Rapporteur de la commission des affaires étrangères
La sécurité maritime a débuté par le désastre du Titanic – je vais m’abstenir d’entonner la chanson de Céline Dion, car je ne suis pas sûr que ce serait conforme au règlement. (Sourires.) Le naufrage de ce navire, réputé insubmersible, a fait près de 1 500 morts en 1912.
Les très importantes controverses liées à ce naufrage ont conduit à une réflexion internationale visant à créer les conditions d’une meilleure sécurité à bord. Le nombre de canots de sauvetage, les procédures d’évacuation d’urgence et les problèmes de communication radio ont révélé de gigantesques failles dans les normes de sécurité et de sûreté. Ce choc a poussé les professionnels à s’organiser pour adopter, deux ans plus tard, en 1914, la première Convention internationale pour la sauvegarde de la vie humaine en mer, dénommée couramment par son acronyme anglais SOLAS (Safety Of Life at Sea).
En 1926, en marge du congrès international de navigation du Caire, une réunion officieuse des chefs de service de l’éclairage et du balisage des côtes, organisée par André Gervais de Rouville, chef du service des phares et balises français, a pointé les besoins d’organisation internationale autour de la signalisation maritime.
Il n’est pas étonnant que le service des phares et balises français ait joué un rôle majeur dans cette histoire. Il faut rendre hommage à ce service, qui a joué un rôle moteur durant des décennies et qui a toujours été à la pointe de la technologie. Nous lui devons notamment l’invention, en 1822, de la lentille Fresnel qui a révolutionné le fonctionnement des phares dans le monde.
En 1957, cette mobilisation informelle s’est concrétisée sous la forme d’une association de droit français – nous avons l’habitude ici de parler d’association « loi 1901 » –, qui est devenue l’Association internationale de signalisation maritime en 1998. Cette association a pour objectif de renforcer la sécurité et l’efficacité de la navigation maritime en contribuant à l’amélioration et à l’harmonisation des normes de balisage et de signalisation en mer. Son siège est situé à Saint-Germain-en-Laye.
L’AISM rassemble des autorités nationales, des industriels ou encore des instituts scientifiques. Au fil de ses soixante-cinq années d’existence formelle, et même depuis les premières réunions informelles, il y a quatre-vingt-seize ans, elle a permis au monde maritime de discuter de techniques de balisage et de signalisation en mer, afin de diffuser de bonnes pratiques auprès de tous les acteurs de ce secteur. La réussite la plus éclatante de l’AISM est la mise en place en 1977 de seulement deux systèmes de balisage dans le monde, la région A et la région B, contre une trentaine auparavant.
L’AISM a également dû réagir à l’intensification du transport maritime mondial à partir des années 1970. Une fois encore, c’est un drame qui suscita une réflexion de l’AISM, à la demande de l’OMI, sur l’amélioration de la réglementation de la circulation maritime mondiale : l’échouage de l’Amoco Cadiz et le déversement de ses 220 000 tonnes de pétrole sur les plages bretonnes en 1978.
L’AISM a contribué à sauver quantité de vie humaine et à préserver la nature et les biens en mer. Le travail de cette association est remarquable et j’ai tenu, comme je l’ai indiqué en commission hier, à demander ce débat dans l’hémicycle pour lui rendre hommage. Il faut remercier les différents comités de l’AISM qui travaillent jour après jour pour adapter les normes aux flux maritimes croissants et pour anticiper le monde de demain, celui de la deuxième révolution maritime.
La révolution des années 1970, celle de l’automatisation d’un grand nombre de tâches qui a divisé par deux le nombre de marins sur les bateaux, est désormais terminée.
La deuxième révolution sera celle de l’intelligence artificielle et du guidage autonome qui va encore diviser par deux le nombre de marins sur ces gigantesques navires qui traversent le monde. Elle est un sujet d’inquiétude et d’interrogation majeur pour nous. Jusqu’où devons-nous tolérer cette évolution ? Et c’est sans compter les nouveaux défis que nous devons affronter, en particulier ce que certains nomment la « territorialisation » de la mer. Ce n’est pas anodin et cela nécessite une intense réflexion concernant la planification de ces espaces, notamment des espaces côtiers dans le cadre du développement des parcs éoliens. L’AISM doit relever tous ces défis, sans compter les demandes techniques de ses nombreux États membres.
Mais alors pourquoi changer une équipe qui gagne ? Le statut d’association loi 1901 freine largement l’approfondissement des missions et sa légitimité internationale.
L’architecture du multilatéralisme maritime mondial doit évoluer vers un trio d’organisations intergouvernementales de même importance, qui se répartiront tous les problèmes rencontrés par les navires : l’OMI, qui gère la sûreté des navires et les États du pavillon ; l’OHI, chargée des données maritimes, de l’hydrographie et de la cartographie ; et l’AISM, qui encadre la navigation et l’organisation de l’espace maritime, donc la sécurité en mer.
La convention qui vous est soumise permettra donc de créer une nouvelle Organisation internationale pour les aides à la navigation maritime et de doter cet organisme d’une nature juridique plus cohérente avec l’ampleur et la dimension internationale de ses activités.
En tant que député communiste, j’ai évidemment veillé à ce que le changement de statut de l’Association n’affecte pas le cadre d’emploi et le statut de ses salariés. C’est le cas : il m’a été garanti que l’accord de siège en cours de rédaction ne modifierait en rien ce cadre, si ce n’est pour l’améliorer, ce dont je me félicite.
Cette transformation débarrassera l’AISM d’une image qui lui colle encore trop à la peau, à savoir celle d’une simple association technique, qui fait du lobbying pour promouvoir ses propres normes et favoriser au passage celles de son État d’accueil, la France. Cette légitimité accrue lui permettra également d’en finir avec les nombreux problèmes de fonctionnement qui ralentissent son travail. Par exemple, du fait de son statut d’association française, plusieurs États refusent d’adhérer à l’AISM ou limitent leur financement.
Certains sont même réticents à lui demander de mener des audits internes, par peur que des données sensibles soient transmises à la France. Le statut d’organisation internationale permettra, enfin, d’en finir avec les difficultés en matière de droit d’entrée et de séjour sur le sol français auxquelles se heurtent parfois les personnels de l’AISM et de ses délégations étrangères.
Les trois membres du trio que je viens d’évoquer pourront enfin agir sur un pied d’égalité, au bénéfice de tous. Prenons bien la mesure de ce que cela implique pour la France : les autorités françaises ont fait preuve d’humilité en permettant à la France de perdre un peu de son pouvoir au sein de l’AISM pour mieux renforcer cette dernière. Jean-Louis Bourlanges, président de la commission des affaires étrangères, soulignait hier que la France acceptait de « contrôler moins pour rayonner davantage ». Je fais mienne cette expression parfaitement juste. La direction des affaires maritimes (DAM) du ministère de la mer, par exemple, perdra un siège de droit au sein de l’Association – mais c’est pour la bonne cause. J’y vois un geste désintéressé de très grande valeur.
Il est très rare de voir une association prendre une telle ampleur internationale. Je tiens donc à féliciter et à remercier tous ceux qui ont œuvré pendant près de dix ans pour que cette belle association devienne une organisation intergouvernementale. Ces années de travail ont été nécessaires pour régler toutes les questions, notamment celle du maintien d’un lien étroit et efficace avec les partenaires, experts et industriels. Je salue également tous ceux qui ont œuvré diplomatiquement au sein du Quai d’Orsay et du ministère de la mer pour faire advenir ce changement d’échelle : ils ont fourni un travail exceptionnel. La convention que nous ratifierons – je l’espère – dans quelques minutes est à son image.
Je vous invite donc, chers collègues, à voter pour la ratification de la convention portant création de l’organisation internationale pour les aides à la navigation maritime.
Je profite de ce dernier débat conduit par la commission des affaires étrangères dans l’hémicycle pour souligner l’exceptionnel travail qu’elle a fourni durant ces cinq années et pour saluer la mémoire de la présidente Marielle de Sarnez ainsi que la présidence assurée par Jean-Louis Bourlanges. Cette commission, que bien des parlements nous envient – surtout s’agissant d’un domaine réservé du chef de l’État – a énormément travaillé. Je profite d’ailleurs de cet instant pour saluer l’atmosphère qui a régné pendant nos échanges : même si l’ensemble des membres de la commission sont souvent loin d’être d’accord – c’est la beauté de la démocratie –, la qualité de nos réflexions et de nos relations de travail nous aura permis de donner du sens à la diplomatie parlementaire.
Enfin, je tiens à remercier et à féliciter – en notre nom à tous, j’en suis sûr –, tous les administrateurs et les administratrices de la commission des affaires étrangères pour l’extraordinaire travail qu’ils ont fourni pour chacun d’entre nous, en nous aidant à rédiger nos très nombreux rapports législatifs et d’information. Ils ont travaillé sans compter depuis cinq ans, ce qui n’est pas rien !
Je tiens évidemment à remercier particulièrement François-Xavier Carabelli, ici présent, qui a œuvré sur ce texte avec une grande précision et dans un temps record. Merci à tous. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, LR, Dem et SOC.)