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Approbation de la déclaration relative à la phase d’exploitation des lanceurs Ariane, Vega et Soyouz au Centre spatial guyanais

Mes chers collègues, l’espace est devenu en quelques années le lieu privilégié de l’expansion de l’économie du numérique, ce qui a permis à la moitié de la population mondiale d’accéder à Internet à haut débit par satellite. Les entreprises qui portent ce projet sont extrêmement puissantes. Leur objectif est la maîtrise de toute la chaîne de données numériques depuis leur émission jusqu’à leur traitement, rêve devenu réalité depuis quelques années grâce à l’effondrement du prix du kilo envoyé en orbite, qui a été divisé par vingt, passant de 200 000 à 10 000 dollars, notamment grâce aux lanceurs réutilisables, et à l’effondrement du prix des satellites, divisé par cent, avec l’émergence de satellites de la taille d’une machine à laver, produits en grande série pour 300 000 dollars l’unité.

Cette révolution n’est pas due à la main invisible du marché, elle est le fruit d’investissements publics colossaux et d’un engagement politique ferme. Les contribuables américains ont presque intégralement financé SpaceX et l’entreprise, à peine rentable encore aujourd’hui, ne doit sa survie actuelle qu’aux commandes publiques. Cette même entreprise mobilise d’ailleurs toutes ses ressources pour construire une infrastructure de 40 000 satellites destinée à couvrir le globe de son propre réseau Internet. Pour cela, SpaceX envoie 120 satellites par mois en orbite tous les ans, soit plus que l’on ne l’a jamais fait entre 1974 et 2018.

N’oublions pas que cette infrastructure est très fragile car l’espace est une poubelle où gravitent à 28 000 kilomètres par heure plus de 100 millions d’objets, mesurant quelques millimètres à plusieurs mètres. Il faut donc pouvoir déplacer les satellites en cas de collision mais la surveillance est complexe. Or, en cas de choc, une réaction en chaîne – on l’a vu avec la destruction d’un satellite par l’Inde évoquée à l’instant par Bastien Lachaud –pourrait rendre inutilisable toute l’orbite basse pendant plusieurs décennies.

Malgré ces risques évidents, il n’existe quasiment aucune coopération internationale pour mettre en place un aiguillage dans l’espace sur le modèle de l’aviation civile. Cette faiblesse de la coopération internationale en matière spatiale permet de comprendre l’obsession que Pierre Cabaré et moi-même nourrissons en tant que rapporteurs d’une mission d’information sur l’espace : comment faire pour que la diplomatie internationale prenne en compte ces dangers ? Comment coopérer à l’échelle internationale pour avancer ensemble et pour créer un espace de paix, démilitarisé ?

Et quel rôle joue l’Europe ? Et la France, quel rôle a-t-elle joué, joue-t-elle ou devrait-elle jouer ? Je suis d’accord avec tous ceux qui estiment que notre pays n’est pas assez présent sur tous ces dossiers.

Plusieurs éléments de réponses peuvent être mis en avant.

Premièrement, la France est une puissance spatiale majeure et en tant que telle, elle peut et elle doit peser de tout son poids sur la diplomatie spatiale européenne et internationale. Ce n’est que lorsqu’elle prendra le taureau par les cornes que l’Union européenne et l’Agence spatiale européenne avanceront.

Comprendre cela est fondamental.

Deuxièmement, la France est le seul pays au monde à disposer d’une loi sur les opérations spatiales. Datant de 2008, elle oblige les opérateurs à gérer leurs satellites de manière éthique leur vie durant. Elle contribue aussi à rendre les satellites français plus chers, moins compétitifs à l’échelle internationale. Il faut impérativement faire de cette loi une directive européenne, voire une base de réflexion à l’échelle internationale. La présidence de l’Union européenne nous offre une occasion historique pour cela. La France sera-t-elle présente quand elle l’exercera pour avancer sur ces questions d’espace ?

Troisièmement, l’Agence spatiale européenne, qui est déjà une institution mondiale majeure dans le domaine spatial, doit se renforcer politiquement et parler d’une seule voix, très forte. La lenteur du processus de décision, avec 22 États membres, grève son efficacité face aux concurrents. Le texte dont nous discutons en est l’exemple : il ne rend toujours pas obligatoire pour un État membre de l’Agence spatiale européenne l’utilisation de lanceurs européens. Comment disposer de tels outils et ne pas les utiliser de manière systématique ? On croit rêver ! Imagine-t-on un seul instant les Chinois ou les Américains acheter une Ariane 5 et demander aux Européens la permission de lancer l’un de leurs satellites depuis Kourou ? Évidemment que non ! Ils gèrent eux-mêmes leurs lanceurs tandis que l’Europe ne pratique aucun protectionnisme, préférant une politique de portes ouvertes. Et pendant ce temps, la France qui détenait un leadership en matière spatiale reste silencieuse.

Il faut espérer que la France et l’Agence spatiale européenne agissent sur les deux axes du spatial, en contribuant à encadrer par le droit international le nouvel usage intensif de l’espace mais aussi en faisant en sorte d’accélérer le dynamisme politique de l’ASE, de maintenir un lanceur européen unique ayant un monopole sur son territoire et de déployer une constellation européenne.

Je termine, monsieur le président, en soulignant qu’il faut également un cloud européen à même de garantir une indépendance et une souveraineté sur nos données depuis le satellite jusqu’au traitement au sol.

Voici les grands enjeux de demain pour la France et pour l’Europe. C’est un chantier extraordinaire. Là encore, agissez, monsieur le ministre, pour faire en sorte que notre État soit le moteur de ce changement.

En attendant, les députés communistes voteront pour ce texte, pour Kourou, pour la Guyane, car il permet de poser quelques jalons pour l’organisation spatiale européenne. (M. Pierre Dharréville, M. Christian Hutin et M. le rapporteur applaudissent.)

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Jean-Paul
Lecoq

Député de Seine-Maritime (8ème circonscription)

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