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Prévention du surendettement

Mme la présidente. La parole est à M. Roland Muzeau.
M. Roland Muzeau. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi soumise à notre examen par nos collègues du Nouveau Centre aborde une question délicate et douloureuse : le surendettement, qui affecte un nombre sans cesse croissant de nos concitoyens.
Comme le souligne notre rapporteur, le nombre de dossiers déposés auprès des secrétariats des commissions de surendettement n’a cessé de progresser ces dernières années, passant de 180 000 en 2004 à 200 000 en 2009, pour atteindre 230 000 en 2011. Ces chiffres soulignent les carences manifestes des dispositifs mis en œuvre en matière de prévention du surendettement, lesquels se sont, pour l’essentiel, attachés à garantir une meilleure information des organismes prêteurs sur la solvabilité des emprunteurs.
Le texte qui nous est proposé aujourd’hui s’inscrit dans la continuité de cette démarche. Les parlementaires centristes nous font, en effet, depuis plusieurs années les mêmes propositions : d’une part, la sanction des établissements de crédits qui manqueraient à leurs obligations de vérification de la solvabilité du souscripteur, d’autre part, la création d’un registre national des crédits aux particuliers.
Ces propositions ne nous satisfont pas.
Si nous ne pouvons, bien sûr, que nous réjouir que leurs auteurs aient à cœur de renforcer les moyens de prévention existants, les mesures proposées sont notoirement insuffisantes. Nous estimons qu’elles détournent, en réalité, l’attention des problèmes réels, faute de poser le bon diagnostic.
Si l’on peut estimer à un million le nombre de ménages surendettés en France, il faut d’abord constater que les ménages qui sont conduits à déposer un dossier ont souscrit en moyenne trois prêts classiques et cinq à six crédits à la consommation pour un montant moyen à rembourser de 41 000 euros – ce sont les chiffres de 2010. La plupart ont souscrit un crédit, voire plusieurs, à des taux qui avoisinent celui de l’usure, qui s’élève aujourd’hui, pour les prêts d’un montant inférieur ou égal à 1 524 euros, à 20,65 %, à 19,15 % pour les découverts en compte, les crédits renouvelables, les financements d’achats ou de ventes à tempérament d’un montant compris entre 1 524 et 3 000 euros et à 17,69 % entre 3 000 et 6 000 euros.
Les offres de crédits à la consommation de ce type prolifèrent depuis quinze ans. Elles jouent un rôle déterminant, nous le savons, dans 80 % des cas de surendettement.
La loi du 1er juillet 2010 portant réforme du crédit à la consommation, dite loi Lagarde, a prévu de simples aménagements à la détermination du taux de l’usure. Ces aménagements visaient, d’ailleurs, avant tout à ménager les acteurs du marché, sans remettre en cause les dispositions du code de la consommation qui autorisent les établissements de crédit à proposer un taux effectif global excédant de près du tiers le taux effectif moyen.
Pourquoi n’avez-vous jamais, pour ne prendre que cet exemple, accepté notre proposition d’abaisser le seuil de taux d’usure à 10 % de plus que le taux légal, au lieu des 33 % actuels ? C’est, au fond, que vous jugez probablement légitime qu’existe dans notre pays un système de crédit à deux vitesses : des crédits à taux usuraire pour les plus démunis et des crédits à taux préférentiel pour ceux qui en ont les moyens. De la loi du marché résulte peut-être l’adage selon lequel « on ne prête qu’aux riches », mais ce n’est assurément pas ce que dicte l’intérêt général, et nous estimons qu’en matière de lutte contre le surendettement, le législateur a vocation à faire mentir cet adage.
Si tant de nos concitoyens sont aujourd’hui amenés à souscrire des crédits renouvelables en se tournant vers des organismes qui appliquent des taux d’intérêts scandaleux, c’est qu’il n’existe pas, dans notre législation, de droit au compte ni de véritable droit d’accès au crédit bancaire. Les personnes les plus fragilisées, celles qui font face à des accidents de la vie ou ne parviennent tout simplement plus à joindre les deux bouts, deviennent ainsi les proies des organismes prêteurs. Nombreuses aussi sont les victimes du surendettement parmi les 8 millions de travailleurs pauvres que compte notre pays, cortège qui n’a cessé de grossir sous l’effet de votre politique économique.
Nous sommes, pour notre part, favorables à la reconnaissance d’un droit au crédit, qui permettrait aux personnes en difficulté de bénéficier, au contraire de la situation actuelle, de crédits à taux réduit. Nous estimons que les établissements de crédit ne peuvent s’exonérer des responsabilités qui sont les leurs en qualité de dépositaires de fonds constitués majoritairement du fruit du travail des salariés. Cette responsabilité devrait les engager à assumer certaines missions d’intérêt général : l’octroi de crédits à taux préférentiel aux personnes les plus fragilisées en est une.
Nous nous prononçons également, cela ne vous surprendra pas, en faveur de l’interdiction pure et simple des crédits renouvelables, qui jouent un rôle déterminant dans l’entretien et l’aggravation des situations de surendettement et sont pourtant souvent, en pratique, les seuls crédits proposés aux personnes qui rencontrent des difficultés financières récurrentes. Le recours de plus en plus fréquent à ce type de crédit est d’ailleurs l’un des symptômes des difficultés croissantes que rencontrent nos concitoyens, sous l’effet des politiques que vous avez conduites ou, à tout le moins, soutenues.
Vous nous dites vouloir responsabiliser les organismes prêteurs, mais l’architecture et la philosophie de votre proposition de loi se fondent, en réalité, sur l’idée que s’il faut responsabiliser les organismes prêteurs, c’est que le souscripteur est lui-même bien souvent une personne irresponsable, dont il convient de vérifier les dires tant son appétit de consommateur pourrait le conduire à des situations inextricables.
Nous nous inscrivons en faux contre cette approche. Sans nier les effets des formes d’imposition d’un standard de vie, véhiculé notamment par la publicité, l’idée que l’essentiel des personnes surendettées seraient d’abord les victimes de leur appétit, de leur propre irresponsabilité et de leur fièvre consumériste ne correspond pas à la réalité.
M. Jean Dionis du Séjour, rapporteur. Ils sont en détresse !
M. Roland Muzeau. Oui, je sais ce qu’est la détresse.
À tout le moins, il s’agit d’un phénomène marginal, car le surendettement, et vous le savez, affecte aujourd’hui massivement les personnes victimes d’un accident de la vie – le chômage, le divorce –, les travailleurs pauvres, dont le pouvoir d’achat ne suffit pas à couvrir les dépenses courantes, et les retraités, dont la part ne cesse d’ailleurs d’augmenter dans les dossiers traités.
On ne pourra donc lutter efficacement contre le surendettement sans s’interroger sur le niveau des salaires, des minima sociaux et des pensions. Les situations de surendettement ne se seraient pas multipliées ces dernières années si vous n’aviez conduit une politique fondée exclusivement sur l’offre, et qui comptait précisément sur l’endettement des ménages pour soutenir la consommation. L’amputation du pouvoir d’achat des ménages, qui est de votre responsabilité, est un facteur bien évidemment essentiel du phénomène de masse que nous évoquons aujourd’hui.
N’ayant nulle envie de tirer les enseignements de l’échec de votre politique, vous cherchez, nous le comprenons bien, à déplacer la question afin de mettre l’accent sur la responsabilité individuelle, jusqu’à en appeler à la création d’un fichier central des souscripteurs, pour appeler les choses par leur nom.
Nous ne vous suivrons pourtant pas dans cette voie. Soyons clairs : si 70 % des surendettés le sont à la suite d’un accident de la vie, ce n’est pas un fichage qui leur redonnera les moyens financiers qu’ils ont perdus par la perte d’emploi, leur divorce ou la maladie.
La situation des ménages, de plus en plus nombreux, qui vivent dans la précarité constitue une formidable aubaine pour les organismes de crédit peu scrupuleux. L’existence d’un fichier ne changera rien : l’organisme prêteur ne s’appuiera pas davantage sur la consistance des revenus du ménage mais se donnera simplement bonne conscience en constatant uniquement l’absence d’inscription au fichier pour ouvrir un crédit à la consommation.
Le fichier positif ne créera aucun droit supplémentaire, et vous le savez, mais il empêchera plusieurs milliers de familles de passer un cap difficile de leur vie avec l’aide d’un crédit octroyé, à un taux raisonnable, bien évidemment.
Le fichier positif est, pour nous, le type même de la fausse bonne idée. Les expériences de fichier conduites à l’étranger, notamment en Belgique, n’ont en rien permis d’endiguer le phénomène de surendettement. Il représente, en revanche, quoiqu’on en dise, comme tout fichier centralisé de cette nature, une menace pour le respect des libertés publiques.
Au terme de notre intervention, vous aurez compris que si nous ne remettons pas en cause la bonne volonté de certain signataire de cette proposition, nous ne pouvons malgré tout nous défendre d’y voir un faux-semblant. Si elle devait être adoptée, cette proposition de loi n’emporterait pas davantage d’effet que la précédente. On ne peut, en effet, résoudre la douloureuse question du surendettement sans, d’une part, responsabiliser les banques en les recentrant sur les missions d’intérêt général et en leur interdisant les pratiques prédatrices, et sans, d’autre part, faire de la réduction des inégalités, du relèvement du niveau des salaires, des aides sociales et des pensions un objectif prioritaire.
Nous voterons, par conséquent, contre votre proposition, chers collègues.

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Roland
Muzeau

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