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Bâtir la société du bien vieillir en France

MOTION DE REJET PREALABLE

Les députés communistes et les députés ultramarins du groupe de la Gauche démocrate et républicaine auraient aimé ne pas avoir à soutenir une motion de rejet préalable contre la proposition de loi portant mesures pour bâtir une société du bien vieillir en France.

Cela aurait signifié que nous avions enfin débattu sérieusement d’un texte prenant à bras-le-corps la prise en charge des personnes vieillissantes et, plus largement, celle des personnes en perte d’autonomie.

Malheureusement, ni le sérieux ni l’ambition ne sont au rendez-vous dans cette proposition de loi ; j’ajoute que la juste association des parlementaires que nous sommes n’y est pas davantage, ce qui n’est pas un moindre motif de rejet.

Le titre « bâtir une société du bien vieillir » s’annonçait pourtant prometteur. Je vous l’accorde : il est plus que temps de bâtir, c’est-à-dire de poser des fondements solides, stables et durables à un système de prise en charge des personnes vieillissantes. Il est urgent de permettre que l’on vieillisse bien dans notre société, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Beaucoup trop nombreuses sont les familles en détresse quand il faut organiser la prise en charge d’un proche. Beaucoup trop nombreuses sont les personnes vieillissantes qui ne peuvent toujours pas choisir où elles finiront leurs vieux jours. Beaucoup trop d’inégalités sociales et territoriales persistent jusque dans la vieillesse. Beaucoup trop nombreux sont les professionnels démunis qui, par manque de moyens, ne peuvent remplir comme ils le souhaitent leur mission d’accompagnement. Beaucoup trop nombreux sont les professionnels épuisés par la dureté et le manque de reconnaissance de leur métier. Alors, oui, il y a urgence à bâtir une société du bien vieillir.

Comment affronterons-nous collectivement avec dignité un avenir tout proche dans lequel le nombre de personnes âgées sera nettement plus important, si nous ne parvenons pas à poser, dès à présent, les bases solides du bien vieillir ? Dans les vingt prochaines années, le nombre de personnes de plus de 75 ans va quasiment doubler pour atteindre près de 11 millions, contre un peu plus de 6 aujourd’hui. Nous parlons là de notre capacité à prendre soin de nos proches. Sans volonté politique forte, comment ferons-nous ?

À ce jour, les difficultés sont clairement identifiées, nommées, circonscrites. Les cris d’alarme des professionnels et des familles, directement concernés, sont nombreux pour qui veut les entendre. Les rapports documentés, chiffrés et argumentés ne manquent pas : le rapport Libault de 2019, qui visait déjà réformer la politique du grand âge ; le rapport El Khomri, en 2019 aussi, pour rendre attractifs les métiers du grand âge ; le rapport Vachey, en 2020, sur la branche autonomie ; celui de notre collègue Jérôme Guedj, en 2020 également, pour lutter contre l’isolement des personnes âgées ; le rapport Bonne-Meunier de 2021 sur la prévention de la perte d’autonomie, puis celui de 2022 sur le contrôle des Ehpad ; et c’est sans compter les rapports de la Cour des comptes, de la Défenseure des droits ou encore ceux du Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA).

À cela s’ajoute, implacable, la réalité de drames dont nous autres, qui formons la représentation nationale, devons tous nous sentir comptables, parce que nous avons tardé à prendre les décisions qui s’imposent. Je pense, bien sûr, aux épisodes de canicule et à ces innombrables décès dans la plus grande solitude. Je pense également à la crise du covid-19 et à ces personnes âgées, coupées de leur famille, au parcours d’accompagnement et de soins interrompu. Je pense aussi au livre de Victor Castanet qui a fait éclater au grand jour les dérives du groupe privé Orpea et leurs conséquences douloureuses sur l’ensemble du corps social et médico-social.

Là encore, les parlementaires, quel que soit leur groupe politique, ont enchaîné les auditions, les rapports et les propositions : au lendemain du scandale Orpea, la commission des affaires sociales a diligenté pas moins de quatre missions flash, toutes tournées à la fois vers la réparation et vers la construction d’une meilleure prévention de la perte d’autonomie ainsi que d’un meilleur système d’accompagnement des personnes vieillissantes. Ces missions ont à nouveau posé clairement la question des moyens, évoqué l’articulation entre les différents acteurs du grand âge et mis en évidence les difficultés nées de la privatisation des métiers du soin et du lien.

La motion de rejet préalable que mon groupe défend est un appel à avoir du courage, à ne pas se satisfaire d’un pis-aller, en attendant de faire mieux une prochaine fois.

Les acteurs concernés et les familles attendent mieux de nous. Nous ne pouvons plus nous contenter de petits pas, de premiers jalons, d’une hypothétique loi d’envergure qui n’en finit pas de se faire attendre. Il faut que nous ayons le courage de légiférer en grand. Les parlementaires peuvent légitimement l’exiger aujourd’hui, puisque nous avons accompli notre devoir à travers les multiples rapports que j’ai cités et en œuvrant, à notre échelle, en lien avec nos partenaires institutionnels et associatifs, à apporter des réponses pour améliorer les choses dans nos territoires.

Emmanuel Macron, lui, n’a consenti que des promesses qu’il n’a finalement jamais tenues. En juin 2018, le Président de la République s’était déjà engagé à proposer une loi relative à la dépendance. Il avait affirmé et réaffirmé cet engagement en juin 2020. Finalement, avant la fin de son premier mandat, quelques mesures ont été introduites dans la LFSS pour 2022, dont la création d’un tarif minimum pour l’APA de 22 euros assorti d’une dotation horaire supplémentaire de 3 euros conditionnée au respect de certains critères. Une légère revalorisation salariale a été accordée au personnel soignant des Ehpad dans le cadre du Ségur de la santé, malgré les inégalités connues dans l’attribution de cette prime – laquelle, en outre, rappelons-le, n’est pas du salaire.

Ces petits pas sont toujours bons à prendre, mais ils ne répondent absolument pas aux enjeux d’une loi sur le grand âge. De nombreuses questions fondamentales demeurent non traitées et se trouvent sans cesse repoussées : les sources de financement de la cinquième branche de la sécurité sociale, la diminution du coût d’hébergement en maison de retraite, le trop faible nombre de professionnels par résident, la création suffisante de postes en Ephad, un meilleur financement de l’APA, les insuffisances de moyens de la gériatrie, une véritable revalorisation pour le personnel social et médico-social, ou encore l’accomplissement du virage domiciliaire.

Devant ces constats objectifs, les parlementaires et l’ensemble de nos concitoyens étaient fondés à attendre qu’Emmanuel Macron et son Gouvernement honorent leurs promesses. Nous étions en droit de débattre d’un projet de loi d’envergure sur le grand âge, plutôt que de quelques mesures parcellaires dont on voudrait nous faire croire qu’elles bâtissent une société du bien vieillir. Permettez-moi de le dire abruptement : si nous bâtissons le bien vieillir sur la base du contenu de la proposition de loi, la maison sera de guingois, les malfaçons nombreuses et le risque d’effondrement certain.

Il est vrai que les rapporteures nous ont dit, dès le début de l’examen en commission, que le texte n’était pas un projet de loi et qu’il n’avait pas à vocation à s’y substituer ; on l’avait bien compris, au vu de son contenu, mais quand même ! La proposition a été plus qu’étroitement rédigée avec le ministre des solidarités. En outre, les rapporteures nous ont indiqué en commission qu’elle serait augmentée en séance par des amendements du Gouvernement tirés des conclusions du volet « bien vieillir » du CNR. Dès lors, quelle est la place des parlementaires dans cet exercice ?

Si la proposition de loi doit être la traduction de la feuille de route du ministre des solidarités et du CNR qu’il pilote, le véhicule législatif aurait tout aussi bien pu être un projet de loi, ce qui aurait permis de l’assortir d’une étude d’impact – laquelle nous a manqué sur de nombreux sujets – et aurait assuré la présence du ministre en commission pour répondre à nos questions, dans une séquence où nous pouvions amender le texte.

Aux commissaires de nombreux groupes politiques qui manifestaient leur incompréhension, tant sur la forme que sur la méthode, les rapporteures ont pris soin de préciser que, si le texte avait été un projet de loi, il aurait abordé deux grands sujets : la gouvernance de notre système de prévention de la perte d’autonomie et de soutien à l’autonomie, et la question des financements. Justement, je me demande comment l’on peut bâtir, à moyens constants, en faisant l’impasse sur les moyens humains et financiers nécessaires pour répondre aux besoins identifiés dans les multiples rapports.

La commission n’a obtenu que deux réponses. La première : « Soyez rassurés, il y aura un projet de loi de financement de la sécurité sociale. » Excusez-moi, mais ma première expérience du PLFSS, avorté à coups de 49-3 intempestifs, en octobre dernier, n’a pas été très convaincante ; cette réponse ne rassure guère. La seconde réponse : « Vous pourrez interroger le ministre au banc en séance. Vous n’aurez qu’à lui demander des engagements. »

Si c’est pour en arriver là, pourquoi ne pas avoir eu le courage de nous soumettre aujourd’hui un projet de loi sur le grand âge, monsieur le ministre ? Puisque les rapporteures m’ont enjoint de vous interpeller en séance, vous engagez-vous, si la proposition de loi n’était pas débattue dans les prochaines heures, à soumettre à l’Assemblée le projet de loi sur le grand âge que nos concitoyens attendent ardemment et qu’Emmanuel Macron leur a maintes fois promis ? Croyez-moi : si vous nous soumettez un tel projet, nous serons tous au rendez-vous. (« C’est vrai ! » sur les bancs des groupes LFI-NUPES et LR.)

La motion de rejet préalable de la proposition de loi portant mesures pour bâtir la société du bien vieillir en France exprime donc à la fois un désaccord et une exigence.

Le désaccord porte sur la forme, la méthode et le fond. Nous sommes face à un texte parcellaire, même s’il traite de sujets importants tels que la lutte contre la maltraitance ou la création d’une carte professionnelle.

D’autres, comme l’organisation de la Conférence nationale de l’autonomie, concernent la structuration du système et auraient mérité une étude d’impact. D’autres, enfin, constituent une proposition de loi dans la proposition de loi : je pense au titre II bis, introduit par des amendements des rapporteures en commission, qui prévoit l’application du principe de subsidiarité aux personnes protégées. Ce sujet aurait à tout le moins mérité l’expertise de la commission des lois.

Cette PPL est donc une accumulation de dispositions inégales, parfois incongrues, qui ne dessinent ni une unité intellectuelle, ni une unité d’action. Parce qu’il y manque une orientation politique, ces dispositions ne bâtissent rien. Elles tentent tout juste de colmater quelques brèches et traitent de la forme, mais jamais du fond, le texte contournant tous les problèmes structurels liés au grand âge. Il est pourtant urgent de discuter de ces problèmes si nous voulons savoir quelle société du bien vieillir nous entendons bâtir.

Quelles orientations et quels financements assignons-nous à la cinquième branche de la sécurité sociale dédiée à l’autonomie, pour qu’elle soit le cadre et l’outil d’une réforme structurelle du grand âge ? Comment rendre accessibles les Ehpad et réduire drastiquement le reste à charge ? Comment revaloriser la profession ? Sans aborder le problème des rémunérations, largement insuffisantes, comment donnerons-nous à ces professionnels qualifiés et dévoués les moyens d’exercer correctement leur mission ? Quand définirons-nous une politique du logement ambitieuse, permettant aux personnes vieillissantes de demeurer chez elles quand elles le souhaitent, grâce aux adaptations nécessaires ?

Toutes ces questions, nous y sommes confrontés au quotidien dans nos permanences, lorsque nous rencontrons les salariés du secteur, les responsables d’établissement et de service, et nos aînés, souvent inquiets de devenir une charge pour leurs enfants. Avez-vous réellement le sentiment de répondre à leurs angoisses avec la proposition de loi ?

Cette motion de rejet préalable est aussi, comme je le disais, une motion d’exigence : l’exigence politique de refuser de faire semblant ; l’exigence humaniste d’entendre l’inquiétude légitime de nos concitoyens au sujet des drames qui se jouent tous les jours et s’amplifieront immanquablement sans véritable réforme du grand âge ; l’exigence, enfin, d’un parlement respecté. Quand il s’agit de légiférer, nous ne pouvons pas continuer de travailler dans ces conditions, en étant renvoyés aux conclusions du CNR ou à d’hypothétiques engagements du ministre.

Monsieur le ministre, durant les débats de la commission, le mot « consensus » a souvent été mis en avant comme un mantra par les parlementaires de la majorité. Il est peut-être possible de dépasser l’incantation de façade : ajournons l’examen du texte et soumettez-nous votre projet de loi sur le grand âge.

Chers collègues, je vous invite à soutenir la motion de rejet préalable dans un souci d’exigence, pour ne pas consentir à la tactique des petits pas, pour ne pas être complices d’une PPL dont le seul titre est un mensonge et pour répondre avec honnêteté et courage aux souhaits de nos concitoyens, qui attendent que nous bâtissions une société dans laquelle chacun aura l’assurance de bien vieillir, quels que soient ses moyens et son territoire.

Je vous invite à voter pour le rejet de la proposition de loi afin de refuser clairement, dès aujourd’hui, que notre rôle de parlementaires soit subsidiaire, afin d’affirmer notre volonté de jouer pleinement notre rôle dans la définition d’une politique du grand âge, en réponse aux besoins exprimés par nos concitoyens et par les professionnels du secteur, et afin de contraindre le Gouvernement à respecter ses engagements.

(Applaudissements sur les bancs des groupes GDR-NUPES et Écolo-NUPES et sur quelques bancs du groupe LFI-NUPES. – M. Jérôme Guedj applaudit également.)

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Yannick
Monnet

Député de l' Allier (1ère circonscription)

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