Interventions

Discussions générales

Pt modernisation de l’action publique territoriale et affirmation des métropoles

Mme la présidente. La parole est à M. André Chassaigne.
M. André Chassaigne. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, c’est avec gravité et préoccupation que je prends la parole sur ce projet de loi d’affirmation des métropoles.
Vous l’avez compris, mesdames les ministres, notre désaccord est majeur.
M. Hervé Gaymard. Très bien !
M. André Chassaigne. Je veux tout d’abord élever une protestation solennelle contre les conditions d’examen de ce projet de loi. Alors que ce texte porte un bouleversement institutionnel inédit de l’organisation de notre République,…
M. Marc Dolez. C’est vrai !
M. André Chassaigne. …nous sommes sommés de l’examiner dans les pires conditions,…
M. Marc Dolez. Eh oui !
M. André Chassaigne. …en trois jours, en session extraordinaire, à la veille de la trêve estivale, sans préparation et sans concertation.
Le texte a en effet été modifié du tout au tout en commission, avec un mépris non dissimulé pour le travail des sénateurs. L’article 24 de la Constitution dispose pourtant que le Sénat assure la représentation des collectivités territoriales de la République. Qu’importe, rien ou presque rien de ce que nos collègues ont voté n’a été maintenu. Nous avons au final, comme sorti d’une boutique à un sou de l’Histoire, un projet qui tourne le dos aux débats des états généraux lancés par le Sénat et, au mieux, pour citer Alexandre Vialatte, le détail perdu d’un ensemble tronqué. (« Très bien ! » et applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.)
À la dernière minute, en catimini, le Gouvernement, avec la complicité d’une poignée de députés, a réécrit intégralement le texte pour y réintroduire la métropole du Grand Paris. Il en résulte une copie particulièrement indigeste. Remodeler de fond en comble la République par voie d’amendement, en commission, c’est une insulte au Parlement, aux élus et aux citoyens.
Plusieurs députés du groupe UMP. Très bien !
M. Marc Dolez. Bravo !
Un député du groupe UMP. Quelle majorité !
M. André Chassaigne. Cela achève de nous démontrer que, sur ce texte comme sur tant d’autres, les conditions d’un travail parlementaire de qualité ne sont pas réunies. À titre d’exemple, le rapport a été rendu public trente minutes avant la clôture du délai de dépôt des amendements. Pour une réforme de cette ampleur, c’est d’une extrême gravité.
M. Marc Dolez. Il fallait le dire !
M. André Chassaigne. Je joins par conséquent ma voix à celles, nombreuses, qui se sont déjà élevées sur tous les bancs de notre assemblée pour dénoncer l’irrespect avec lequel le Parlement est traité. Il est regrettable qu’en la matière, aucun changement n’ait pu être constaté par rapport au précédent quinquennat.
Agenda surchargé, délais procéduraux foulés aux pieds, niches parlementaires vidées de tout sens, utilisation du vote bloqué et des secondes délibérations, recours au temps législatif programmé, tout est fait pour priver la représentation nationale de ses facultés et de sa légitimité.
Aucun de nous ne peut accepter que le Parlement soit abaissé de cette façon, mais la caporalisation des députés est-elle un hasard, à l’heure où nous débattons d’un texte qui prive justement les élus territoriaux de leurs marges de manœuvre ? La défiance pour les parlementaires, sommés de légiférer dans l’urgence et dans la soumission, s’abreuve à la même source que la défiance pour les élus locaux. L’irrespect pour les élus, le pluralisme, la libre expression des divergences est général. En cela, ce projet de loi est un symptôme de l’ensemble des dysfonctionnements actuels.
Certes, madame la ministre, vous avez la conviction, très bien portée dans votre exposé préliminaire de cet après-midi, que ce texte fera le bonheur des élus et populations qui le rejettent aujourd’hui. Vous vous éloignez ainsi du siècle des lumières et de Condorcet…
M. Thierry Braillard. Bonne référence !
M. André Chassaigne. …écrivant que la puissance publique « n’a pas le droit de décider où réside la vérité, où se trouve l’erreur ». Aussi faut-il bien aujourd’hui que certains se fassent les porte-parole des élus locaux, c’est-à-dire de ceux qui participent à l’enracinement de la République sur chaque parcelle du territoire. Parmi eux, nombreux sont ceux qui se sont mobilisés cet après-midi par exemple devant notre assemblée. Au-delà des appartenances politiques, ces hommes et ces femmes engagés pour leurs concitoyens dénoncent la mise au pas des territoires.
Il s’agit bien de cela lorsqu’on entend donner tant de pouvoirs à l’instance métropolitaine, lorsqu’on vide les communes de leur capacité d’action, lorsqu’on programme la disparition des départements, lorsqu’on fait reculer à ce point la mission d’égalité de l’État.
M. Marc Dolez. Très bien !
M. André Chassaigne. Quel que soit l’avis que l’on peut avoir sur ces transformations, elles sont tellement lourdes de conséquences, et d’abord pour la vie quotidienne de nos concitoyens, qu’une seule question se pose : où sont les citoyens dans tout cela ?
M. Marc Dolez. C’est la bonne question !
M. André Chassaigne. Où sont les citoyens, alors que ces trois jours de discussion auraient pu être précédés dans le pays d’un vaste débat démocratique ? Où sont les citoyens, alors que le Gouvernement aurait pu être animé de la volonté d’informer, de faire réagir les populations et de les impliquer ? Où sont les citoyens lorsque ce projet de loi, au lieu de s’adresser à leur intelligence, orchestre dans l’ombre une véritable reprise en main des instances locales ?
Si les citoyens avaient été associés à ce projet de loi, alors les termes du débat en seraient bouleversés, et nous discuterions sous l’égide de l’intérêt général et du bien commun.
Cette indispensable consultation a-t-elle eu lieu ? Interrogez aujourd’hui n’importe quel habitant sur l’ensemble du territoire national, demandez-lui s’il sait que les députés sont sur le point de prendre des décisions d’une telle importance pour les institutions de notre pays. Saura-t-il qu’ils vont peut-être créer des métropoles impactant la vie de 30 millions d’habitants ? Saura-t-il qu’ils ne pourront plus intervenir dans leur commune, comme c’est leur droit de citoyen, sur les plans locaux d’urbanisme, mais qu’ils devront s’adresser à la communauté de communes, d’agglomération, voire à la métropole ?
Parce que cette réforme s’est orchestrée à bas bruit, seule une infime minorité de nos concitoyens savent ce qui se trame.
Quant aux agents de la fonction publique, qu’elle soit d’État ou territoriale, que savent-ils des bouleversements en préparation, des mises à disposition de services entiers d’une institution à l’autre ? Rien ou presque. Il y a de fortes chances que ces hommes et ces femmes tombent de l’armoire en apprenant les nouveaux objectifs de rationalisation de la dépense publique contenus explicitement dans le projet de loi, qui se traduiront encore par des déménagements contraints, des regroupements technocratiques et des suppressions de postes.
Nul doute qu’un tel mépris pour l’avis des citoyens forcera ceux-ci à se mettre encore plus en retrait de la chose publique. Ce mépris est malheureusement conforme à l’état d’esprit dominant, qui renvoie les décisions importantes à quelques-uns, aux experts, à ceux qui savent. C’est cet état d’esprit qui est au cœur du projet, en particulier en transformant les communes en coquilles vides, en réduisant à presque rien ces espaces qui restent pourtant des foyers de démocratie, des espaces de proximité sans égal, ces espaces qui sont pour des millions de gens les lieux principaux et familiers de la République, des lieux où les habitants de tous âges et de toutes conditions se reconnaissent, parce qu’ils sont un maillon essentiel de l’accès aux services publics et à la vie de citoyen et de salarié.
Bien évidemment, vous essayez de convaincre les élus locaux et de nous convaincre, mais vous faites comme l’empereur Heliogabale, qui servait à certains convives de très beaux plats, en fait des dessins figurant les mets au menu, et chaque convive devait être content.
M. Michel Piron. Quelle horreur !
M. André Chassaigne. C’est à ce genre de festin auquel vous nous conviez.
M. Jean-Frédéric Poisson. Très bien !
M. André Chassaigne. Ce projet d’affirmation des métropoles aurait pu tout aussi bien s’appeler projet d’affirmation de l’effacement des communes, tant ces superstructures qui vont disposer de pouvoirs considérables aspirent leurs compétences.
Prenons les derniers amendements du Gouvernement concernant la métropole du Grand Paris. Celle-ci exercerait de plein droit, en lieu et place des communes membres, les compétences suivantes : le développement et l’aménagement économique, social et culturel ; la création, l’aménagement et la gestion des zones d’activité industrielles, commerciales, tertiaires, artisanales, touristiques, portuaires et aéroportuaires ;…
M. Gaby Charroux. Tout !
M. André Chassaigne. …les plans locaux d’urbanisme ; les ZAC – zones d’aménagement concerté ; les réserves foncières ; le programme local de l’habitat ; le logement ; la politique de la ville ; le développement urbain ; l’environnement et le soutien à la maîtrise de l’énergie.
Ce n’est pas tout. Si l’intérêt métropolitain est jugé manifeste par le Conseil de la métropole, la métropole du Grand Paris prendrait aux communes l’organisation des transports urbains, la voirie, les plans de déplacement, l’eau et l’assainissement.
M. Philippe Meunier. C’est scandaleux !
M. André Chassaigne. La boucle est bouclée. Alléluia, résonnez hautbois, claironnez trompettes !
M. Michel Piron. C’est le goupillon avec la faucille !
M. André Chassaigne. La même musique est entendue s’agissant de Marseille, de Lyon et des autres concentrations urbaines visées, superbe oraison accompagnant l’enterrement de la démocratie locale.
M. Philippe Meunier. Très bien !
M. André Chassaigne. C’est là une logique d’hyper-concentration, de recentralisation des pouvoirs, une logique descendante qui porte en elle la négation des projets locaux, le mépris des besoins s’exprimant au plus près des réalités et de la parole des citoyens. C’est la porte fermée aux coopérations fructueuses entre collectivités. Une telle concentration des pouvoirs s’oppose à l’intérêt métropolitain lui-même, dans sa conception solidaire, et à l’exigence de se définir dans un mouvement démocratique, dans la capacité à fabriquer de l’acteur, à faire que les gens soient actifs et existent en tant que citoyens.
On prétend que c’est la crise qui commande de prendre ces décisions. Mais la crise ne pourra trouver d’issue par l’étouffement des revendications, par l’éloignement des citoyens, ni par des solutions autoritaires. On ne s’en sortira pas en écoutant ceux qui prônent comme seule solution l’austérité à tous les étages, et ceux, souvent les mêmes, qui voient dans la concentration des pouvoirs un gage d’efficacité. Avec le miroir aux alouettes de cette nouvelle organisation territoriale, s’agit-il bien de lutter contre la crise ?
Je cite l’exposé des motifs du projet de loi : « Notre pays a plus que jamais besoin d’une action publique efficace pour améliorer la compétitivité de ses entreprises. » Compétitivité : mot magique du bêtisier contemporain, qui figure ouvertement dans le texte, repris maintes fois, mot qui constitue la logique profonde de ce projet, sa seule logique, une logique de fer qui prétend guider toutes les transformations institutionnelles. La quintessence de la pensée unique. Sur ce point encore, comment ne pas voir que ce projet est le symptôme du mal qui ronge l’ensemble de ce quinquennat ?
Le terme de décentralisation, qui était en bonne place il y a encore quelques semaines – puisqu’on parlait d’acte III de la décentralisation –, a été abandonné en rase campagne.
M. Alexis Bachelay. Tout en finesse !
M. André Chassaigne. Il n’était pas tenable au vu du contenu des différentes versions de l’avant-projet de loi. La décentralisation a donc été sacrifiée sur l’autel du maître mot : la compétitivité.
M. Michel Piron. C’est un marxiste qui parle !
M. André Chassaigne. Avec cette philosophie, l’action publique n’a plus pour vocation l’intérêt général et la maîtrise citoyenne. Elle n’a plus pour vocation de répondre aux besoins humains, sociaux, économiques, environnementaux, démocratiques. Elle doit être mise au service de la rentabilité maximale, de la baisse du coût du travail, des largesses faites au capital, de la financiarisation. Avec cette conception, c’est la fonction même des collectivités territoriales qui est interrogée.
M. Jean-Frédéric Poisson. C’est vrai !
M. André Chassaigne. Ce projet, c’est la mise en coupe réglée de l’action publique locale pour qu’elle ne soit plus que la réplique de la politique menée au plan national. Ainsi, nos communes, nos départements, nos régions, de boucliers anti-crise qu’ils étaient, auraient vocation à devenir des relais de la compétition mondialisée.
J’étais sur ces bancs lors de la réforme territoriale menée par la droite en 2010, sous la férule de Nicolas Sarkozy, d’Édouard Balladur, de Brice Hortefeux. Chers collègues socialistes, vous n’aviez pas, alors, de mots assez durs pour critiquer la « recentralisation » dont ce texte était le nom.
M. Jean-Frédéric Poisson. C’est vrai !
M. André Chassaigne. Je dois faire une nouvelle fois le constat amer que vous ne vous sentez nullement engagés par les propos que vous avez tenus avant les élections de 2012. Vérité en deçà des élections, erreur au-delà ! Nous autres, élus du Front de gauche, nous efforçons souvent, modestement, de vous rappeler vos engagements d’hier, vos prises de position, nos combats communs, mais c’est trop souvent en pure perte.
Dans le cas présent, l’organisation institutionnelle et territoriale qui nous est proposée reprend la même clé de voûte que la réforme de la droite ultralibérale : la métropole.
M. Marc Dolez. Eh oui, hélas !
M. André Chassaigne. Je cite à nouveau l’exposé des motifs : « Cette nouvelle catégorie est destinée à regrouper plusieurs communes d’un seul tenant et sans enclave et qui s’associent au sein d’un espace de solidarité pour élaborer et conduire ensemble un projet d’aménagement et de développement économique, écologique, éducatif, culturel et social de leur territoire afin d’en améliorer la compétitivité et la cohésion à l’échelle nationale et européenne. » Le dernier bout de phrase apporte la vraie lumière : améliorer la compétitivité à l’échelle nationale et européenne.
M. Alexis Bachelay. Et mondiale ! Paris est mondial !
M. André Chassaigne. Car s’agit-il vraiment, dans cette volonté de créer cette nouvelle catégorie, de tenir compte du fait métropolitain ? S’agit-il de réduire les fractures terribles qui se creusent dans les grandes concentrations urbaines ?
Mme Marylise Lebranchu, ministre. Oui, il s’agit de cela !
M. André Chassaigne. Bien au contraire, ce projet affiche une volonté affirmée de réduction de la dépense publique à tous les niveaux.
Mme Marylise Lebranchu, ministre. Non !
M. André Chassaigne. Il répond en cela aux injonctions de la commission européenne, dans le droit fil de la stratégie de Lisbonne, de la charte européenne, du livre blanc de la gouvernance et du traité européen de stabilité que François Hollande avait promis de renégocier.
M. Gérald Darmanin. Il ne l’a pas fait !
M. André Chassaigne. Le fil rouge…
M. Michel Piron. Vous avez dit « rouge » ! (Sourires.)
M. André Chassaigne. …de ces différentes injonctions, c’est en effet de favoriser les fusions entre collectivités afin de réduire considérablement leur nombre, ce qui représente la solution la plus simple pour comprimer le volume des budgets et des emplois publics. Ainsi le Danemark a-t-il porté le nombre de ses communes de 1 388 à 98 seulement. La même logique a prévalu aussi brutalement au Portugal, en Suède, en Grande-Bretagne et en Grèce. Ces pays vont-ils mieux ? Sont-ils renforcés contre la crise ?
En ce qui nous concerne, nos 36000 communes représentent un maillage serré construit sur un principe de liberté et de présence républicaine sur tout le territoire. Il est fertile aux coopérations et projets communs, comme l’histoire récente de la décentralisation l’a montré. Mais c’est un obstacle pour le libéralisme.
Permettez-moi de citer les conclusions récentes du Conseil de l’Union européenne, reprenant les recommandations de la Commission présidée par José Manuel Barroso : « Compte tenu du niveau élevé de la dette, qui continue d’augmenter, et du nouveau report du délai de correction du déficit excessif [à 2015], il est particulièrement important que le budget 2013 soit rigoureusement exécuté et que des efforts d’assainissement substantiels soient résolument poursuivis les années suivantes. Il est impératif notamment que les dépenses publiques de la France croissent beaucoup moins vite que le PIB potentiel, dans la mesure où les améliorations du déficit structurel ont jusqu’à présent reposé principalement sur les recettes. À cet égard, l’examen en cours des dépenses publiques (« Modernisation de l’action publique ») qui concerne non seulement l’administration centrale mais aussi les administrations des collectivités locales et de la sécurité sociale, devrait indiquer comment améliorer encore l’efficacité des dépenses publiques. Il est également possible de rationaliser davantage les différents niveaux et compétences administratifs afin d’accroître encore les synergies, les gains d’efficacité et les économies. La nouvelle loi de décentralisation prévue devrait traiter cette question ». Je n’invente rien ; il s’agit des recommandations de la Commission européenne présidée par M. Barroso. Nous y voilà.
M. Alexis Bachelay. C’est un complot européiste !
M. André Chassaigne. Cher collègue, j’ignore votre nom,…
M. Gérald Darmanin. C’est l’un de vos camarades !
M. André Chassaigne. …en parlant de complot,…
M. Alexis Bachelay. Européiste !
M. André Chassaigne. …vous montrez l’étendue des connaissances que vous avez des orientations européennes ! Mais chacun peut tenir les propos de M. Personne transformé en Dimanche ! (Rires.)
Ce projet de loi est tout simplement le résultat concret, la mise en œuvre des diktats de Bruxelles.
M. Alexis Bachelay. Nous y voilà !
M. André Chassaigne. Son principal objectif est contenu dans ces lignes : l’austérité renforcée pour les collectivités et pour les EPCI. Et il faut réduire encore les financements provenant de l’État, opération qui a débuté avec la réduction de 4 milliards et demi sur trois ans de l’enveloppe attribuée aux collectivités. C’est sans doute un complot, cela aussi : j’ai inventé les 4 milliards de réduction de l’enveloppe des collectivités !
Cette coupe – le complot – est la contribution forcée des collectivités au cadeau fiscal de 20 milliards de crédit d’impôts accordés aux entreprises. Un cadeau que, nous l’avons dit, nous considérons scandaleux, parce que sans contrepartie, payé par le peuple via la TVA. Des voix de plus en plus nombreuses, y compris au sein des plus hautes instances du PS, le contestent d’ailleurs résolument.
Mais l’heure est désormais aux expérimentations avec les métropoles. La pression est forte, on en voit le résultat dans les derniers amendements gouvernementaux concernant Paris, qui testent le principe de communautés d’agglomération transformées en conseil de territoire, c’est-à-dire sans moyens propres, sans services administratifs. Quelle économie réalisée ! Mais quelle régression pour les habitants !
La France compte des milliers de communes, c’est un héritage de la Révolution française. Nous pensons que c’est là un atout historique.
M. Marc Dolez. Tout à fait !
M. André Chassaigne. Au lieu de le mettre à mal, il faut au contraire s’appuyer sur cet atout pour donner plus de souffle à la décentralisation, pour favoriser les coopérations et l’intervention de toutes et tous.
M. Marc Dolez. Parfaitement !
M. Marc Dolez. Que vaut la République si elle ne s’appuie pas sur les citoyens ? Que vaut-elle si elle ne cherche pas en permanence à construire de nouveaux droits d’intervention pour toutes et tous ?
Dans les Bouches-du-Rhône, 109 maires sur 119 et cinq intercommunalités sur six s’opposent au projet de métropole Aix-Marseille-Provence.
M. Patrick Mennucci. Elles se sont toujours opposées à tout !
M. Marc Dolez. Mon collègue Gaby Charroux prendra d’ailleurs la parole dans la suite de cette discussion pour exprimer la colère des élus. Ces 109 maires de toutes sensibilités politiques, avec des centaines d’élus du département, ne sont pas des gens qui ne savent que dire non, comme on a voulu les dépeindre. Ils ont élaboré un projet alternatif massivement soutenu par la population,…
M. Patrick Mennucci. Ils 50 dans les manifs !
M. André Chassaigne. …prenant en compte les enjeux métropolitains de leur territoire, ceux des transports en particulier.
M. Patrick Mennucci. Il ne fallait pas refuser le syndicat des transports !
M. Jean-David Ciot. C’est Jean-Claude Gaudin qui l’a refusé !
M. Jean-Pierre Maggi. C’est vrai.
M. Gérald Darmanin. Organisez des réunions intergroupes !
M. André Chassaigne. C’est la multiplication des pains à l’envers : vous n’êtes pas plus nombreux, vous n’êtes que la moitié ! Allez donc comprendre !
M. Patrick Mennucci. Vous ne connaissez pas l’histoire !
M. Jean-David Ciot. Il ne faut pas la refaire !
Mme la présidente. Mes chers collègues, seul M. Chassaigne a la parole.
M. André Chassaigne. Les propos que j’entends sont plus révélateurs que ceux que je tiens moi-même ! (Sourires.)
Ces élus proposaient un établissement public fondé sur la coopération et le respect des collectivités, du travail qu’elles ont mené année après année au service des populations. Que leur a-t-on répondu ?
M. Patrick Mennucci. Trop tard !
M. André Chassaigne. Que leur projet n’allait pas assez loin, autrement dit, qu’il ne faisait pas assez d’économies sur la dépense publique, qu’il donnait trop de place encore aux élus locaux, c’est-à-dire aux habitants ! Mon collègue Gaby Charroux y reviendra.
En Île-de-France, si cette loi est votée, ce sont toutes les communes des départements du Val-de-Marne, de la Seine-Saint-Denis et des Hauts-de-Seine, ainsi que leurs intercommunalités, qui seront dessaisies de leurs compétences stratégiques.
M. Jean-Luc Laurent. C’est vrai !
M. André Chassaigne. Ici comme ailleurs, les maires seront relégués au rang de simples exécutants des décisions prises, bien trop loin des enjeux et problématiques locales et citoyennes. Les communes deviendront des mairies d’arrondissement sans pouvoir de décision.
M. Patrick Mennucci. C’est très bien, une mairie d’arrondissement ! Qu’avez-vous contre ces maires ?
M. André Chassaigne. Mon collègue François Asensi prendra également la parole pour éclairer nos concitoyens franciliens sur ce qui se prépare.
Ici encore, plus d’une centaine de maires, d’élus associés au sein du syndicat mixte Paris Métropole, de toutes sensibilités, ont empoigné cet enjeu de la métropole. Ils l’ont fait à partir de leur connaissance du terrain, des besoins des habitants, pour une coopération entre collectivités. Ce sont deux ans de travail dans un esprit constructif pour sortir des égoïsmes locaux, deux ans de travail…
Mme Marylise Lebranchu, ministre. Trois ans !
M. André Chassaigne. …pour lutter contre les inégalités, pour co-élaborer de nouvelles solidarités.
À l’opposé de ce mouvement ascendant, de cette construction par le bas, que leur impose-t-on à l’arrivée ? Un monstre technocratique…
M. Marc Dolez. Exactement !
M. André Chassaigne. …aux vastes pouvoirs, régnant sur huit millions d’habitants, éloigné des élus locaux et des citoyens, de leur parole et de leurs besoins, et niant même les intercommunalités qui seraient transformées en relais délocalisés des décisions prises en haut.
Que peut-on attendre d’une telle technostructure ? Peut-on attendre qu’elle réponde aux besoins ? Peut-on attendre qu’elle relève efficacement les défis ? Je parle bien de votre technostructure, pas de celle qui a été construite démocratiquement. Souvenons-nous du premier projet de métro en rocade dans l’Ile-de-France. Il n’avait que quarante gares ! Il délaissait des territoires entiers, qui n’étaient pas desservis parce qu’on les jugeait non compétitifs, tant l’objectif était de relier au plus vite les pôles d’affaires. Il a fallu la mobilisation des élus, et surtout des habitants, pour que le projet se transforme dans le bon sens, avec davantage de gares et partant d’emplois.
On nous dit que la métropole de Paris permettra de gagner en cohérence…
Mme Marylise Lebranchu, ministre. Oui !
M. André Chassaigne. …et d’arriver à l’objectif de 70 000 nouveaux logements par an. Mais avec quels moyens cela se fera-t-il ? L’aide à la pierre sera-t-elle plus élevée avec la métropole ? Nombreux sont les élus qui en doutent sérieusement et qui s’attendent plutôt à une nouvelle baisse. S’il suffisait de schémas impératifs et centralisés pour lever les obstacles de coûts des sols et de la construction, pour s’opposer à la spéculation et aux discriminations sociales et territoriales, cela se saurait.
M. Alexis Bachelay. On y est justement !
M. André Chassaigne. En Rhône-Alpes enfin, c’est l’égalité de traitement sur le territoire rhodanien qui est remise en cause, avec la partition programmée du département en deux. La métropole de Lyon se substituerait à la portion du département du Rhône concernée et serait une collectivité de plein exercice. À ce titre, non seulement elle prendrait des compétences aux communes, mais de plus elle exercerait une tutelle sur ces dernières, en les reléguant au rang de simples arrondissements.
Qu’adviendra-t-il des territoires ainsi relégués hors de la métropole ? Les zones rurales, notamment, qui pâtissent déjà largement de la mise en concurrence des territoires, seront encore plus abandonnées. L’Eau écarlate de votre projet de loi fera disparaître cette belle solidarité entre les urbains et les ruraux qui donne toute sa noblesse républicaine à nos départements. Cette inégalité voulue entre aires urbaines et aires rurales se doublera d’inégalités internes à ces aires. Lyon, c’est aussi près de 100 000 chômeurs et plus de 40 % de personnes non-imposables disposant de moins de 10 000 euros de revenus.
Personne ne peut se faire d’illusions sur les résultats futurs de ces superstructures en matière de lutte contre les inégalités. En dépit de tous les éléments de langage et des déclarations d’intention, leur action sera en effet dédiée au libéralisme et à l’accroissement de la compétitivité. Ces instances porteront en elles une logique d’assèchement, de consumérisme et de concurrence forcenée. Les conséquences pour l’emploi, pour la vie sociale, culturelle, associative, pour les services publics de proximité et pour les solidarités sont hélas appelées à être violentes.
M. Patrick Mennucci. C’est faux !
M. Alexis Bachelay. C’est votre théorie !
M. Michel Piron. C’est en tout cas très éclairant.
M. André Chassaigne. Au contraire, s’agissant des résultats en matière de progrès humain, on ne peut les escompter que par une mobilisation et un développement sans précédent de l’action publique sur tout le territoire pour répondre aux besoins, pour relancer la politique industrielle et pour trouver des issues concertées à la crise. Cela suppose a minima de ne pas affaiblir les collectivités locales qui représentent 20 % de l’activité économique du pays et 70 % de l’investissement public. De surcroît, cette activité échappe souvent, dans sa mise en œuvre, à la sphère financière, aux exigences féroces de rentabilité à l’origine de la crise du système.
Cela suppose également de ne pas continuer à affaiblir le rôle de l’État, mais au contraire de renforcer sa mission de garant de l’égalité des territoires et son rôle d’impulsion des politiques publiques nationales en faveur du développement, avec un vrai partenariat avec les collectivités.
Ce projet de loi, dit de modernisation, tourne complètement le dos à ces orientations, et mon collègue Marc Dolez reviendra lui aussi plus en détail sur ses funestes modalités générales. Ce projet prépare en effet un chambardement inédit pour les millions d’agents de la fonction publique – celle de l’État comme celle des collectivités territoriales. De nouvelles mutualisations sont annoncées, comme dans la réforme de la droite en 2010. Elles se traduiront en réalité par des services de proximité transformés en guichet à la personne, par des services transférés à des échelons éloignés de l’usager, par des réductions progressives d’effectifs à tous les niveaux et par des déménagements contraints pour les agents publics, à l’instar de ce qui s’est produit à France Télécom.
Mes chers collègues, cette république que nous préparons en est-elle vraiment une ?
M. Patrick Mennucci. C’est fini : il n’y a plus de République !
M. André Chassaigne. S’il s’agit de mettre en place un État réduit à ses missions régaliennes et cédant tout le reste aux métropoles, la réponse est non. Si tout va aux métropoles sur une partie du territoire, qu’advient-il de l’autre partie, de celle qui est à l’écart de la concentration du capital, celle à laquelle vous n’offrez qu’une hideuse perspective – la politique du chien crevé au fil de l’eau ? Pour ma part, vous le savez, je me range résolument aux côtés de l’immense majorité des élus ruraux indignés et inquiets pour l’avenir de leurs villages et de nos campagnes, arc-boutés contre la chronique d’une mort annoncée.
M. Patrick Mennucci. C’est le journal du parti communiste du coin qui dit ça !
M. André Chassaigne. C’est tellement intéressant pour le compte rendu, et c’est d’un tel niveau, qu’il est très important de laisser parler le représentant de la grande cité phocéenne. Vous pouvez prendre la parole quand vous le voulez, monsieur Mennucci.
M. Patrick Mennucci. J’attends surtout que vous finissiez.
M. André Chassaigne. Interrogeons-nous enfin sur l’ordonnancement de ces projets de loi. Le Gouvernement débute par les métropoles. Ce n’est pas un hasard. Il s’agit de les installer comme nouvelles clés de voûte de notre système institutionnel. Au lieu de mettre en débat une cohérence d’ensemble, à partir des besoins, de la vie des citoyens et des défis à relever, on nous impose d’emblée une vision sur laquelle doit se plier tout le reste. Dans ce scénario, nous aborderons à l’automne le rôle des régions et des départements. Dans ces conditions, ce rôle sera nécessairement rétréci, corseté par ce qui aura été décidé avant. Et que dire du troisième et dernier volet intitulé « développement des solidarités territoriales et de la démocratie locale » ? Qu’en termes élégants ces choses-là sont dites ! Nous sommes profondément convaincus que nous prenons les choses à l’envers.
Dans tous les cas, il existe une contradiction profonde à voter un tel texte avant les élections municipales – moment privilégié de dynamiques et de confrontations citoyennes –, qui posera avec force la place des projets municipaux, et donc l’avenir et le rôle des communes alors que celles-ci sont promises à effacement.
À l’instar de la loi de 2010 dite Sarkozy, dont il est le prolongement, le processus amorcé avec ces trois projets de loi a tout du coup de force : coup de force parce qu’il est masqué aux citoyens et aux forces vives de ce pays ; coup de force parce qu’il est sourd au rejet grandissant qu’il suscite dans les territoires au fur et à mesure qu’il est connu des élus, des forces associatives et syndicales et des citoyens ; coup de force parce qu’il est sourd aux propositions alternatives présentées par les élus locaux…
M. Alexis Bachelay. Lesquelles ?
M. André Chassaigne. …coup de force enfin par la méthode même – trois jours seulement de débat au cœur du mois de juillet.
M. Patrick Mennucci. Il n’y a rien d’incroyable à travailler en juillet.
M. André Chassaigne. Pour notre part, nous défendons une seule exigence : celle de faire entrer les citoyens dans le jeu, de leur permettre de décider par référendum dans tous les territoires où une métropole est en passe d’être créée. Le PCF et le Front de gauche sont aujourd’hui les fers de lance de la défense de la libre administration des collectivités territoriales, principe de valeur constitutionnelle. Nous sommes fiers d’être à l’initiative partout en France pour contester les logiques de recentralisation et pour brandir l’exigence de la démocratie dans nos territoires !
Les députés du Front de gauche réclament que partout où le Gouvernement impose une caporalisation (Exclamations sur les bancs du groupe SRC) des collectivités, il consulte les populations. Il faut recourir au vote des citoyens. Nous exigeons un référendum…
M. Alexis Bachelay. Sur quel sujet ?
M. Patrick Mennucci. À quoi servent alors les députés ?
M. Gaby Charroux. À rien !
M. André Chassaigne. …en Ile-de-France, en Rhône-Alpes et dans les Bouches-du-Rhône. La démocratie locale ne saurait être confisquée.
Je veux m’adresser une dernière fois à mes collègues de gauche. Sur le terrain,…
M. Alexis Bachelay. Mais nous y sommes !
M. Patrick Mennucci. Tous mes électeurs sont favorables au projet.
M. André Chassaigne. …nous nous battons souvent ensemble, y compris contre l’arbitraire de ce projet de moi, exigez avec nous un référendum. Exigez que le peuple puisse s’exprimer. Refusez avec nous la fin de l’autonomie des communes et des départements. Alors que nous avons fait ensemble les clairs de lune si bien chantés par Aragon, alors que nous avons tant fait ensemble pour que les nuits tombent une à une, ne laissez pas disparaître cette si belle conquête républicaine qu’est la démocratie locale. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et quelques bancs du groupe UMP.)

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André
Chassaigne

Président de groupe
Député du Puy-de-Dôme (5ème circonscription)

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