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Pt org et Pt sûreté nucléaire - CMP

MOTION DE REJET PREALABLE

En septembre 1963, le général de Gaulle, alors en tournée d’inspection des premières constructions de centrales nucléaires, déclarait que l’énergie atomique « est, comme vous le savez tous, le fond de l’activité de demain ».

En tant que député communiste, je crois que demain est déjà là. Demain, c’est le réchauffement climatique et ses multiples conséquences, qui nous obligent à disposer d’une source d’énergie décarbonée. C’est la guerre aux portes de l’Europe, qui nous oblige à trouver des sources d’énergie alternatives au gaz russe. C’est la nécessité de disposer d’une énergie pilotable alors que nous cherchons à réindustrialiser et à électrifier les usages.

Je sais que nous ne partageons pas tous le même constat. Sur ces bancs, figurent des gaullistes et des communistes, qui se souviennent d’avoir apporté leur concours à la construction de notre outil de production d’énergie nucléaire. D’autres pensent différemment et tous les points de vue sont légitimes : je tenais à le dire d’emblée. Mais quelle que soit notre religion, si je puis le dire ainsi, les uns souhaitant que le nucléaire figure dans le mix énergétique, les autres ne le voulant pas, cette énergie fait partie de notre réalité. Il faut donc la traiter avec intelligence. Il faut donc préserver la confiance.

Lors de la campagne présidentielle de 2022, Emmanuel Macron a présenté ses objectifs énergétiques pour notre pays, à savoir la relance de la filière nucléaire française, grâce à la construction d’au moins six réacteurs de type EPR, et la prolongation de la durée de vie des centrales existantes. Or, qu’on adhère ou non à ces objectifs, le contrat est clair : une relance de la filière ne peut avoir lieu qu’à cadre de sûreté constant – cadre qui demeure la condition sine qua non de la confiance.

Pourtant, depuis un an et demi, vous tentez de la briser. Vous avez d’abord agi à la hussarde, en essayant d’introduire par voie d’amendements une réforme du modèle de sûreté nucléaire, que la représentation nucléaire s’est empressée de balayer. Ensuite, après des mois d’offensive, vous avez présenté un projet de loi fabriqué sans consentement ni consensus, et contre l’avis de tous, quoi que vous en disiez désormais.

Il aurait été utile de mettre à profit ces quelques mois pour convaincre les parlementaires et mettre d’accord les salariés et les experts. Mais pas plus aujourd’hui qu’il y a un an et demi, il n’existe de raison de réformer notre système de sûreté nucléaire, si ce n’est une obsession pathologique pour semer la pagaille et le désordre ! Le débat au Parlement n’aura pas levé nos doutes et nos interrogations, pas plus que ceux de la communauté scientifique. Aucun rapport ne l’aura permis non plus, y compris celui que vous corédigé et présenté à l’Opecst en juillet 2023, monsieur le rapporteur Fugit. Ce rapport n’a pas décelé la moindre faille dans le modèle français – pas plus que ceux de tous les organismes compétents en matière de sûreté nucléaire.

L’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) nous a-t-elle demandé de réviser notre modèle de sûreté nucléaire ? Évidemment que non ! Elle met régulièrement en lumière les meilleures pratiques dans ce domaine et la France est souvent citée en exemple. D’autres organismes ou personnalités ont-ils appelé de leurs vœux une telle réorganisation ? Non ! En tout cas, ce ne fut le cas ni des anciens présidents de l’Opecst ni de l’Anccli.

Même la Cour des comptes, pourtant avide de processus de réorganisation et de fusion, déclarait en 2014 que « la fusion [de l’ASN et de l’IRSN] constituerait une réponse inappropriée par les multiples difficultés juridiques, sociales, budgétaires et matérielles qu’elle soulèverait », et adoptait successivement, en octobre 2018 et avril 2021, des observations définitives relatives à ces deux organismes, pointant d’ailleurs leur efficacité.

Et je ne parle pas des premiers concernés que sont les salariés ! Du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) à l’IRSN, tous ont dénoncé les risques majeurs liés au projet, s’alarmant d’un possible délitement de la recherche et d’une possible désorganisation de la sûreté nucléaire en pleine relance de la filière. Et tous ont signalé les risques de perte de compétence et d’indépendance qu’une fusion occasionnerait.
Comme beaucoup, parmi ceux qui croient à la relance de la filière nucléaire, nous ne pouvons ignorer ces alertes, d’autant que le débat nous a prouvé, une fois de plus, combien le projet ne répond, au bout du compte, à aucune justification technique ou scientifique. Il est seulement le fait du prince ! Les réelles justifications d’un tel pari demeureront opaques et secrètes, murées dans le silence du conseil de politique nucléaire et d’un rapport confidentiel.

Patiemment, au rythme des alternances et des événements, la France a construit un modèle original, unique ; un modèle de sûreté qui vise le progrès continu et qui s’oppose en l’occurrence au modèle américain. Vouloir casser ce modèle, c’est ignorer que la démonstration de la sûreté ne peut se résumer à une assertion. Il faut douter pour convaincre ! J’insiste : en matière de sûreté et de sécurité, le doute doit tracer la route.

Si le modèle français a perduré, c’est qu’il a été un moteur de changement et qu’il répond aux défis du moment, qui sont, je le répète, la relance de la filière et la prolongation de la durée de vie des centrales existantes.

Pourquoi, dès lors, mettre au placard ce qui a permis à la France d’être le pays à la fois le plus en avance en matière nucléaire et le plus sûr de son parc ? Pourquoi réformer ce qui fonctionne dans un pays où tant de choses vont si mal ? Pourquoi donner des arguments supplémentaires à mes collègues qui expriment des doutes importants sur la relance de la filière ? Depuis un an et demi, il est plus que légitime de se poser ces questions.

Loin d’y répondre, la discussion de ce texte aura accumulé les invraisemblances, entre déni et ignorance du Gouvernement. Le débat aura été empêché, y compris lorsque nous avons souhaité améliorer les conditions de cette fusion pour les personnels et l’organisation – transformation de l’Autorité en autorité administrative indépendante (AAI) ou séparation des expertises, de défense et civile, jusqu’à présent conjointes.

Que l’on croie ou non à la relance nucléaire, l’absence d’étude d’opportunité sérieuse doit nous conduire en conscience à refuser de donner un blanc-seing à ce projet jupitérien de fausse simplification. Fusionner des entités comme l’ASN et l’IRSN n’améliorera pas la fluidité du système – rien ne le démontre. Au mieux, la réforme durera dix ans. Quels gains en tirerons-nous ? Nous n’en savons rien. La quête de rationalité et d’efficience des grands ministères et des administrations ne produit pas souvent de bons résultats…

Votre réforme créera une surcharge de travail inédite pour une structure en pleine réorganisation et des personnels sous tension. Avons-nous amélioré la gouvernance territoriale en fusionnant les régions ?

Avons-nous doté la France d’outils sanitaires stratégique en créant les agences régionales de santé (ARS) ?

À ces questions, tout le monde répond « non ». Le risque, c’est une réforme à l’économie : fusionner ne servira peut-être, à la fin, qu’à faire baisser la dépense publique en matière de sûreté, alors que c’est tout le contraire qu’il faut faire ! C’est en substance ce qu’affirmait le rapport de notre collègue sénateur Les Républicains, Jean-François Rapin, en mai 2023. Nous ne voulons pas d’une réforme comptable qui ferait de nous des apprentis chimistes, à l’heure où beaucoup doit être fait pour accélérer la relance de la filière.

En tant que député de la circonscription où se situent Dieppe et Penly, qui accueillera bientôt le premier réacteur de type EPR 2, je suis conscient des impensés de la loi relative à la relance de la filière nucléaire. Pourquoi créer de nouveaux désordres avec le présent texte ? Qu’en sera-t-il de l’articulation de la législation relative au nucléaire et de l’objectif zéro artificialisation nette (ZAN) ? Qu’en sera-t-il de la conciliation de la protection des zones littorales avec les installations nécessaires au chantier ? Qu’en sera-t-il enfin de l’accompagnement des territoires qui accueillent les nouveaux réacteurs de type EPR, en matière d’infrastructures et de formation ?

Ces questions appellent des réponses urgentes et concrètes. Nous aurons demain matin, je l’espère, monsieur le ministre, l’occasion d’échanger.

J’y insiste, la formation fait encore défaut : doit-on consacrer du temps, des moyens et des effectifs à orchestrer une fusion inutile – une fusion de logos – alors que nous devrions nous concentrer sur le renouvellement des savoir-faire et former 100 000 personnes ?

La réforme de la sûreté nucléaire va nous faire perdre un temps précieux alors que le dispositif actuel fonctionne. Pire, elle risque d’être un nouveau moyen de désorganiser notre outil de production nationale, alors que nous venons, tous ensemble, de rappeler le caractère incessible d’EDF.

Le débat aura permis de faire tomber les masques, dévoilant vos velléités de confier à des marchands de savonnettes – et de soleil – la création et l’exploitation des petits réacteurs modulaires (SMR). C’est une ligne rouge inacceptable !

Une majorité de nos concitoyens est prête à adhérer au projet de relance de la filière nucléaire – cette majorité se reflète d’ailleurs au Parlement –, mais pas n’importe comment, ni à n’importe quel prix, en faisant des économies sur notre sûreté nucléaire et notre sécurité. C’est pourquoi je vous invite à voter cette motion de rejet préalable sans hésiter. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR-NUPES, LFI-NUPES, SOC et Écolo-NUPES.)

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Sébastien
Jumel

Député de Seine-Maritime (6ème circonscription)

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