se demander si faire du conseil général un « guichet unique » est la bonne solution. Alors que la proximité avec les citoyens est essentielle, particulièrement pour ces publics, ne renforce-t-on pas l’éloignement au prétexte de centraliser et de rationaliser ?
Telles sont, mes chers collègues, les remarques des députés du groupe de la Gauche démocrate et républicaine sur ce rapport.
Question de Jacqueline Fraysse :
Je ne reviendrai ni sur la qualité du rapport ni sur l’intérêt, réel, de nos échanges. Je tiens à vous interroger, madame la secrétaire d’État, sur une proposition importante du rapport : celle qui vise à confier aux conseils départementaux la gouvernance de l’accès aux minima sociaux.
Si j’adhère à l’analyse qui met en exergue la pluralité des acteurs, les difficultés de communication qui peuvent exister entre eux et les méandres administratifs dans lesquels les usagers peuvent se perdre, la proposition qui vise à faire des départements les chefs de file de la lutte contre l’exclusion ne laisse pas de m’interroger.
La mise en œuvre de la réforme du droit d’asile, entrée en vigueur le 1er novembre 2015, a été expérimentée dans ma circonscription de Nanterre. Cette réforme confie aux départements la gouvernance de l’accueil des réfugiés. Je dois avouer que le résultat n’est pas très enthousiasmant, puisque c’est finalement une structure privée qui gère l’accueil des réfugiés. Nous avons assisté à l’installation de tentes pour abriter de nuit comme de jour de longues files d’attente.
Outre la centralisation géographique, qui me paraît préjudiciable aux usagers du fait de l’étendue des territoires, la centralisation administrative risque de rendre impossible la tâche de répondre à l’éventail de demandes souvent complexes, dont le traitement exige à la fois des compétences humaines, des moyens financiers et une harmonisation des orientations politiques et des pratiques.
Je crains qu’une fois de plus, sous le prétexte de le rationaliser, on ne diminue la qualité et l’efficacité du service public. C’est pourquoi, madame la secrétaire d’État, je souhaiterais que vous m’indiquiez votre sentiment quant à cette proposition.
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d’État. Madame la députée, malgré tous les débats sur l’organisation territoriale de la France et les critiques que nous entendons parfois à ce sujet, nous avons la chance d’avoir à la fois un État fort et des collectivités territoriales de proximité. Le fait que les départements soient les chefs de file en matière d’action sociale est une réalité que personne ici ne conteste. l’État reste cependant le garant de l’effectivité des droits et de l’égalité sur l’ensemble du territoire.
Certes, nos concitoyens ont affaire à de nombreux guichets et administrations, mais n’allons pas imaginer que la suppression des compétences sociales d’un certain nombre d’entre eux simplifierait les choses ! Au contraire, la complémentarité entre les départements, les communes, qui disposent de certaines compétences sociales, les intercommunalités et l’État, qui coordonne l’ensemble du dispositif, est une bonne chose car elle garantit la mobilisation de toutes ces collectivités dans la lutte contre l’exclusion.
Néanmoins, le Gouvernement a souhaité aider les départements et, plus encore, contractualiser avec eux afin de renforcer leur politique de lutte contre l’exclusion. C’est tout le sens du fonds d’appui aux politiques d’insertion, doté de cinquante millions d’euros destinés aux départements et mis en place dans le cadre de la loi de finances pour 2017 qui vient d’être adoptée. Dans ce cadre, chaque département est invité, s’il le souhaite, à contractualiser avec l’État, notamment pour mettre en œuvre le plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, dont le fil conducteur est justement la lutte contre le non-recours.
Ainsi, les départements ont un rôle essentiel à jouer, non seulement comme chefs de file en matière d’action sociale, mais aussi parce qu’ils vont être invités à contractualiser avec l’État dans ce domaine. Ils doivent évidemment agir en concertation avec l’ensemble des autres acteurs, qu’il s’agisse des collectivités, des associations ou de l’État qui garantit l’égalité sur l’ensemble du territoire national.
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