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Accompagnement et soins palliatifs –⁠ Droit à l’aide à mourir (PPL)

Au cours des prochaines semaines, nous examinerons successivement deux propositions de loi, l’une relative à l’accompagnement et aux soins palliatifs, l’autre créant un droit à l’aide à mourir. Je considère, pour ma part, que la division du projet de loi initial en deux textes distincts est une bonne chose. Chacun d’entre eux a pour ambition de répondre à des questions spécifiques et, par conséquent, doit être voté séparément.
Le premier texte dont nous allons débattre doit répondre à un constat simple, terrible et sans appel : selon le rapport remis en juillet 2023 par la Cour des comptes, 50 % des Français qui devraient être pris en charge en soins palliatifs n’y ont pas accès. Seuls 30 % des enfants nécessitant des soins palliatifs en bénéficient. D’après les estimations du Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie, les deux tiers des personnes qui meurent en France chaque année pourraient prétendre à des soins palliatifs.
Si aucune décision politique franche n’est prise, les estimations seront demain plus dramatiques encore puisque, selon la Cour des comptes, en raison du vieillissement de la population, de la croissance des maladies chroniques et des affections de longue durée (ALD), les besoins estimés pourraient augmenter de 23 % d’ici à 2046.
À cela s’ajoute une fracture territoriale vertigineuse : dix-neuf départements sont toujours dépourvus d’unités de soins palliatifs dédiées aux cas les plus complexes. Parmi ceux qui en disposent, le ratio d’un lit pour 100 000 habitants n’est pas toujours atteint.
La désertification médicale, qui s’étend désormais à la quasi-totalité de notre pays, amplifie ces défaillances de la prise en charge palliative –⁠ par ailleurs très inégale entre l’hôpital et le domicile. Le nombre d’interventions à domicile par les équipes mobiles pour 100 000 habitants varie de 1 à 10 selon les départements.
Qui, dans ces conditions, pourrait s’opposer à une proposition de loi qui a enfin pour ambition de rendre accessibles les soins palliatifs à toute personne qui en a besoin ? De fait, il s’agit d’une mesure de justice pour les patients et leurs familles qui ont besoin d’être soulagés, mais aussi pour les soignants qui doivent les accompagner. Nous aurions dû débattre de ce texte il y a au moins une décennie. À ce titre, il mérite un traitement à part, sérieux et exigeant.
L’examen en commission des affaires sociales a donné lieu à des avancées. Je pense notamment à la redéfinition de l’accompagnement et des soins palliatifs ainsi qu’à la précision des missions des maisons d’accompagnement. Mais –⁠ disons-le clairement – derrière le vote unanime des commissaires aux affaires sociales, il existe des points de friction, et non des moindres.
En premier lieu, certains, arguant de sa trop grande complexité, ont pu critiquer la mesure consistant à hisser au rang de droit opposable l’accès à l’accompagnement et aux soins palliatifs. D’autres, au premier rang desquels Mme la rapporteure, ont voulu supprimer les articles relatifs à la stratégie décennale et à la loi de programmation pluriannuelle, expliquant que ces dispositions n’avaient aucune valeur normative.
Mais un texte de loi fixe des normes de différente nature : il y a celles qui ont un effet immédiat et celles qui prennent acte et date et, ce faisant, engagent et obligent à terme. Faire du droit aux soins palliatifs un droit opposable, c’est traduire notre exigence en matière d’accompagnement des personnes malades et de leurs familles. C’est aussi rappeler les ARS, et donc tout gouvernement, à leurs responsabilités en matière de santé publique.
Il n’y a pas de mystère : pour rendre enfin effectif le droit aux soins palliatifs, il faut des moyens. La stratégie décennale –⁠ la définition des moyens qui lui sont dédiés, son évaluation annuelle – et la loi de programmation pluriannuelle répondent à cette exigence de moyens et de transparence à l’égard de l’ensemble de nos concitoyens. À chaque fois que nous discuterons d’un projet de loi de finances, nous, députés, rappellerons le gouvernement, quel qu’il soit, à ces outils de programmation que nous avons votés.
Cette proposition de loi relative à l’accompagnement et aux soins palliatifs est à l’image de ce que devrait être une grande loi de santé publique. Disons-nous les choses franchement : elle n’aurait jamais vu le jour sans le souhait d’Emmanuel Macron de nous conduire à légiférer sur l’aide à mourir. Nous saisissons la balle au bond, en quelque sorte. Cependant, force est de constater, madame la ministre, que vous ne pouvez pas continuer à maltraiter ainsi notre système de soins, en intervenant par bribe et juste avant qu’il ne soit trop tard.
Pour que les soins palliatifs fonctionnent mieux, il faut des hôpitaux de proximité, qui ne soient pas contraints de fonctionner sur un mode dégradé. Il faut rompre la spirale de la désertification médicale. Il faut investir dans notre système de santé et reconnaître les personnels soignants et les étudiants pour éviter qu’ils ne se découragent définitivement.
D’ailleurs, l’avis 139 du CCNE et le rapport sur les soins palliatifs publié en juillet 2023 par la Cour des comptes soulignent que ce n’est pas seulement faute de moyens financiers que le droit aux soins palliatifs, pourtant consacré depuis vingt-cinq ans, n’est pas partout effectif, mais aussi du fait de défauts structurels d’organisation.
Or de tels défauts ne se corrigent pas selon les besoins d’une proposition de loi. Ils requièrent, pour être surmontés, une remise à plat d’ensemble. C’est là encore l’avantage que présenteraient des lois de programmation en soins palliatifs, mais aussi de celles qu’il nous faudrait écrire relativement à l’ensemble de l’accès aux soins. En effet, si elles sont bien conçues en fonction des besoins, ces lois de programmation supposent de repenser l’architecture du système de soins au plus près des besoins.
C’est pourquoi, quand la porte-parole du gouvernement annonce, il y a un mois à peine, que le prochain budget sera « un cauchemar », je suis inquiet. Quand ce gouvernement a comme seule obsession de réaliser 40 milliards d’euros d’économies, sans jamais évoquer, en revanche, la possibilité de créer 40 milliards de recettes nouvelles, je suis très perplexe. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes GDR et EcoS.)
De la même manière, comment légiférer sur la fin de vie en contournant une fois de plus la promesse d’une loi « grand âge » formulée devant les Français par Emmanuel Macron il y a sept ans ? Comment prendre le virage domiciliaire ? Comment favoriser une prise en charge palliative à domicile ? Comment permettre, dans le respect des malades et des soignants, une aide à mourir quand, en l’état actuel de la proposition de loi, le domicile apparaît comme le lieu par défaut de cet acte sans qu’aient été définies au préalable les conditions les plus favorables au vieillissement chez soi ?
Vous l’aurez compris, cette première proposition de loi relative à l’accompagnement et aux soins palliatifs représente, pour l’ensemble des députés communistes et des territoires dits d’outre-mer du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, un engagement auprès des personnes malades et de leurs familles qui doit nécessairement se traduire par une obligation de moyens imposée à l’État pour l’ensemble de notre système de soins.
Nous examinerons séparément les deux propositions de loi, mais la première, en rendant compte de l’état dramatique de notre système de soins dans son ensemble, nourrit des appréhensions légitimes chez certains d’entre nous quand il s’agit d’aborder la seconde.
Précisément, le CCNE définit bien l’enjeu de cette dernière : il existe des souffrances auxquelles on ne peut remédier ni par les soins curatifs ni par les soins palliatifs. Or, pour ceux qui subissent de telles souffrances, « le droit d’avoir une fin de vie digne », consacré par la loi, peut être inaccessible. Selon moi, l’enjeu de ce texte est donc non pas de permettre à chacun de choisir librement le moment de sa mort –⁠ comme je peux l’entendre parfois –, mais bien d’apporter une réponse circonscrite à des personnes malades incurables qui ne peuvent plus trouver secours dans les soins qui leur sont administrés et qui, au regard de souffrances physiques et psychologiques insurmontables, souhaitent abréger leur fin de vie.
En ce sens, l’aide à mourir n’est pas un soin. Elle doit être envisagée quand, dans le cadre d’une affection grave et incurable, en phase avancée ou terminale, le recours aux soins est épuisé et qu’une personne malade choisit de ne plus recevoir de soins.
En revanche, l’aide à mourir est un acte médical. Car, pour prévenir toute dérive, il faut qu’elle repose sur l’expertise et l’accompagnement des soignants. De ce point de vue, j’attends de nos débats qu’ils aboutissent à la définition d’une véritable collégialité dans le texte. Un médecin ne peut pas décider seul, après avoir recueilli l’avis de deux autres soignants, que la demande d’aide à mourir doit être accordée.
Plus concrètement, l’option retenue est celle du suicide assisté et de l’euthanasie selon la volonté de la personne malade. À titre personnel, comme la majorité des membres de mon groupe, je n’y suis pas opposé. D’autres membres le sont, car ils craignent des dérives. Quelques autres encore y sont franchement favorables et souhaiteraient même que la proposition de loi soit plus ambitieuse, en permettant notamment aux directives anticipées ou à l’expression de la personne de confiance d’être opposables en la matière.
Pour ma part, je ne suis pas favorable à cette dernière mesure pour une raison simple : la personne malade doit pouvoir jusqu’au dernier moment exprimer sa décision de mourir. Le souhait de mort, notre représentation de la mort, sont variables selon l’âge, l’état de santé et les événements de la vie. Le personnel des services de soins palliatifs en témoigne : dans les jours qui suivent un accident, la demande de mort est fréquemment très forte, en raison du choc subi par la personne, avant de s’amenuiser.
J’entends également les doutes, les réticences et même la stricte opposition de certains de mes collègues, au-delà de ma propre famille politique. Il faut mesurer le poids de cette évolution législative au regard de l’état de notre système de soins, au regard des attaques persistantes dont notre modèle solidaire de protection sociale fait l’objet, au regard de la paupérisation de notre société, qui accroît la vulnérabilité dans la vie et face à ses aléas, particulièrement à l’approche de la mort. En aucun cas et d’aucune manière il ne faudrait que le recours à l’aide à mourir soit une solution de repli ou par défaut, du fait d’un manque d’accompagnement.
Dans cette perspective, avec certains de mes collègues, je proposerai de rendre plus restrictives les conditions d’accès à l’aide à mourir en ajoutant un sixième critère : la personne qui la demande doit avoir bénéficié d’un accompagnement et de soins palliatifs, si elle le souhaitait.
En aucun cas l’instauration du droit à l’aide à mourir ne doit devenir une norme, ou banaliser la fin de vie et la mort. C’est pourquoi j’entends aussi les collègues qui nous alertent sur l’état du monde au moment où nous tentons de légiférer sur l’aide à mourir. Il se caractérise par des guerres ancrées et larvées, le déploiement d’un libéralisme forcené qui prône l’individualisme mercantile ou encore les folies du surhomme et de l’eugénisme d’un Elon Musk au plus haut niveau du pouvoir aux États-Unis. Ce sont autant de dérives qui, malheureusement, travaillent les consciences individuelles et collectives.
Chers collègues, pour toutes ces raisons, cette seconde proposition de loi nous engage comme sans doute aucune autre, car il nous est demandé d’inscrire dans la loi ce qui par nature échappe à toute prise, ce dont nous nous détournons bien naturellement : l’instant de mourir. Ainsi, pour que ce droit nouveau soit bien synonyme d’une réponse exceptionnelle à un besoin clairement identifié, auquel la législation en vigueur n’apporte pas de réponse, nous devons poursuivre les débats engagés en commission avec intelligence, patience et humilité. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et EcoS. –⁠ Mme Anaïs Belouassa-Cherifi applaudit également.)

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Yannick
Monnet

Député de l' Allier (1ère circonscription)
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