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Discussions générales

Responsabilité civile des sportifs

M. le président. La parole est à Mme Marie-George Buffet.
M. François Rochebloine. Ce ne sera pas le même discours !
Mme Marie-George Buffet. Non, en effet. Je ne suis pas là juste pour quelques sports, en particulier la F1.
Après le cavalier sur les grands stades, après la loi d’exception pour préparer la prochaine coupe de l’UEFA, celle sur les paris en ligne ou les agents sportifs et enfin celle dite d’« éthique », qui fait entrer les sociétés sportives dans le droit commun du commerce, nous voici de nouveaux réunis pour discuter d’une énième loi sur le sport.
Des lois de circonstance servant les intérêts des uns et des autres mais peu l’intérêt général du mouvement sportif : voilà le triste bilan en matière de politique sportive de la législature qui touche à sa fin.
Réduire l’intervention de l’État, réduire les moyens accordés aux collectivités territoriales et donc le développement du sport pour toutes et tous, mais laisser la voie libre aux marchands pour rentabiliser un sport spectacle : voilà le fil directeur de la décennie passée. Voilà toute l’ambition pour le sport de votre majorité.
L’Institut des relations internationales et stratégiques vient de publier un rapport sur les dangers pour l’éthique sportive des paris en ligne.
Nous n’en parlerons pas, tout comme nous n’évoquerons pas les moyens d’assurer le droit au sport pour un nombre accru de personnes, grâce à un grand plan d’équipement pour la pratique du plus grand nombre, la mutualisation des moyens humains et financiers au sein du mouvement sportif.
Nous ne parlerons pas davantage du personnel Jeunesse et sport ni des missions du ministère des sports.
Ce soir, une nouvelle fois, on va nous expliquer que ces questions ne sont pas inscrites à l’ordre du jour.
M. François Rochebloine. Eh oui !
Mme Marie-George Buffet. Hélas, c’est vrai. Nous ne sommes pas réunis, ce lundi soir, pour discuter avec tout le sérieux requis d’une grande loi cadre sur le sport, une loi qui pourrait répondre aux défis d’un sport de masse et de haut niveau, porteur de valeurs éducatives et d’éthique pour 2012.
Non, nous somme réunis, j’ai cru le deviner, pour régler des problèmes d’assurances entre les écuries de FI et les fédérations nationales et internationales concernées, plus précisément sur l’indemnisation des dommages matériels.
L’agenda parlementaire est chargé. Votre majorité veut faire passer avant la fin de la session toutes les mesures régressives annoncées par le Président de la République : casse du code du travail, nouvel impôt sur les familles avec la TVA anti-sociale pour financer les exonérations de cotisations sociales patronales, renforcement de la mainmise de Bruxelles sur le budget national pour mieux imposer l’austérité.
Et malgré cet emploi du temps chargé, le Gouvernement inscrit à l’ordre du jour, en urgence, cette proposition de loi. Son contenu doit donc être essentiel !
Urgence, le mot est faible : précipitation serait plus juste. Le texte est inscrit à l’ordre du jour avant même son dépôt, intervenu le 24 janvier, et il est discuté le 31 janvier, jour de la nomination du rapporteur ! Bravo, monsieur le rapporteur !
M. Éric Berdoati, rapporteur. Merci.
Mme Marie-George Buffet. Il y aurait urgence, nous dit-on pour justifier ce bâclage en commission, car des compétitions vont bientôt débuter.
On nous avait déjà expliqué qu’il était urgent de voter la loi dite d’éthique en raison de problèmes de billetterie qu’il fallait résoudre avant Roland-Garros – ce sont vos propres propos, monsieur le rapporteur.
Mais des compétitions, chers collègues, il y en a chaque année ! Et si l’urgence avait été réelle, nous aurions pu débattre de ce texte bien avant : la jurisprudence de la Cour de cassation que vous nous proposez de détricoter date de 2010 !
À moins que l’urgence en question ne soit celle qui a motivé votre récente rencontre, monsieur le ministre, avec le président de la fédération internationale de l’automobile.
M. David Douillet, ministre. Cela n’a rien à voir.
Mme Marie-George Buffet. Cette proposition de loi est-elle un ticket de retour du Grand prix de France ?
Monsieur le ministre, je pense que cette opinion est largement partagée sur les bancs de notre assemblée, le retour d’un Grand prix en France serait une bonne chose, mais pas à n’importe quelles conditions.
Si l’objectif de cette proposition de loi est là, laissez-nous le temps d’en étudier les avantages et les inconvénients pour l’ensemble de la pratique sportive dans notre pays.
Le texte dont nous débattons ce soir traite de montants financiers importants pour les fédérations concernées, mais ces montants doivent être considérés de manière globale, car ce qui n’est pas payé par les fédérations l’est par d’autres, parfois plus cher.
Mutualiser les risques permet de baisser le coût des primes d’assurance. Négocier au niveau d’une fédération plutôt qu’à celui de chaque pratiquant aboutit au même résultat.
Chers collègues, fait-on réellement, en votant ce texte, le choix de l’efficience ?
Ne gonfle-t-on pas les coûts qui pèsent sur la pratique sportive au profit des assureurs ?
Des lors que l’on mentionne les coûts générés par la jurisprudence de la Cour de cassation pour les fédérations, il faut aussi mettre en parallèle leurs recettes.
Il est certain, de ce point de vue, que la responsabilité sans faute pèse plus sur certaines d’entre elles que sur d’autres. Certaines se financent confortablement par les droits audiovisuels, tandis que, pour la grande majorité, la survie dépend d’une manne publique de plus en plus réduite.
Mais la proposition de loi n’aborde-t-elle pas le problème sous un mauvais angle ? Ne devrait-on pas plutôt renforcer le partenariat entre les fédérations pour les aider à assumer non seulement le surcoût d’assurance induit par la jurisprudence de la Cour de cassation, mais aussi l’intégralité de leurs missions de service public ?
Enfin, ce texte n’a-t-il pas une portée plus grande que ce qu’il annonce ?
Avant 2010, la responsabilité sans faute incombait aux fédérations uniquement pendant les compétitions. La Cour de cassation l’a étendue aux périodes d’entraînement.
Avec ce texte, la responsabilité sans faute pour les dommages matériels n’incomberait plus aux fédérations ni pendant les compétitions, ni pendant les entraînements. Par contre, elle leur incomberait toujours pour les dommages corporels.
Cette proposition de loi ne se contente pas de tempérer la jurisprudence de la Cour de cassation. Elle ne consiste pas en un simple ajustement technique des variables financières. Elle modifie les règles applicables d’une manière qui sera source de confusion.
En supprimant la division artificielle entre compétitions et entraînements, la jurisprudence de la Cour de cassation a harmonisé les règles en vigueur dans le sens de la clarté.
Sans doute n’est-elle pas allée assez loin. Le même dommage causé par une raquette ou par un coup de coude ne serait en effet pas indemnisé de la même manière.
Mais au lieu d’apporter une solution sur ce point, cette proposition de loi crée une nouvelle division artificielle, entre dommages matériels et dommages corporels.
On se retrouverait ainsi dans des situations ubuesques où, pour un même accident, un pratiquant relèverait de deux régimes de responsabilité différents !
Il faut donc s’en tenir à la jurisprudence de la Cour de cassation, et prendre le temps de réfléchir à une harmonisation des différents régimes de responsabilité dans le sport.
Mais cette harmonisation doit viser à la plus grande justice. Et c’est là la question centrale posée par ce texte. Est-il juste que les fédérations indemnisent les dommages qu’elles n’ont pas causés au titre de la responsabilité sans faute ? Je pense que oui.
En effet, jusqu’en 2010, une personne ayant subi un dommage durant les entraînements n’était pas indemnisée par l’auteur du dommage parce qu’elle était réputée consciente du risque. En revanche, si le dommage survenait pendant une compétition, les fédérations devaient indemniser la victime.
La jurisprudence de la Cour de cassation est donc plus protectrice pour les victimes, notamment lorsqu’elles n’ont pas les moyens de réparer les conséquences du dommage subi, dommage dont elles ne sont pas responsables. Je pense en particulier aux sportifs amateurs ou à certains sportifs professionnels, qui n’ont pas derrière eux, pour réparer le dommage subi, une riche écurie de formule 1. Pour tous ceux-là, être victime d’un dommage grave est susceptible de compromettre l’accès à la pratique de leur sport.
Mais, au-delà, d’autres droits pourraient être compromis. Un jeune issu d’un milieu populaire dont les lunettes seraient cassées durant un match de football pourrait avoir bien du mal à les remplacer s’il est mal assuré. C’est son droit à la santé qui en serait amoindri.
Attribuer aux fédérations la responsabilité sans faute des dommages causés aux tiers, c’est affirmer le principe de solidarité dans le sport.
Cela est d’autant plus juste que les risques de survenue des dommages évoqués dans cette proposition de loi sont relativement aléatoires, car inhérents à la pratique. Il est donc logique d’en mutualiser l’indemnisation sous l’égide des organisateurs de cette pratique.
Nous aurions pu, comme la doctrine nous invitait à le faire, discuter des différences de régimes qui pourraient exister entre le sport amateur et le sport professionnel.
Nous aurions pu travailler à une loi sur la responsabilité dans le sport, adaptée aux spécificités des pratiques sportives.
Mais tel n’a pas été le choix de cette majorité, qui préfère adopter un texte ajoutant de la confusion à notre droit.
Une fois de plus, nous allons prendre le problème à l’envers et remettre en cause une composante du droit au sport sous prétexte de protéger les fédérations. Mais cela ne les aide en rien. Ce qu’elles souhaitent, ce sont des moyens pour mettre en œuvre réellement ce droit au sport.
Nous débattons ce soir, comme souvent d’ailleurs, d’un texte inachevé, et dans de mauvaises conditions. Aussi, au nom des députés du groupe GDR, je voterai contre ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

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Marie-George
Buffet

Députée de Seine-Saint-Denis (4ème circonscription)
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