Interventions

Discussions générales

Pt accès au logement et urbanisme

La parole est à M. André Chassaigne, pour le groupe GDR.
M. André Chassaigne. Mon intervention sera, je m’en excuse, un peu longue : des contraintes en circonscription font que je ne pourrai pas rester jusqu’à la fin de l’examen de ce texte, ce que je regrette énormément, si bien que je balaierai différents points que j’aurais pu aborder dans la discussion des articles.
Cela fait maintenant près d’un an et demi que la droite a été battue. Ce projet de loi ALUR est en fait, selon mon calcul, le quatrième texte qui aborde la question du logement.
Aussi, compte tenu de l’urgence à apporter des réponses fortes, est-ce pour nous une satisfaction d’entrer enfin dans le vif du sujet. Face aux millions de mal-logés, voire de pas logés du tout, face à la tragédie de la crise du logement – je reprends votre expression, madame la ministre –, les députés du Front de gauche ont fait des propositions fortes dès juillet 2012. On nous expliquait à l’époque que les vraies réformes trouveraient leur place dans ce projet de loi ALUR. Qu’en est-il aujourd’hui ?Je voudrais d’abord réaffirmer qu’on ne réglera pas la crise du logement sans construire massivement, notamment dans le parc social. Pour loger les Français, il faut construire, construire, toujours construire !
M. Marc Dolez. Très bien !
M. André Chassaigne. Aussi soutenons-nous les objectifs gouvernementaux de construction de 500 000 logements par an, dont 150 000 logements sociaux. Mais chacun sait désormais qu’ils ne seront pas atteints.
Comment le seraient-ils, quand les budgets ne sont pas à la hauteur ? En matière de logement comme ailleurs, les questions budgétaires sont le nerf de la guerre. C’est pourquoi la gauche se doit de revenir sur l’intégralité de la baisse des aides à la pierre décrétée sous la présidence Sarkozy.
Sur tous les bancs de cette majorité de gauche, nous nous accordons à constater que les dix années de la droite ont été sanglantes pour le logement social.
C’est une raison de plus pour inverser radicalement la tendance et faire rentrer dans le circuit les sommes qui en ont été sorties.
Légiférer sur le logement sans traiter des questions budgétaires et fiscales, même avec la meilleure volonté du monde, c’est nécessairement se cantonner à des mesures d’appoint, voire à des mesures superficielles.
M. Marc Dolez. C’est vrai.
M. André Chassaigne. C’est sans doute la raison pour laquelle la plate-forme « logement » des mouvements sociaux est si sceptique sur le contenu du présent texte. Pourtant, nous portons aujourd’hui avec vous, madame la ministre, une exigence partagée : tout faire pour rééquilibrer les rapports locatifs.
Dans les zones tendues, la pénurie de logements est telle que les locataires en arrivent à de graves extrémités pour obtenir un toit. En région parisienne, chaque bien mis en location donne lieu à un assaut de candidats. Les propriétaires font face à tant de demandes qu’ils obtiennent une situation de pouvoir très importante : ils peuvent exiger toujours plus d’engagements, de la part de locataires toujours plus contraints et désemparés.
Désormais, pour les étudiants, certains bailleurs exigent que les parents soient colocataires de leurs enfants. De cette façon, le parent apparaît directement sur le bail, ce qui l’engage à payer immédiatement tout loyer exigible.
Aujourd’hui, des locataires sont contraints de constituer des dossiers avec de fausses fiches de paie, pour gonfler leurs salaires et ainsi augmenter leurs chances de signer le bail. De l’autre côté de la chaîne, les bailleurs n’hésitent plus à appeler les employeurs pour vérifier la nature des contrats de travail et le montant des salaires des candidats. Des agences immobilières font appel à des intermédiaires dans les banques afin de contrôler – en toute illégalité – le niveau des encours bancaires des impétrants. Les cas ne sont plus rares où ce sont les enfants qui doivent se porter caution pour leurs parents, car ceux-ci ne peuvent plus faire face à un loyer avec leur petite retraite. Certains adultes doivent retourner vivre chez leurs parents et certaines personnes âgées doivent aller s’installer chez les enfants. Voilà la réalité du marché de la location en zone tendue.
Mais ceux qui sont exclus de ce marché connaissent des situations encore plus dramatiques. Je pense à ceux qui dorment à l’hôtel faute de trouver un toit,…
M. Arnaud Richard. Exactement !
M. André Chassaigne. …à ceux qui tentent de s’en sortir dans les foyers d’hébergement saturés, à ceux qui sont cantonnés aux immeubles insalubres et dangereux, à ceux qui n’ont d’autre choix que de payer à prix d’or un marchand de sommeil, à ceux qui dorment dans des habitats provisoires et précaires, en mobil-home, sous tente, en squat. Et à ceux, enfin, de plus en plus nombreux, qui sont à la rue, alors même que des dizaines de milliers de logements et de bâtiments sont vacants.
Face à cela, la droite et certains lobbies prétendent que les locataires sont trop protégés en France. Comment accepter un tel discours ? Vous avez répondu avec des mots fermes et justes, madame la ministre. Comment en effet accepter ces protestations indécentes de grands propriétaires qui se victimisent, prétendant subir les oukases du Gosplan sitôt que le législateur tente d’arranger la situation ? Comment accepter le chantage de ceux qui dorment au chaud et qui menacent de laisser leurs appartements vacants s’ils ne peuvent pas en tirer un profit maximal ? Comment accepter l’arrogance d’une droite responsable en grande partie de la situation dramatique, et qui vient aujourd’hui donner des leçons ?
Ne soyons pas dupes de ces discours. IIs sont au service d’intérêts bien précis. Pour notre part, nous défendons l’intérêt du plus grand nombre, le bien commun, tout simplement. Aussi, ne pouvons-nous pas nous résoudre à l’impuissance organisée et aux mesures cosmétiques.
Madame la ministre, monsieur le rapporteur, pour constituer et finaliser ce vaste projet de loi, vous avez pris le temps de consulter et de concerter, ce que je salue. Pourtant, cette concertation n’a pas abouti à des choix suffisamment forts. Dans votre volonté louable de répondre à l’urgence, vous avez, de fait, trop sacrifié l’essentiel. Vous avez oublié, pourrait-on dire, l’urgence de l’essentiel. J’en veux pour preuve votre dispositif d’encadrement des loyers. Vous le savez, nous sommes partisans résolus d’un encadrement efficace des loyers. D’ailleurs, nous avions déposé deux propositions de loi dans ce sens lors de la précédente législature. Or, avec votre projet de loi, le compte n’y est pas.
Pour vous le démontrer, je voudrais citer le rapport. Page 23, il est dit : « Dans les zones tendues, le déséquilibre entre l’offre, restreinte, et la demande, forte, a généré une hausse exponentielle des loyers qui […] a conduit à des niveaux de loyers irrationnels, et parfois indécents au regard des caractéristiques des logements. » Or, cinq phrases plus loin, il est écrit à propos du dispositif d’encadrement mis en place : « L’objectif poursuivi n’est pas de faire baisser les loyers moyens. »
Pourquoi diable ne pas vouloir baisser les loyers, même moyens, s’ils atteignent des niveaux irrationnels ? Comment se satisfaire d’un tel manque d’ambition, à l’heure où la situation des ménages les plus modestes est véritablement désespérée ? Pourquoi annoncer un encadrement des loyers si celui-ci ne vise qu’un petit nombre de baux exorbitants, qualifiés d’exagérément élevés par vous-même, monsieur le rapporteur de la commission des affaires économiques ?
Pour notre part, nous estimons qu’une baisse n’est pas souhaitable, mais indispensable. Les loyers sont trop élevés, vous le dites vous-même dans le rapport : 40 % des ménages dépensent pour se loger plus de 40 % de leurs revenus. C’est une véritable confiscation des ressources des familles, une déprédation du pouvoir d’achat populaire. Je rappelle que celui-ci connaît, ces derniers mois, une chute qui constitue un record depuis l’année 1984. Il ne faut pas se résoudre à prendre simplement acte de la hausse vertigineuse des loyers de la dernière décennie, et encore moins se contenter de l’avaliser en la gravant dans le marbre légal ! Il faut la combattre, cette hausse des loyers. C’est pourquoi nous proposons des amendements qui introduisent un encadrement plus rigoureux et, à nos yeux, plus efficace.
D’autre part, votre dispositif comporte de nombreuses possibilités de dérogation pour les bailleurs. Il ne s’applique que dans le parc privé. Il ne s’applique que dans les zones tendues. Il peut être contourné pour tout logement présentant des « caractéristiques exceptionnelles », ainsi que pour tout logement qui fera l’objet de projets de rénovation. Aucun contrôle n’est prévu. Aucune sanction n’est prévue. Le recours judiciaire permis au locataire n’aura quasiment jamais lieu, car comme vous l’établissez à la page 36 de votre rapport, « les locataires n’intentent que très peu d’actions en justice ».
Et pour cause ! Comment pourraient-ils le faire alors que les propriétaires peuvent si facilement faire pression sur un locataire gênant, au moyen du congé, par exemple ? Quel locataire, après les mois de galère que constitue la recherche d’un logement en zone tendue, osera se retourner contre le propriétaire qui a consenti à lui louer son bien ?
Marcel Aymé a eu cette phrase forte et tellement juste : « L’injustice sociale est une évidence si familière, elle est d’une constitution si robuste, qu’elle paraît facilement naturelle à ceux mêmes qui en sont victimes. » On retrouve cela dans les difficultés que pourraient avoir les locataires à se retourner contre les bailleurs.
Aussi, madame la ministre, comme les associations spécialisées, nous n’attendons pas – et je le dis sans vouloir faire un procès d’intention – des résultats tangibles de votre encadrement des loyers. Je le dis tranquillement, sans posture, parce que c’est ma conviction à la lecture du texte.
En autorisant un plafond supérieur de 20 % au loyer médian, il risque d’inciter les propriétaires à se rapprocher de ce plafond pour tirer le maximum de bénéfices de leurs surfaces louables. Tels sont en quelque sorte les effets contre-productifs, voire pervers, que pourraient avoir les mesures que vous proposez.
M. André Chassaigne. Le décret sur l’encadrement des loyers à la relocation n’évitera pas cette tendance, car son application est trop lacunaire.
De plus, il pourra être envoyé aux oubliettes lors de n’importe quel changement gouvernemental et les logiques hyper-inflationnistes pourront alors reprendre massivement. À tout le moins, j’y insiste, il faudrait donner à ce décret une valeur législative ; nous le proposerons par voie d’amendement.
Enfin, je ne parviens pas à m’expliquer les raisons qui vous poussent à instaurer un loyer médian minoré, c’est-à-dire à interdire les faibles loyers. J’ai beau retourner le problème dans tous les sens, cette mesure me paraît tout simplement incroyable. Alors que certains locataires, souvent des personnes âgées qui occupent leur logement depuis des décennies, ont réussi à conserver des loyers raisonnables, voilà que la loi invite les propriétaires à augmenter ceux-ci brutalement ! Très honnêtement, les bras m’en sont tombés. Peut-être vos réponses et vos explications vont-elles me les faire lever à nouveau, mais je dis les choses telles que je les ressens !
Quelle peut bien être la vertu d’une telle disposition ? Quelles seront ses conséquences, sinon une aggravation supplémentaire du marasme ? La loi se charge en quelque sorte de renchérir les rares logements qui ne l’avaient pas été par le marché ! Je défendrai des amendements visant à améliorer le texte sur ce point, car nous ne pouvons accepter une telle occasion gâchée en matière d’encadrement des loyers.
Je veux maintenant tempérer mon premier constat en apportant mon soutien à deux avancées importantes.
D’abord, le principe de la garantie universelle des loyers nous semble aller dans le bon sens. Supprimer la caution en mutualisant le risque d’impayé constitue une mesure d’égalité. Cependant, ce n’est pas aux locataires de financer cette garantie, mais aux bailleurs.
De surcroît, la GUL doit avoir pour effet d’empêcher les expulsions. Le risque d’impayé étant couvert, il n’est plus acceptable que des familles soient chassées de leur logement.
Je citerai ici le cas récent de l’expulsion d’une famille avec deux enfants, la veille de la rentrée scolaire, à Stains, dans la circonscription de mon amie Marie-George Buffet, alors que dix loyers sur douze avaient été versés. Si la GUL doit avoir une utilité, outre celle de mettre fin au système du cautionnement, c’est bien d’empêcher que de telles injustices se reproduisent !
D’autre part, je veux exprimer mon accord avec les dispositions visant à encadrer les professions immobilières. Si les dérives ne sont certes pas généralisées, elles sont néanmoins bien réelles. Il est donc indispensable d’y mettre un terme, en instaurant un cadre déontologique ainsi que des obligations de formation.
Nous avons été beaucoup interpellés, les uns et les autres, sur cette exigence de régulation, on nous a même fait du chantage à l’emploi, en allant parfois jusqu’à prétendre que réglementer les excès revenait à encourager le licenciement des employés. Au contraire, et je l’ai dit aux représentants de la profession que nous avons rencontrés, la création d’une ossature déontologique, loin de mettre en danger l’activité, aura pour effet de la sécuriser et de la pérenniser. C’est pourquoi, madame la ministre, ce chapitre constitue une réelle avancée.
S’agissant de la lutte contre les expulsions, nous sommes favorables au renforcement du rôle des commissions départementales de coordination des actions de prévention des expulsions locatives grâce à des moyens budgétaires accrus.
En outre, nous proposons de donner une valeur légale au décret empêchant les expulsions des personnes prioritaires au titre du droit au logement opposable, ce dispositif étant actuellement mal appliqué. Suite à nos débats en commission, je crois qu’il est très important de discuter des logiques de ghettoïsation dont la loi DALO est porteuse. S’il faut évidemment reloger le plus rapidement possible les foyers prioritaires, il n’est pas concevable que ces familles soient toujours dirigées vers les mêmes communes, celles qui construisent le plus de logements sociaux. Ce serait en effet donner quitus aux municipalités, essentiellement de droite, qui fraudent la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain et refusent la mixité sociale.
M. Martial Saddier. C’est faux !
M. André Chassaigne. Cela revient aussi à concentrer les difficultés dans les communes de bonne volonté, qui doivent parfois gérer des flux très importants sans bénéficier des moyens financiers correspondants.
Nous le savons tous, la sanction financière prévue par la loi SRU à l’encontre des communes récalcitrantes ne suffit pas à réguler ces flux. Seule la construction de logements sociaux apportera une solution décisive et durable au problème.
S’agissant des copropriétés dégradées, les mesures proposées nous semblent également positives, bien qu’insuffisantes. Sur les conseils avisés de la municipalité de Grigny, qui a effectué un travail très important en coopération avec les associations et les riverains, nous ferons des propositions pour aller plus loin.
Je tiens à souligner que le problème de la dégradation ne concerne pas seulement le parc privé. C’est d’une politique de réhabilitation plus générale que nous avons besoin. Il faut donc renforcer les moyens financiers de l’Agence nationale de l’habitat et les adosser à d’autres ressources que le seul 1 % logement.
En ce qui concerne l’habitat indigne, réalité littéralement meurtrière de nos territoires, les élus du Front de gauche prendront une nouvelle fois l’initiative. Il est temps d’agir ! Dans de tels logements, le paiement des loyers doit être suspendu jusqu’à la réalisation des travaux de réhabilitation, soit l’exact inverse du mécanisme mis en place. L’article 3 du projet de loi prévoit en effet d’autoriser les propriétaires qui effectuent des travaux de rénovation à augmenter les loyers de façon limitée. Pourquoi ne pas, au contraire, permettre aux locataires de logements vétustes, insalubres et dangereux de ne pas s’acquitter de leur loyer tant que les travaux ne seront pas réalisés ? Une telle disposition équilibrerait utilement le texte.
S’agissant de l’hébergement d’urgence, chacun connaît le caractère extrêmement tendu de la situation sur tout le territoire, et le député du Puy-de-Dôme que je suis la connaît mieux que d’autres.
La semaine dernière, à Clermont-Ferrand, 360 personnes, dont 150 enfants, ont été jetés à la rue, l’association gestionnaire du « 115 » n’étant plus en mesure de payer l’hébergement de ces familles faute d’engagement financier suffisant de l’État. Je vous rappelle, madame la ministre, que nous nous sommes déjà rencontrés pour réfléchir ensemble à la résolution de cette scandaleuse incurie.
Alors que ces familles dormaient dans la rue, seize d’entre elles, sur vingt-trois, ont depuis obtenu du tribunal administratif de Clermont-Ferrand que le préfet du Puy-de-Dôme organise leur accueil dans des conditions matérielles décentes. Un tel épisode démontre assez clairement les failles considérables de l’organisation de l’hébergement d’urgence ainsi que les conséquences dramatiques du désengagement financier de l’État.
J’ai déposé un amendement, suggéré par le collectif des associations, afin de revoir entièrement le rôle des services intégrés d’accueil et d’orientation dans l’organisation de l’hébergement d’urgence dans notre pays. Ces derniers assument en effet une mission déterminante pour la bonne prise en charge des personnes sans abri ou mal logées.
Chers collègues, il est temps d’aborder un sujet qui fâche : le volet urbanistique du projet de loi (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP), et en particulier la disposition qui divise profondément les deux groupes parlementaires dominants de cette assemblée : l’instauration du PLU intercommunal obligatoire.
M. Jean-Louis Dumont. Très bien !
M. Martial Saddier. Nous y voilà !
M. André Chassaigne. Pour les élus communistes, républicains et citoyens que je représente ici, et donc pour les élus du Front de gauche, le PLUI peut être un bon outil. Nous n’avons pas d’opposition de principe aux intercommunalités de projet, dès lors qu’elles sont concertées et volontaires.
M. Jean-Louis Dumont. Ah !
M. André Chassaigne. Du reste, une telle démarche est déjà possible, et donne dans certains cas de bons résultats, notamment lorsqu’elle est relayée de bonne façon sur le plan communal, en suscitant une réelle concertation et en actionnant une dynamique citoyenne.
M. Martial Saddier. Nous sommes d’accord !
M. André Chassaigne. En revanche, il n’est pas acceptable que ce PLUI soit obligatoire.
M. Marc Dolez. Très bien !
M. Martial Saddier et plusieurs membres du Groupe UMP. Bravo !
M. André Chassaigne. Il n’est pas acceptable que les communes soient dessaisies d’office de leurs compétences. Il n’est pas acceptable qu’elles n’aient pas le choix ! Dans le droit fil de la réforme Sarkozy-Balladur de 2010 et du coup de force de l’été sur les métropoles, vous organisez l’intercommunalité avec un gourdin ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Nous estimons indispensable de laisser aux communes la liberté de décider du passage au PLUI, car un PLUI imposé ne pourra donner de bons résultats, des blocages pourront survenir dans sa mise en œuvre, et la gestion intercommunale en sera compliquée. De surcroît, il accélèrera la mise en concurrence des territoires.
M. Martial Saddier. Très bien !
M. André Chassaigne. L’urbanisme ne peut se concevoir sans la collaboration des élus et de la population, ni sans démocratie. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
M. Marc Dolez. Excellent !
M. André Chassaigne. Dans les intercommunalités hétérogènes, les communes qui connaissent le plus de difficultés ou celles qui accueillent le plus de logements sociaux seront trop souvent condamnées, en fonction de ceux qui seront aux manettes, à être les parents pauvres de l’agglomération. Avec ce type d’autoritarisme local associé à une vision conservatrice, les logiques de polarisation et de ghettoïsation ont de beaux jours devant elles ! Quel est le sens d’une décentralisation qui n’associe ni les maires ni les populations ? Quel est le sens d’une décentralisation qui réservera de fait l’urbanisme à des structures technocratiques ?
M. Marc Dolez. Très bien ! Il fallait le dire !
M. André Chassaigne. Sur ce point, tout comme sur votre funeste projet de loi concernant les métropoles, qui laissera des traces profondes s’il n’est pas considérablement amendé – comme s’apprête à le faire la chambre haute –, nous vous demandons solennellement de ne pas passer en force. Oui au PLU intercommunal, mais au PLU intercommunal volontaire !
M. Marc Dolez. Très bien !
M. Martial Saddier. Bravo !
M. André Chassaigne. Le volet territorial de ce projet de loi est décidément très négatif. Prenons, par exemple, l’article 61. Il retire le bénéfice de l’ingénierie juridique et technique des services déconcentrés de l’État à toutes les intercommunalités qui comptent de 10 000 à 20 000 habitants, lesquelles devront donc désormais financer sur leurs fonds propres tout un pan de leur activité urbanistique et administrative.
M. Martial Saddier. Je l’ai dit !
M. André Chassaigne. C’est un désengagement en bonne et due forme, comme à la belle époque du sarkozysme. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.) Pourquoi ? Quelle est la vertu d’une telle mesure ? Qui la demande ? L’objectif n’est-il que de réduire la dépense au détriment des élus et des populations ? Est-ce là, madame la ministre – et je le dis gravement –, votre vision de la décentralisation ?
D’ailleurs, je vous ai posé une question écrite le 1er janvier 2013, à laquelle vous m’avez répondu le 18 juin. (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe UMP.) Je note à ce propos qu’environ 60% des questions écrites ne reçoivent pas de réponse de la part de ce Gouvernement.
M. Martial Saddier. Redonnez-lui trente minutes !
M. André Chassaigne. Ce n’était d’ailleurs pas mieux avant !
J’avais appelé votre attention, madame la ministre, sur l’avenir des dispositifs « Application du droit des sols » et « Assistance technique de l’État pour des raisons de solidarité et d’aménagement du territoire » que les élus ruraux, notamment, connaissent bien. Lors d’un comité technique, vous aviez vous-même fait part de votre volonté d’en discuter. Las, les collectivités sont désormais amenées à exercer pleinement ces missions avec l’aide des intercommunalités. En fait, vous avez affirmé votre volonté politique d’arrêter l’instruction de l’ADS à titre gracieux et de ne plus conclure de conventions ATESAT avec les collectivités, ce qui a d’ailleurs fait l’objet de nombreuses réactions critiques, en particulier de la part des élus locaux.
Les suppressions d’effectifs dans ces deux domaines, disais-je dans ma question, sont programmées, et s’accélèrent même en 2013, dans la continuité des années précédentes. Après la mise en concurrence de l’ingénierie publique, contre laquelle toute la gauche s’est élevée, le Gouvernement décide donc de continuer la destruction de services qui assurent des tâches d’intérêt général au plus près des collectivités et des citoyens.
M. Martial Saddier. Destruction accélérée !
M. André Chassaigne. Vous m’avez répondu, madame la ministre, en prenant acte de ma question et en rappelant votre conviction. Je lis le début de votre réponse : « Le ministère de l’égalité des territoires et du logement a engagé une réforme des missions d’instruction des autorisations d’urbanisme et des missions d’ingénierie publique de l’État à destination des collectivités. Cette évolution concerne les missions ADS, dont bénéficient les collectivités de moins de 20 000 habitants, essentiellement pour l’instruction des autorisations d’urbanisme, ainsi que les missions ATESAT.
Et vous poursuiviez ainsi : « Le renforcement des compétences des collectivités, la consolidation des intercommunalités, la structuration de dispositifs d’ingénierie technique et financière au niveau intercommunal comme départemental ont modifié le partage des tâches entre l’État et les collectivités territoriales. La prise en compte de cette répartition nouvelle, conjuguée aux exigences de la modernisation de l’action publique, impose de repenser l’action de l’État dans les territoires. Le ministère de l’égalité des territoires et du logement a donc décidé de recentrer l’ADS sur des missions de solidarité vis-à-vis des communes fragiles, du fait de leur petite taille, membres d’intercommunalités de moins de 10 000 habitants. »
Votre réponse contenait déjà les éléments du projet de loi qui nous est soumis aujourd’hui. Vous avez de la suite dans les idées, c’est certain, mais l’orientation que vous avez choisie aboutit malheureusement à dépouiller l’État de ses compétences et de ses responsabilités, puisque ses compétences sont transférées à l’intercommunalité. Ce transfert de compétences, donc de charges, c’est ce que nous condamnons depuis des décennies, sur tous les bancs de la gauche !
M. Marc Dolez. Eh oui !
M. André Chassaigne. On ne peut pas tenir des propos, d’une seule voix avec le reste de la gauche, quand on est dans l’opposition, puis faire le contraire de ce que l’on a dit lorsqu’on arrive au pouvoir !
M. Olivier Marleix. C’est un raisonnement honnête !
M. André Chassaigne. J’ai souvent cité l’Auvergnat Blaise Pascal : « Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà. » Désormais, on pourra dire : « Vérité en deçà des élections, erreur au-delà. »
M. Martial Saddier. Très juste !
M. André Chassaigne. Cela a pour conséquence une perte de confiance dans la parole politique, dont on ne mesure pas les effets sur l’opinion publique.
M. Marc Dolez. C’est sûr !
M. André Chassaigne. Il faut en prendre conscience, mais en réalité nous le savons tous, par les échanges que nous avons avec les populations des territoires que nous représentons. C’est dramatique : certains élus locaux, certains élus ruraux sont blessés aujourd’hui…
Mme Marie-Christine Dalloz. Très bien ! Bonne analyse !
M. André Chassaigne. Quand on leur dit qu’il n’y aura plus d’instruction de permis de construire en sous-préfecture, ni service du droit des sols, ils sont blessés. Ils ont déjà eu beaucoup de mal à s’adapter à l’ouverture à la concurrence de l’ingénierie par la suppression de l’ingénierie publique, et on leur porte encore un nouveau coup. Je voulais y insister, car c’est une conséquence directe de votre projet de loi, qui mettra en œuvre - d’une manière tout à fait honnête, du reste - les idées exposées dans la réponse que vous aviez faite à ma question écrite. Mais je ne partage pas votre point de vue, et je tenais à le dire clairement.
Mme Marie-Christine Dalloz. Voilà un élu proche du terrain !
M. André Chassaigne. La transformation obligatoire des plans d’occupation des sols en plans locaux d’urbanisme - cela a déjà été dit - traduit également une conception très autoritaire des relations entre l’État et les collectivités. Aujourd’hui, un certain nombre de POS sont d’ores et déjà élaborés comme des PLU et n’ont donc pas besoin d’évoluer.
Puisque nous en sommes au chapitre des sigles, la suppression des COS, les coefficients d’occupation des sols, nous semble elle aussi problématique, en ce qu’elle prive les collectivités d’un outil de maîtrise de l’aménagement. Vous savez, et vous l’avez bien compris en m’écoutant, que nous faisons du respect de la commune et de son droit des sols un point déterminant. C’est notre conception de la démocratie locale.
M. Marc Dolez. Absolument !
M. André Chassaigne. Nous l’avons exposée avec force cet été, durant l’examen du désastreux projet de loi créant les métropoles, et nous le réaffirmons aujourd’hui.
M. Marc Dolez. Excellent !
M. André Chassaigne. Après ce tour d’horizon, que j’ai effectué avec la volonté sincère de soutenir ce projet dans ce qu’il a de bon et de le critiquer dans ce qu’il a de mauvais, je voudrais évoquer ses manques et faire quelques propositions.
Je m’étonne d’abord de ce que le Gouvernement ne souhaite pas remettre en cause la loi Boutin, alors que nous avions combattu ensemble, à l’époque, ce texte de régression. Aujourd’hui, - les acteurs du logement le disent - le projet de loi Boutin se paie très cher sur le terrain. La casse du logement social est avancée, et il faut inverser la vapeur ! Pourquoi cette majorité, j’irai même jusqu’à dire : pourquoi notre majorité…
M. Martial Saddier. Ah !
M. André Chassaigne. …ne se saisit-elle pas du présent projet de loi pour sortir le logement social des logiques de marchandisation ?
Deux points en particulier devraient nous mettre tous d’accord. Je pense d’abord à la suppression des CUS, les conventions d’utilité sociale, moyen inventé par l’État pour classer le parc social par catégories. À terme, cette catégorisation servira à augmenter les loyers des logements sociaux qui sont en meilleur état ou qui sont les mieux situés. Je pense, deuxièmement, à la baisse des plafonds de ressource. La logique sarkozyste partait du constat que la demande de logements sociaux est largement supérieure à l’offre - vérité qu’a rappelée tout à l’heure M. Apparu. Mais au lieu d’augmenter l’offre par la construction, on a empêché les familles solvables d’accéder à ces logements ! Et ce tour de passe-passe a été habilement mis en musique : pourquoi, nous a-t-on dit, ne pas réserver le logement social à ceux qui en ont le plus besoin, c’est-à-dire aux plus pauvres ? Le problème, c’est que ce raisonnement est simpliste et à courte vue, car le logement social ne doit pas être un filet de sécurité réservé aux cas extrêmes : il doit être la norme même de l’habitat !
Sortir le logement du marché devrait être notre projet commun. Au cœur d’une crise historique, c’est ce projet qu’il faut relancer ! Le logement social, s’il n’abrite que les plus modestes de nos concitoyens, contribuera à renforcer les logiques de ghettoïsation, au lieu de les briser. Sans mixité sociale, l’habitat public se dégrade plus rapidement, car les familles les plus pauvres n’ont malheureusement ni les moyens d’assurer l’entretien des communs, ni le temps de participer à la vie du quartier. Réserver le parc social aux plus pauvres, c’est réaliser le rêve thatchérien de prestations sociales réduites à la portion congrue et d’un accès volontairement rabougri et filtré au service public ; c’est participer à l’extension du domaine du marché.
Voilà pourquoi nous proposons d’augmenter de 10 % les plafonds de ressource. Voilà pourquoi il faut revenir sur l’expulsion des locataires solvables en cas de sous-occupation des locaux, souvent à la suite du départ des enfants ou du décès du conjoint - avec tout ce que peuvent avoir de dramatiques ces mesures d’expulsion pour des personnes âgées. Les familles qui ont été chassées du logement social sous la droite sont venues grossir les rangs des demandeurs dans le parc privé. La loi Boutin est profondément perverse, car elle nourrit l’hyperinflation des loyers. Ayons le courage de revenir sur les méfaits de dispositions législatives adoptées par la majorité précédente !
M. Marc Dolez. Bravo !
M. André Chassaigne. Madame la ministre, vous savez qu’il est dans l’ADN des communistes, et dans celui de leurs partenaires du Front de gauche, de promouvoir la démarchandisation du logement. Or, tel n’est pas vraiment le sens de votre action. Permettez-moi de revenir sur le dispositif de défiscalisation qui porte votre nom : le « Duflot ». À travers la France, sur les panneaux d’affichage, dans les boîtes aux lettres, dans la grande presse, sur Internet, il est difficile d’échapper au matraquage publicitaire réalisé par tous les acteurs lucratifs de l’immobilier autour du Duflot ! (Sourires.) Les promoteurs s’en lèchent les babines avec délectation, et pour cause ! Alors que nous cherchons désespérément de l’argent pour abonder les budgets, la défiscalisation Duflot coûtera peut-être encore plus cher à l’État que le Scellier, ce Scellier auquel Sarkozy lui-même avait dû renoncer parce qu’il coûtait trop cher ! Vous conviendrez que le Duflot n’a pas de véritable vocation sociale ; il est une aubaine pour ceux qui font du logement un objet de spéculation et d’enrichissement.
M. Martial Saddier. Il faut lancer une mission d’information sur le sujet, président Brottes !
M. André Chassaigne. Les sommes considérables allouées à l’investissement locatif, nous aurions pu les consacrer à l’agrandissement et à la rénovation de notre parc social. Madame la ministre, il est encore temps d’arrêter le Duflot et d’utiliser les sommes dégagées pour l’aide à la pierre.
Que dire de cette autre source de financement qu’est le livret A ? Lors des débats en commission, j’ai été le seul, me semble-t-il, à évoquer ce sujet, alors même que nous étions au cœur de ce que Mediapart a appelé très justement le « fric-frac de l’été ». Voici ce qu’écrivait alors la journaliste Martine Orange : « Les banquiers ont obtenu, à l’issue de leur rencontre avec François Hollande, de pouvoir garder pour eux une partie des sommes collectées par l’intermédiaire du livret A, et non de les remettre à la Caisse des dépôts. » Cela n’a rien à voir, évidemment, avec la une de Libération aujourd’hui… Ce pillage représenterait 25 à 30 milliards d’euros. Madame la ministre, ce n’est pas à vous que j’apprendrai que ces sommes permettent à la Cour des dépôts et consignations de financer la construction de logement social, via notamment des prêts à très long terme. Offrir ces sommes à la finance, c’est permettre la spéculation et l’enrichissement sans cause, aux dépens du logement social. À quoi bon relever le plafond du livret A - mesure que nous avons votée avec enthousiasme - si cette manne est destinée, non à des causes utiles et constructives, mais à la voracité des banquiers ?
Parce que personne ici ne peut accepter un geste aussi contre-productif et aussi contraire aux valeurs de la gauche, j’ai déposé un amendement pour recentraliser la collecte de l’épargne populaire auprès de la Caisse des dépôts et consignations.
M. Jean-Louis Dumont. Très bien !
M. André Chassaigne. Nous ferons, au cours de ce débat, de nombreuses autres propositions constructives. Parmi les plus emblématiques au vu de la situation de tension inédite, je voudrais citer la demande formulée par la Confédération nationale du logement, dont je souligne l’engagement quotidien, d’un gel des loyers, tous secteurs confondus, pendant trois ans.
Je citerai également la demande de l’association Droit au logement, qui demande une nouvelle fois, à l’approche de l’hiver, que les procédures de réquisition de logements vacants soient applicables et appliquées. Aujourd’hui, on compte 4,5 millions de mètres carrés de bureaux inoccupés en Île-de-France, dont 1,1 million dans la capitale ; quant aux logements, 17 000 faisaient l’objet d’un constat de vacance en 2007. En France, l’Insee a recensé près de 2,29 millions de logements vides, et leur nombre n’a jamais été aussi élevé. En commission, vous m’avez fait, madame la ministre, la réponse suivante : « La procédure de réquisition n’est absolument pas opérante sur les logements individuels, au regard de l’énergie considérable qu’il est nécessaire de déployer. Mieux vaut recourir à des méthodes incitatives vis-à-vis des propriétaires d’un ou deux logements. » Je ne vous fais pas de procès d’intention, mais faut-il craindre de votre part un début de renoncement ? Nous ne le souhaitons pas, et j’espère que vous nous répondrez sur ce point.
Nous proposerons également l’extension du délai avant expulsion accordé aux locataires en difficulté, ainsi que pour les prioritaires DALO. Nous proposerons - je pense que vous l’avez compris - le volontariat pour les plans locaux d’urbanisme intercommunaux…
M. Martial Saddier. Très bien !
M. André Chassaigne. …et la suppression des différentes mesures qui marquent un désengagement de l’État vis-à-vis de ses missions territoriales.
M. Martial Saddier. Très bien !
M. André Chassaigne. Chers collègues, vous l’avez compris, pour les députées et les députés du Front de gauche, la gauche est capable de mieux. Nous pouvons créer ensemble les convergences nécessaires à l’adoption d’avancées réelles. C’est en nous rassemblant sur des projets ambitieux que nous sortirons la gauche de l’ornière de l’ultralibéralisme. Au vu de l’importance que nos concitoyens accordent à la question du logement, qui est le premier poste de dépense des familles, ce projet de loi peut être - et doit être - le pivot attendu. C’est la raison pour laquelle les députées et les députés du Front de gauche, optimistes et combatifs, réservent leur vote en fonction du sort qui sera fait à leurs propositions et à leurs amendements.

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André
Chassaigne

Président de groupe
Député du Puy-de-Dôme (5ème circonscription)

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