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Pt Sénat Réparation des personnes condamnées pour homosexualité entre 1945 et 1982

Le 20 décembre 1981 était examinée la proposition de loi dépénalisant l’homosexualité. Gisèle Halimi, rapporteure, affirmait alors : « La norme sexuelle ne se définit pas. Elle se dessine à l’échelle de chaque corps, de chaque enfance, de chaque culture, de chaque plaisir […]. » Je constate que ceux qui combattent ces propos, voire les exècrent, sont encore trop nombreux et que l’homophobie perdure dans notre société, créant des souffrances multiples.

Tenus il y a quarante ans, les propos de Gisèle Halimi conservent toute leur actualité et leur pertinence. Les réactionnaires guettent et le pinkwashing ne suffira pas à faire obstacle à la culture homophobe qui traverse la société et qu’il faut s’atteler à détricoter.

Ce combat n’est donc pas fini. La présente proposition de loi est nécessaire à la réparation, mais elle est aussi une pierre politique et symbolique supplémentaire apportée à la lutte contre les LGBTphobies.

Au Sénat, elle a été vidée d’une partie de son contenu initial. Les débats ont vu les sénateurs tenter d’absoudre l’État de ses responsabilités vis-à-vis de ces discriminations abjectes et de ces persécutions pourtant documentées. Cela témoigne d’une forme de persistance dont notre analyse doit tenir compte pour pouvoir combattre efficacement l’homophobie.

Les sénateurs ont d’abord cherché à renier l’existence de lois homophobes qui ne sont pas seulement à l’origine de souffrances, mais aussi de persécutions. Selon certains d’entre eux, les souffrances vécues par les homosexuels durant cette période seraient le fait « d’éléments extérieurs » et non de la loi elle-même. Or jusqu’en 1982, la loi pénalisait l’homosexualité. Par ailleurs, il n’est pas seulement question de mesures pénales, mais également d’un corpus législatif répressif qui a relégué l’homosexualité et les personnes homosexuelles aux marges de la société : je pense à l’obligation pour un locataire d’occuper son logement « en bon père de famille », supprimée en 1983, ou à l’obligation de « bonne moralité » des fonctionnaires, supprimée en 1984. (MM. Andy Kerbrat et Boris Vallaud applaudissent.)

Ensuite, le Sénat a voulu supprimer les années correspondant au régime de Vichy de la période couverte par la reconnaissance de la responsabilité de l’État, au motif que Vichy n’est pas la République. Cet argument de circonstance tente de dissimuler la permanence d’une homophobie d’État. C’est en effet sous Vichy que la France instaure une majorité sexuelle à 21 ans pour les personnes homosexuelles – alors qu’elle s’établit à 13 ans pour les personnes hétérosexuelles. Cette discrimination a légitimé la persécution et l’arrestation de dizaines de milliers d’hommes. Quelques centaines d’entre eux furent déportés depuis la France vers les camps de rééducation et de concentration.

Néanmoins, il y a bien une continuité juridique entre le régime de Vichy et les lois en vigueur sous la IVe République. Il faudra attendre la loi Forni de 1982 pour mettre un terme à la répression pénale de l’homosexualité en France. Cette même année, le ministre de la santé communiste Jack Ralite retira l’homosexualité de la liste des maladies mentales – dix ans avant l’Organisation modiale de la santé (OMS).

Par ailleurs, l’exigence de réparation a été supprimée au Sénat au motif qu’il serait difficile de calculer le nombre de personnes concernées comme de prouver que les persécutions ou déportations ont été motivées par leur homosexualité. La recherche en ce domaine doit être reconnue pour que la mémoire puisse vivre et nous soutiendrons des amendements en ce sens. Un tel travail d’enquête est possible, si l’on se réfère à l’application des lois de reconnaissance et de réparation dans d’autres pays tels que l’Espagne, le Canada ou l’Allemagne, qui ont tous réparé financièrement les persécutions.

Reconnaître sans réparer, ce n’est pas reconnaître pleinement. La réparation est éminemment importante eu égard à l’objectif visé : que la République reconnaisse sans ambages sa responsabilité pour avoir maintenu en vigueur, entre 1945 et 1982, des infractions à caractère discriminatoire spécifiques pour les personnes homosexuelles.

La nouvelle rédaction du texte, issue de la commission, rétablit la réparation financière ainsi que la création d’une commission chargée de statuer sur les demandes. Nous pensons qu’il s’agit d’un pas très important, bien qu’il appelle des suites. Nous tenterons d’améliorer le texte, conscients qu’il faut poursuivre la lutte, mais nous le voterons évidemment avec conviction. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR-NUPES, LFI-NUPES, SOC et Écolo-NUPES, ainsi que sur quelques bancs des groupes RE, RN, HOR et LIOT.)

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