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Création d’une juridiction spécialisée expulsion des étrangers délinquants

Cette proposition de loi vise à créer une juridiction spécialisée dans l’expulsion des délinquants étrangers. Une Cour de sûreté de la République serait ainsi instituée afin, à en croire l’exposé des motifs du texte, de « permettre l’expulsion plus rapide de personnes étrangères ayant pris part à des actions terroristes, [ou] les ayant encouragées d’une manière quelconque, tout en assurant les droits de la défense ».

Ce texte, qui constitue un outil d’affichage politique, s’inscrit dans une logique autoritaire et identitaire assimilant étrangers et délinquants et terrorisme et immigration, selon la traditionnelle et nauséabonde rhétorique de l’extrême droite et des mouvements populistes. (M. Andy Kerbrat applaudit.)

Cette rhétorique repose sur des fantasmes et des contre-vérités, et non sur la réalité. Contrairement à ce qu’indique l’exposé des motifs du texte, la plupart des attentats terroristes en France n’ont pas été commis par des étrangers.

« Depuis 2015, les quatre cinquièmes des auteurs d’attentats terroristes sur le territoire national sont des ressortissants français » rappelait à cet égard Laurent Nuñez, alors coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme, en avril 2021. S’agissant plus spécifiquement du lien entre terrorisme et immigration, Catherine Wihtol de Wenden, directrice de recherche au CNRS – Centre national de la recherche scientifique – et spécialiste des questions migratoires, souligne que si l’on ramène le nombre de demandeurs d’asile et d’entrées illégales sur le territoire au nombre d’attentats ou de tentatives d’attentats impliquant des personnes de nationalité étrangère, le résultat est « complètement marginal statistiquement » ; et d’affirmer qu’« il n’y a pas de lien entre les flux migratoires et le terrorisme ».

En outre, contrairement à ce que vous assénez sans convaincre, jusqu’en commission des lois, monsieur le rapporteur, l’immigration n’est pas « centrale dans les préoccupations des Français », tout comme il est erroné de prétendre que toutes « les enquêtes d’opinion en témoignent ». En effet, d’après un récent sondage d’Ipsos et Sopra Steria pour France Inter, l’immigration ne serait pas la principale préoccupation des Françaises et des Français : elle arrive loin derrière le pouvoir d’achat, le système de santé et l’environnement, entre de multiples autres sujets. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LFI-NUPES, SOC et Écolo-NUPES. – Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LR.)

Vous l’aurez donc compris, nous réfutons le fondement même de cette proposition de loi et rejetons le dispositif proposé.

Selon les auteurs du texte, l’insuffisante application de la procédure d’expulsion administrative par le juge de l’expulsion s’expliquerait par des « manœuvres dilatoires » permettant aux étrangers de se maintenir sur le sol national.

Vous soulignez ainsi que le droit applicable pour l’expulsion des étrangers pour un motif d’ordre public se caractérise par sa grande complexité, tant sur le fond que pour la procédure contentieuse d’examen des recours.

Rappelons à cet égard que vingt et une lois ont été votées depuis 1990, complexifiant toujours plus le droit des étrangers, et sans qu’aucun bilan précis, détaillé, de l’efficacité des mesures ait été dressé.

En l’absence, une fois de plus, d’évaluation précise ou de bilan des dispositifs existants, vous proposez à votre tour de complexifier encore le droit par une nouvelle réforme.

De surcroît, il s’agirait d’une réforme très large puisque, contrairement à ce qui est annoncé dans l’exposé des motifs, l’objet de la proposition de loi n’est pas l’expulsion plus rapide de personnes étrangères ayant pris part à des actions terroristes ou les ayant encouragées, mais l’institution d’une Cour de sûreté de la République, juridiction d’exception dont l’intitulé fait allusion, de façon bien malheureuse, à la Cour de sûreté de l’État, instaurée à la fin de la guerre d’Algérie pour juger les crimes et délits portant atteinte à la sûreté intérieure et extérieure de l’État, dont les actes terroristes.

Ainsi, la juridiction d’exception que vous entendez créer devrait permettre l’expulsion des personnes étrangères qui menacent la sécurité. Or la législation actuelle permet déjà d’expulser des personnes pour des considérations liées à la protection de l’ordre public ou en cas d’atteinte à la sûreté de l’État – expulsion qui peut d’ailleurs être prononcée en l’absence de condamnation pénale.

Ce que vous proposez, c’est l’accélération de la procédure au mépris des droits de la défense, sachant que, cela a été rappelé, on ne compte qu’environ 400 arrêtés d’expulsion en moyenne chaque année.

Plutôt que l’établissement d’une justice d’exception qui condamnera sans discernement et dans la précipitation des personnes qui ne quitteront pas le territoire faute de laissez-passer consulaire, nous appelons à redonner du pouvoir d’action à nos juridictions existantes, grâce à des moyens humains et financiers revalorisés, et à revoir de fond en comble notre politique d’accueil et de prise en charge des personnes étrangères sur notre territoire.

En conséquence, le groupe Gauche démocratique et républicaine-NUPES votera résolument contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NUPES et sur les bancs du groupe SOC. – Mme Sandra Regol applaudit également.)

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