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Questions à M. le ministre du redressement productif sur la politique industrielle

M. le président. Nous en venons aux questions du groupe de la gauche démocrate et républicaine.
La parole est à M. André Chassaigne.
M. André Chassaigne. Nous, députés du Front de gauche, avons, le mois dernier, approuvé la création de la Banque publique d’investissement, car nous considérons que la BPI peut être l’un des instruments du redressement productif et du sauvetage de notre industrie.
Nous sommes néanmoins loin à ce stade de la création d’un véritable pôle financier public, qui impliquerait la mise en réseau des établissements financiers publics et semi-publics et une réorientation du crédit visant à imposer le respect de critères sociaux et environnementaux, tels que le développement et la sécurisation de l’emploi, le développement de la formation et de la recherche, le financement de la transition écologique. Quels critères peut-on imposer aux entreprises ? Cela aurait été plus facile dans le cadre d’un véritable pôle financier public.
Nous ne pouvons que constater d’autre part que la BPI, en l’état, n’est pas à la hauteur de son homologue allemande, la fameuse KfW, qui dispose aujourd’hui de près de 500 milliards d’euros. Ce qui fait aujourd’hui la force de cet établissement allemand, c’est le recours à la création monétaire. C’est pourquoi nous continuerons de défendre la transformation de la BPI en établissement public de crédit de plein exercice, en capacité de se refinancer auprès de la Banque centrale européenne. Cette possibilité permettrait à la BPI de contourner l’écueil d’un recours systématique aux marchés financiers.
L’une de nos interrogations porte sur l’articulation de la BPI et de la Banque européenne d’investissement. Quelles sont les mesures envisagées, ou qui pourraient l’être, afin de garantir la cohérence et la convergence des moyens de financement respectifs de ces deux institutions ? En fait, rapprocher ces deux institutions dans leurs interventions. Quels sont les leviers qu’entend à cet égard actionner le Gouvernement afin de favoriser l’émergence, dans notre pays, d’un réseau plus dense de petites et moyennes entreprises industrielles réellement indépendantes ?
Ma question rejoint un grand nombre d’autres questions qui ont été posées, et porte sur la question de l’argent et du crédit.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Arnaud Montebourg, ministre. Monsieur le député, la BPI, création collective, n’est pas une banque comme les autres : elle est chargée de faire une concurrence « déloyale » au système financier et bancaire, en proposant moins de gourmandise dans la rémunération et plus de patience dans l’investissement. C’est là une forme d’innovation qui permet d’imaginer que nous puissions disposer d’alternatives au financement ou au non-financement par le système bancaire – le marché, comme l’on dit – d’entreprises qui ont besoin de crédits pour vivre, croître et embellir.
Vous posez la question de savoir si nous allons nous arrêter aux 42 milliards d’euros de dotation et vous avez cité, à cet égard, l’exemple allemand. Nous avons en tête de travailler sur l’épargne ; Pierre Moscovici a du reste demandé à vos collègues Dominique Lefebvre et Karine Berger de se pencher sur cette question. L’épargne est à un niveau considérable en France, notamment l’épargne issue de l’assurance-vie. Vous le savez, nous disposons d’un encours de 1 300 milliards d’euros d’assurance-vie, encours défiscalisé, dont moins de 10 % vont dans l’économie et 4 % dans les PME.
Nous sommes tout de même en droit, je l’ai dit aux assureurs, de demander des contreparties aux efforts fiscaux consentis par la nation et de demander que les assurances prennent part au redressement industriel et productif de notre pays. Vous serez donc amenés à débattre sur l’assurance-vie et à vous pencher sur la manière de faire en sorte que l’encours soit moins stérile pour l’industrie française.
Vous posez également la question de l’articulation avec la Banque européenne d’investissement. Ce sont des éléments complémentaires. Les 7 milliards d’euros qui sont alloués à la France par la BEI sont de nature à venir renforcer tous les financements ou certains financements de la BPI. C’est ensuite un travail au cas par cas, de dentellière si je puis dire, pour raccommoder les deux processus. Nous-mêmes, nous le faisons dans un certain nombre de dossiers structurants. Nous ressentons d’ailleurs une forme de disponibilité, de bienveillance de la BEI pour soutenir les actions volontaristes du Gouvernement.
Les chantiers sont devant nous : work in progress, dit-on en anglais. Nous travaillons en marchant. Nous améliorons en progressant. C’est ce que nous allons essayer de faire ensemble. (M. Jean Lassalle applaudit.)
M. le président. La parole est à M. André Chassaigne.
M. André Chassaigne. Vous parliez du travail de dentellière, monsieur le ministre. La dentelle, c’est au Puy. Dans ma circonscription, c’est le couteau. Or souvent, dans vos réponses brillantes, vous êtes un peu sur le fil du rasoir, monsieur le ministre. (Sourires.)
M. François Brottes. Il fait dans la dentelle.
M. André Chassaigne. La question est de savoir quelle en sera l’application ! Quoi qu’il en soit, je tenais à dire que vos réponses sont très précises.
Ma seconde question est d’actualité. Le 11 janvier dernier fut signé l’accord entre le Medef et trois organisations syndicales sur la sécurisation de l’emploi. Je précise que ces trois organisations ne représentent que 36 % des salariés français. Nous sommes donc loin de la majorité dont on parle.
Pour l’essentiel, cet accord répond aux exigences du Medef et du patronat.
M. Thierry Benoit. Très bon accord.
M. André Chassaigne. S’il doit se traduire par des mesures législatives, il officialisera la précarité, la flexibilité du travail et donnera une plus grande liberté aux entreprises pour licencier. C’est mon analyse et celle des députés du Front de gauche, que beaucoup ici ne partagent pas.
M. Thierry Benoit. En effet.
M. André Chassaigne. En cas de difficultés conjoncturelles, les entreprises pourront imposer une baisse des salaires, une hausse ou une diminution de la durée du travail, et des mutations qu’il ne sera plus possible de refuser. Carlos Ghosn et la direction de Renault sont passés très vite aux travaux pratiques : le 15 janvier, après avoir annoncé une réduction de près de 8 000 postes d’ici à 2016, le groupe Renault s’est livré au chantage à l’emploi. Si aucun accord de compétitivité n’est trouvé avec les organisations syndicales, il y aura des fermetures de sites et un plan social. Ce que la direction appelle « accord de compétitivité » se résume à une baisse des salaires, une augmentation du temps de travail et une remise en cause des acquis sociaux.
Alors que la trésorerie de Renault et les bénéfices réalisés permettent de continuer de verser des millions d’euros aux actionnaires – c’est le coût du capital –, on demande aux salariés de porter seuls les efforts de compétitivité. Pourtant, ce n’est pas le coût du travail qui pèse sur les résultats, mais bien plus le coût du capital avec les profits massivement versés aux actionnaires au détriment de l’emploi.
Renault et les constructeurs français pâtissent d’une baisse importante des ventes de voitures particulières et utilitaires. Pourquoi ? Essentiellement parce que les Français s’appauvrissent et parce que l’économie ralentit. Pour preuve : le marché du véhicule d’occasion – 4,5 millions de véhicules par an – n’a jamais été aussi dynamique, et pour les véhicules de luxe, les résultats restent stables.
Monsieur le ministre, les solutions pour lutter contre le démantèlement du secteur de l’automobile impliquent un changement de cap industriel et une relance économique par l’augmentation des salaires et du pouvoir d’achat. Allez-vous défendre le cap d’une politique industrielle ambitieuse ? Mais défendre une politique industrielle ambitieuse ne consiste pas, selon moi, à entériner un accord qui n’est pas représentatif.

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André
Chassaigne

Président de groupe
Député du Puy-de-Dôme (5ème circonscription)

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