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Pt adaptation au droit de l’Union européenne dans le domaine du développement durable

Mme la présidente. La parole est à M. Patrice Carvalho.
M. Patrice Carvalho. Nous sommes réunis ce soir pour l’examen d’un texte qui nous laisse pour le moins dubitatifs. Il s’agit d’un ensemble disparate de dispositions plus ou moins normatives, dont l’objet n’a parfois rien à voir avec le développement durable, comme les dispositions relatives au comité d’entreprise européen ou aux conditions du travail maritime. Un tel fourre-tout nous contraint à n’aborder que quelques-unes des questions soulevées.
La première a trait à la prévention des risques industriels, qui forme l’un des chapitres centraux du texte. En matière de prévention des risques, votre projet de loi prévoit la transposition de la directive Seveso III, qui se substituera à Seveso II en juin 2015. Son champ d’application est modifié en profondeur au regard de la liste des substances dangereuses dont l’usage entraîne des prescriptions spéciales pour les installations. Parmi les nouveautés importantes figure notamment l’instauration d’un système de dérogations, délivrées par la Commission européenne, qui nous pose question quant au risque de perte de souveraineté des États en matière de classement Seveso.
Les mesures de sécurité ainsi que les dispositifs d’information et de participation du public aux décisions sont par ailleurs renforcés.
Pour nous, le nœud de la question demeure les plans de prévention des risques technologiques. Vous avez, madame la ministre, levé le gage sur l’amendement de notre collègue Yves Blein qui traduit au plan législatif l’accord intervenu entre les représentants des fédérations professionnelles et l’Association des maires de France. Sans négliger l’effort important accompli pour rattraper le retard accumulé, puisque seuls 43 % des PPRT ont été approuvés à ce jour, la question des moyens reste centrale. Nous regrettons pour notre part que le principe du créateur de risques-payeur n’apparaisse pas clairement au même titre que le principe du pollueur-payeur. Nous nous inquiétons par ailleurs du manque de moyens des directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement. Les DREAL sont la pierre angulaire du dispositif sur les risques majeurs. Elles ont souffert, comme toutes les administrations, de la RGPP et n’ont plus les moyens d’assurer aujourd’hui leurs missions avec l’efficacité nécessaire.
En ce qui concerne maintenant les substances actives biocides, le texte, en conformité avec la nouvelle directive, prévoit un processus en deux étapes : il confie l’évaluation de la substance active à l’Agence européenne des produits chimiques et l’autorisation proprement dite de mise sur le marché à l’État membre, tout en prévoyant la possibilité que certains produits biocides soient autorisés à l’échelle européenne, ce qui leur donne un accès direct au marché de l’Union tout entière.
Nous craignons qu’un tel dispositif ne marginalise le rôle de notre Agence nationale de sécurité sanitaire, de l’alimentation, de l’environnement et du travail, qui devrait pourtant jouer aujourd’hui un rôle essentiel. « Devrait », car ses avis ne sont pas toujours respectés par les services de l’État eux-mêmes.
Le ministère de l’agriculture a délivré ces dernières années pas moins de quarante autorisations de mise sur le marché pour des produits dits phytosanitaires que l’ANSES avait formellement déconseillés. Le ministère a reconnu, dans un communiqué, que la base de données publique sur les autorisations de mise sur le marché n’était pas à jour et a demandé qu’un audit soit initié pour étudier les moyens d’y remédier.
Tout ceci nous laisse à penser que l’éloignement des instances chargées de l’évaluation, voire des autorisations de mise sur le marché, ne marque pas une évolution positive. Cela risque de se traduire par une moindre efficacité des prescriptions formulées par les autorités compétentes, a fortiori lorsque celles-ci, comme l’Agence européenne des produits chimiques, ont pu parfois prêter une oreille attentive aux doléances des industriels.
Nous ne sommes pas non plus enthousiasmés, c’est le moins que l’on puisse dire, s’agissant de l’article 9, relatif à l’exercice de la profession de vétérinaire, qui ouvre la possibilité aux personnes morales d’autres États membres de s’établir ou de proposer librement des prestations de services en France. Le Gouvernement a, certes, pris quelques précautions, mais la question de fond demeure. Ainsi que le rappelait le rapporteur pour avis, Frédéric Barbier, la Commission européenne considère l’exercice de la profession de vétérinaire comme une activité commerciale, là où nous la considérons comme un maillon essentiel de la santé publique. L’évolution proposée n’est donc pas très rassurante.
J’en viens à présent à la transposition de la convention du travail maritime, adoptée par l’organisation internationale du travail en 2006 à Manille. La ratification par la France de cette convention, qui fixe des standards sociaux minimaux garantis de protection sociale ainsi que les conditions de travail des marins, était attendue. La mise en place des dispositions d’harmonisation sociale et fiscale visant à sortir de la concurrence, source de dumping social, tarifaire et fiscal, est une bonne chose en principe. Nous attendons néanmoins beaucoup du contenu des décrets relatifs à la définition des notions de marin et de gens de mer et aux conditions de sécurité, exigence centrale des salariés du secteur maritime.
Nous venons d’avoir ce débat lors du récent examen du projet de loi relatif aux infrastructures et aux services de transport. L’Union européenne a ouvert à la concurrence européenne le transport maritime en 1986, puis le cabotage maritime en 1992. De nombreux pavillons naviguent aujourd’hui au standard international. Ainsi, des entreprises d’armement remplacent des équipages de marins sous statuts nationaux par des marins communautaires ou issus de pays tiers, afin de les employer à bas coûts et à des conditions sociales minimales selon les normes internationales en vigueur.
Ces normes tendent à devenir la règle en Europe et en France grâce à la création de pavillons sous registre international. Une harmonisation par le bas du secteur maritime s’est ainsi dessinée, sur fond de mondialisation et de libéralisation des échanges. Ces pavillons peuvent afficher des coûts de transport 40 % moins chers. Des navires battant pavillon français peuvent naviguer sans plus aucun marin français à bord et dans des conditions sociales minimales et précaires. C’est de cette manière que la compagnie Corsica Ferries a raflé à la SNCM les deux tiers du trafic vers la Corse à des prix cassés. La directive qu’il nous est proposé de transposer tend à mettre un peu d’ordre social dans cette anarchie. Nous n’avons pas à nous en plaindre !
L’enregistrement sous pavillon de premier registre français assure un haut niveau de garanties en matière de sécurisation et de droit des salariés. C’est ainsi que le transport maritime s’est longtemps organisé en France avant que l’Union européenne n’autorise l’ouverture à la concurrence, dont nous voyons la pagaille qu’elle génère. Je maintiens l’exigence d’appliquer la législation du pavillon français de premier registre aux navires circulant dans nos eaux territoriales. Et j’insiste, au-delà de la directive que nous transposons, sur la nécessité dans laquelle se trouve la France de promouvoir à l’échelon européen la revendication de création d’un pavillon européen équivalent au pavillon français de premier registre, offrant aux gens de mer la garantie d’une haute protection sociale.
Le projet de loi comporte par ailleurs un important volet relatif à l’énergie, dont les dispositions couvrent la quasi-totalité du secteur : production de biocarburant, électricité d’origine renouvelable, organisation du marché de l’électricité et du gaz, efficacité énergétique et stocks pétroliers stratégiques. Ce vaste champ recoupe les objectifs retenus par le Conseil européen et les États membres à l’horizon de 2020 dits « triple vingt », c’est-à-dire réduire de 20 % les émissions de gaz à effet de serre par rapport à leur niveau de 1990, porter la part des énergies renouvelables à 20 % de la consommation et réaliser 20 % d’économies d’énergie. Compte tenu du temps qui m’est imparti, je m’en tiendrai à deux aspects.
L’article 28 prévoit la ratification de l’ordonnance de codification du code de l’énergie en transposant deux directives, communément appelées troisième paquet de libéralisation du marché de l’énergie. Je rappelle qu’il s’agit initialement de démembrer des entreprises verticalement intégrées, comme on dit en langage technocratique bruxellois, c’est-à-dire rassemblant en une même entité l’ensemble de la chaîne énergétique : production, transport, distribution et commercialisation. Bien sûr, nos entreprises publiques EDF et GDF étaient dans le viseur, soupçonnées de porter atteinte au sacro-saint principe libéral de concurrence libre et non faussée dont nous savons par expérience les ravages qu’il peut faire.
C’est sur de telles bases que nous avons accepté l’ouverture à la concurrence du marché de l’énergie, transformé EDF en société anonyme cotée en bourse et privatisé GDF, devenue GDF Suez. La France a certes obtenu un statut particulier, dit « ITO », qui a permis de préserver notre modèle de l’explosion. J’observe néanmoins que le troisième paquet a des conséquences sur l’organisation des secteurs électriques et gaziers car, en contrepartie du maintien du modèle ITO, nous sommes contraints de renforcer la séparation entre EDF et RTE qui sont désormais totalement distincts. En outre, le rôle du régulateur se trouve renforcé. Il lui appartient, en particulier, de fixer les tarifs du réseau. En cas de désaccord, le Gouvernement peut au mieux demander une seconde délibération. Cela est très préoccupant au regard de la flambée des tarifs et des hausses des tarifs réclamées depuis l’ouverture à la concurrence. Peu à peu, nous le voyons, des coins sont enfoncés dans notre organisation énergétique. La logique libérale tend à s’imposer au détriment du service public et du consommateur.
L’article 29 concerne les audits énergétiques obligatoires dans les grandes entreprises. Cinq mille d’entre elles seront concernées. Il s’agit d’identifier les consommations excessives d’énergie et donc les potentiels d’économie. Ces audits comporteront des préconisations. Très bien, mais qui vérifiera leur application ? La seule incitation, c’est que la direction de l’entreprise considérera que les économies d’énergie réalisables permettront de rembourser les 15 000 ou 20 000 euros qu’aura coûtés l’audit. Mais est-ce suffisant ?
Compte tenu de l’ensemble de ces remarques et du caractère très disparate des mesures proposées, qui n’invite guère à l’expression d’une position univoque, nous nous abstiendrons de voter ce texte.

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Patrice
Carvalho

Député de Oise (6ème circonscription)

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