Interventions

Discussions générales

Pt sénat modernisation de l’action publique territoriale et affirmation des métropoles

M. le président. La parole est à M. Gaby Charroux.
M. Gaby Charroux. Monsieur président, mesdames les ministres, monsieur le rapporteur, chers collègues, j’ai eu droit il y a un instant à une déclaration d’amour,…
M. Marc Dolez. Eh oui !
M. Gaby Charroux. …mais aux déclarations, je préfère les preuves d’amour. Plus sérieusement, je vais vous livrer un autre aperçu, une autre perception de la situation dans le département des Bouches-du-Rhône.
Selon l’idée que je m’en fais, l’honneur du débat parlementaire réside dans l’expression respectueuse d’avis différents. C’est ce à quoi je vais m’employer.
La coopération intercommunale « se fonde sur la libre volonté des communes d’élaborer des projets communs de développement au sein de périmètres de solidarité » : telle est la définition figurant à l’article L. 5210-1 du code général des collectivités territoriales. Le fondement de la coopération intercommunale réside donc bien dans la libre volonté des communes.
Permettez-moi de dire que le projet de loi que nous examinons est bien éloigné de ce principe. Il faut donc trouver une nouvelle définition de la coopération intercommunale, qui pourrait être la suivante : « La coopération intercommunale, avec la création des métropoles, se fonde sur l’obligation pour les communes d’élaborer des projets définis par une structure centralisée imposée par l’État. »
Telle est, mes chers collègues, la nature du projet de loi que nous allons examiner. Reconnaissez que nous sommes bien loin du concept de décentralisation. J’en veux pour preuve les dispositions du chapitre III du titre II relatives aux dispositions spécifiques à la métropole Aix-Marseille-Provence.
Les sénateurs, représentants élus des collectivités territoriales, ont pris une lourde responsabilité en émettant un vote favorable alors que sept sénateurs des Bouches-du-Rhône sur huit, 109 maires sur 119, représentant un million d’habitants, cinq présidents d’EPCI sur les six concernés et dix maires sur les dix-huit qui forment l’actuelle communauté urbaine de Marseille sont opposés à la création de cette structure centralisatrice. Je crains que, sous la pression conjuguée du Gouvernement et de M. Jean-Claude Gaudin, ces sénateurs n’aient pas pris réellement la mesure des spécificités de notre département, en décidant de créer une structure qui, dans les faits, ne pourra voir le jour sans le consentement des populations.
Combien de lois, dans l’histoire de notre pays, sont mort-nées faute d’avoir reçu une application concrète ? Dernièrement, la loi du 16 décembre 2010, qui portait sur le même sujet, est demeurée, dans notre département comme dans le reste du pays, au fond des tiroirs en raison de l’opposition unanime des élus et des citoyens. Dès 1972, la loi Marcellin, qui prétendait imposer des regroupements de communes, est restée également dans les mémoires comme un échec cuisant du législateur.
On peut se poser légitimement la question : à quoi sert-il, en matière de territoires et de décentralisation, de voter des lois à l’opposé des attentes des habitants et auxquelles les élus chargés de leur mise en œuvre sont opposés ?
Cela est d’autant plus inacceptable que les membres de l’actuel gouvernement ont rejeté comme un seul homme la loi de 2010 instituant les métropoles et s’étaient engagés, si la gauche revenait au pouvoir, à abroger ces dispositions. Aujourd’hui, ce sont des dispositions similaires, mais encore plus contraignantes, qui sont soumises à notre examen.
À quels objectifs cela répond-il ? Celui de la réduction des déficits publics sous l’effet de la contrainte européenne ? De l’affaiblissement des services publics locaux, qui sont souvent le seul recours de nos concitoyens face aux politiques d’austérité qui les frappe de plein fouet ? Mais en quoi est-il plus important de satisfaire les désirs des technocrates de la Commission européenne – je généralise quelque peu – que de répondre aux attentes légitimes des habitants ?
Vous n’allez tout de même pas provoquer une nouvelle « guerre des demoiselles », à l’image de celle engendrée par la décision de Charles X, en 1832, d’ôter aux communes leurs prérogatives domaniales.
M. Marc Dolez. Très bien !
M. Gaby Charroux. Eh oui ! Au XIXe siècle, la recentralisation imposée ne passait pas et l’État avait dû reculer.
M. Marc Dolez. Excellent !
M. Gaby Charroux. Vous nous avez dit, madame la ministre, que le texte adopté au Sénat avait connu des avancées importantes, qui répondaient aux attentes des maires des Bouches-du-Rhône : j’en prends acte pour demander aussitôt : lesquelles ?
Parmi ces avancées, on nous explique que tous les maires seront représentés au sein du conseil de métropole. Mais c’est déjà le cas : la loi du 16 décembre 2010 le prévoit expressément. L’article 30 B constitue une compensation de plus donnée au maire de Marseille, seul sénateur des Bouches-du-Rhône favorable à la métropole. Avec cet article, nous allons avoir, au sein du conseil de métropole, une surreprésentation de la ville de Marseille, qui va disposer de plus de représentants en cette enceinte – plus de 44 % des conseillers, me semble-t-il – qu’elle n’a de conseillers municipaux. Ce conseil va devenir une structure tentaculaire de 238 membres.
D’ailleurs, le sénateur UMP Bruno Gilles a déclaré : « Les neuf amendements que nous avons présentés ont presque tous été votés. Ce n’est pas si mal que cela, on n’aurait peut-être pas obtenu autant avec un gouvernement de droite. »
S’agissant du foncier, vous dites que le plan local d’urbanisme sera élaboré au niveau des conseils de territoire, en étroite collaboration avec les communes. Mais dans la réalité, c’est le conseil de métropole qui le votera et les communes en seront dessaisies, ce qui est inacceptable, d’autant que nul ne sait ce que seront réellement les conseils de territoire, leurs limites et leurs moyens.
S’agissant de l’aménagement et de la construction de logements sociaux, je suis effaré d’entendre que toutes les communes des Bouches-du-Rhône feraient preuve d’égoïsme alors que la plupart d’entre elles dépassent de beaucoup le seuil minimal de logements sociaux fixé par la loi.
Enfin, le Sénat a supprimé la disposition relative aux vingt millions d’euros de bonus en dotation. Quand bien même nous les réintroduirions aujourd’hui, on perçoit à quel point ce choix serait fragile.
Dans tous les cas, au vu des besoins de développement de Marseille et de son aire urbaine, au vu aussi des trois milliards d’euros de dette cumulée de la ville de Marseille et de la communauté urbaine de Marseille, cette somme donne la mesure du désengagement de l’État.
Il reste une métropole coûteuse, inefficace, illisible, sans moyens, à la gouvernance complexe et rejetée par les maires et les citoyens ; vaste programme !
En réalité, comme l’ont dit les collègues qui m’ont précédé à cette tribune, nous avons face à nous un projet de centralisation qui va éloigner les centres de décision des citoyens.
C’était déjà l’esprit de la loi du 16 décembre 2010 que nous avons combattue ensemble. Il faut à présent abroger cette loi et la gauche, à l’origine des lois de décentralisation, doit faire face à ses responsabilités politiques en renforçant le rôle des communes, la démocratie de proximité, les services publics locaux et la coopération intercommunale fondée, comme le prévoit la loi, sur des coopérations utiles, efficaces et volontaires.
Il faut s’attaquer sur le fond au problème de Marseille, dont les populations subissent à la fois les politiques d’austérité qui sont menées dans ce pays depuis trop d’années, la désindustrialisation du port de Marseille, de la vallée de l’Huveaune ou de l’Estaque, cher à mon ami Henri Jibrayel, les mauvais choix urbains et sociaux opérés à la fin des années soixante et le refus de coopération.
Et surtout – surtout –, Marseille a besoin de la solidarité nationale, de l’investissement de l’État, pour connaître l’essor qu’elle mérite. La solidarité départementale est quant à elle déjà acquise grâce aux règles de péréquation horizontale imposées aux EPCI existants.
Arrêtons donc de nourrir les fantasmes utilisés comme arguties depuis des mois. La sécurité, ou plus précisément son absence ? La métropole réglera le problème. L’emploi ? C’est la métropole qui réglera le problème. Le logement ? C’est encore la métropole qui réglera le problème. Les transports ? C’est toujours la métropole qui réglera le problème… J’ai même entendu dire que le chômage à Marseille serait lié à l’absence de métropole. Je pourrais bien le croire si Marseille était la seule ville de France à souffrir du chômage, mais il me semble, hélas, que ce n’est pas tout à fait le cas.
On disait aussi que la métropole permettrait de hisser Marseille au niveau de Gênes et Barcelone ; quelle confusion ! Gênes dispose d’une seule ligne de métro, qui dessert seulement huit stations, tandis qu’à Barcelone, le taux de chômage est supérieur à 25 %. Je ne suis pas certain qu’il soit de l’intérêt des Marseillais de se « hisser » à cette hauteur-là !
Marseille connaît un retard considérable en matière de transports – il a été dénoncé encore récemment par la maire de secteur des quinzième et seizième arrondissements –, mais tandis qu’elle double ses lignes de métro par des lignes de tramway, des quartiers entiers demeurent isolés. À l’échelle départementale, ce n’est pas la métropole qui réglera cette question. Elle ne pourra se régler qu’avec le réseau ferroviaire qui relève de la compétence de la région et qui subit les politiques d’économies drastiques de la SNCF sur le réseau TER.
J’ai bien peur que l’on ne fasse croire aux populations de Marseille et du département des Bouches-du-Rhône qu’il suffit de créer une nouvelle structure pour régler, d’un coup de baguette institutionnelle, les problèmes quotidiens. Ceux-ci relèvent non pas de choix structurels mais de choix politiques ambitieux et résolument ancrés à gauche.
En matière d’emploi, de logement, d’environnement, d’infrastructures, de politique industrielle ou de fiscalité locale, ce sont les choix du Gouvernement qui détermineront l’évolution économique et sociale.
Nous sommes, dans le département des Bouches-du-Rhône, porteurs de propositions – Mme la ministre les connaît bien – que nous défendrons au cours de ce débat malgré le peu de temps qui nous est accordé.
En premier lieu, au vu du chamboulement institutionnel qu’elle provoque et des réticences qui ont été exprimées à son encontre, nous souhaitons que la création de la métropole soit soumise à un référendum.
M. Marc Dolez et M. Patrick Ollier. Très bien !
M. Marc Dolez. La parole au peuple !
M. Alain Chrétien. La voix au peuple !
M. Gaby Charroux. Vous avez déclaré, madame la ministre, que vous aviez élaboré ce projet de loi non pas pour l’union des maires des Bouches-du-Rhône mais pour les populations. Allez au bout de votre démarche et proposez un référendum sur cette question !
M. Patrick Ollier. Très bien !
M. Jean-Frédéric Poisson. Excellent !
M. Gaby Charroux. À tout le moins, acceptez, comme le demande l’Association des maires de France, que la création de la métropole soit soumise aux règles de création des EPCI par le vote des communes qui la composent.
M. Alain Chrétien. Et non pas par décret !
M. Gaby Charroux. Nous portons, avec l’union des maires des Bouches-du-Rhône, un projet alternatif qui permettra, en associant les communes, les EPCI, le département et la région, de développer des coopérations efficaces au travers d’un établissement public opérationnel de coopération à l’échelle du département. Vous connaissez ce projet, madame la ministre, car nous en avons discuté à plusieurs reprises lors de nos rencontres. Sérieux et constructif, il est une vraie réponse, consensuelle et opérationnelle, aux problèmes posés ; débattons-en !
Enfin, et ce n’est pas la moindre de mes inquiétudes, je souhaite que le débat en séance ne fasse l’objet d’aucune obstruction en dehors de celle qui est imposée par la procédure que vous avez retenue.
La commission des lois a envoyé un mauvais signal en rejetant systématiquement tout amendement relatif à l’article 30.
M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Non, je ne peux pas vous laisser dire cela !
M. Gaby Charroux. La manœuvre est simple : faire adopter conforme l’article issu du Sénat pour clore le débat sur la métropole marseillaise. Ceci n’est pas acceptable. Même des députés de votre camp, favorables à la métropole, ont baissé pavillon en retirant leurs amendements. Il s’agit d’une négation de la démocratie et du rôle de notre assemblée. Toute volonté de passage en force ne ferait qu’accroître des tensions déjà fortes dans le département des Bouches-du-Rhône.
M. Patrick Ollier. Il a raison !
M. Gaby Charroux. J’espère de tout cœur, madame la ministre, monsieur le rapporteur de la commission des lois, qu’un autre état d’esprit présidera à nos travaux. C’est dans ce sens que je m’inscris dans ce débat. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

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Gaby
Charroux

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