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Pt Sénat visant à sécuriser et réguler l’espace numérique - CMP

Ce projet de loi technique, qui embrasse de nombreuses branches du droit, nous a été présenté en urgence, dans des délais particulièrement serrés. La rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire ne corrige pas les problèmes de fond que nous avions identifiés en première lecture en matière de protection des libertés fondamentales, de protection des mineurs, de pornographie, de régulation des jeux à objets numériques monétisables et de protection des consommateurs.

Nous partageons la volonté de restreindre l’accès des mineurs à la pornographie et de faire appliquer enfin cette interdiction. Cependant, la vérification de l’âge doit comporter des garanties importantes en matière de droit à la vie privée : nous ne pouvons vérifier l’âge à n’importe quel prix, et les éditeurs ne doivent pas posséder les données des utilisateurs. C’est pourquoi nous plaidons pour une technologie en double anonymat par un tiers de confiance. En l’état actuel de la rédaction, cette exigence n’est nullement satisfaite : l’article 3 contourne, pour reprendre les mots mêmes du ministre, le juge judiciaire.

Si nous ne pouvons que partager la volonté de lutter contre les contenus pédopornographiques, l’alignement sur le régime antiterroriste, avec un retrait des contenus dans des délais très courts, à la main des autorités administratives, ne semble pas être la réponse adaptée.

De même, avec l’article 3 bis A, on remplace une compétence par une expérimentation. La précédente rédaction conférait à l’autorité administrative la compétence de retirer les contenus qui relevaient des actes de tortures, de barbarie, de représentation de viol ou d’inceste. Désormais, seuls les actes de barbarie sont visés. Nous ne pouvons pas nous satisfaire de cette disposition qui néglige le caractère essentiellement criminel des contenus pornographiques.

Concernant le filtre antiarnaques, si nous ne pouvons que partager l’objectif de lutter contre les arnaques en ligne, nous rejetons le fait qu’une autorité administrative puisse imposer le blocage de l’accès à un service de communication au public en ligne en raison des risques importants que cela pose pour l’exercice des libertés individuelles, notamment la liberté d’expression et de communication. Nous considérons que tout blocage de site devrait être autorisé par un juge judiciaire afin de vérifier que la demande n’est ni erronée ni abusive au regard des libertés fondamentales.

De même, la peine complémentaire consistant à bannir des réseaux sociaux, pour une durée limitée, une personne coupable de propos illicites doit nous conduire à nous interroger, tant sur la faisabilité du dispositif que sur le recours à des traitements intrusifs pour l’ensemble des utilisateurs.

Par ailleurs, nous sommes opposés à la création d’un délit général d’outrage en ligne, susceptible de faire l’objet d’une amende forfaitaire. Ce délit, défini de façon large et floue, comporte un risque d’atteinte à la liberté d’expression. En outre, il est à craindre qu’en se superposant à l’arsenal répressif existant, l’article nuise à l’intelligibilité et à la prévisibilité de la loi pénale. Enfin, la procédure d’amende forfaitaire, qui permet de prononcer une sanction pénale en l’absence de procès, déroge à plusieurs principes du droit pénal et de la procédure pénale tels que le droit au respect de la présomption d’innocence, le principe du contradictoire et les droits de la défense, le principe d’individualisation des peines et, enfin, le droit d’accès au juge.

Concernant les Jonum, nous nous opposons à l’expérimentation. Encore une fois, c’est la protection d’une filière économique qui l’emporte sur la santé publique. En effet, le texte prévoit qu’un décret en Conseil d’État établisse une dérogation à l’expérimentation, en autorisant l’obtention de récompenses autres qu’en monnaie ayant cours légal ; cette dérogation, qui permet l’obtention de cryptomonnaies, rend ineffectif l’ensemble du dispositif.

Enfin, l’article essentiel, introduit par le Sénat, qui visait à empêcher tout accès d’un État tiers aux données nécessaires à l’accomplissement des missions de l’État et à la protection de la santé et de la vie des personnes, ne subsiste plus que dans une version très édulcorée, aux garanties incertaines.

Le texte ne se donne pas non plus les moyens de bâtir un cloud souverain en favorisant l’émergence d’acteurs publics à même de réguler le stockage, l’usage et le traitement des données d’un côté, ni de garantir l’autonomie stratégique dans la disponibilité des systèmes de l’autre.

En matière de régulation du numérique, vous privilégiez les intérêts des acteurs économiques du marché très lucratif de la data à ceux de nos concitoyens. Pour preuve, les pouvoirs étendus confiés à l’Arcep – Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse – et à l’Arcom, au détriment de la Cnil – Commission nationale de l’informatique et des libertés. Ce projet de loi, qui a fait l’objet de plusieurs mises en garde de la Commission européenne, autorise le contournement du juge judiciaire au profit de l’autorité administrative. L’équilibre entre les exigences de sécurisation de l’espace numérique et la préservation des libertés fondamentales ne nous semble donc pas atteint. Plus encore, vous avez fait le choix de privilégier les intérêts des acteurs du marché de la data à ceux de nos concitoyens. C’est la raison pour laquelle nous voterons contre le texte. (M. Gérard Leseul et Mme Eva Sas applaudissent.)

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