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PR pour une fiscalité écologique au coeur d’un développement soutenable

Mme la présidente. La parole est à M. Patrice Carvalho.
M. Patrice Carvalho. J’ai eu l’occasion d’intervenir à deux reprises, déjà, sur le thème de la fiscalité écologique : la première fois, lors de la conférence environnementale pour la transition écologique des 14 et 15 septembre 2012 ; la seconde, ici même, au cours d’un débat consacré à cette fiscalité, le 24 janvier dernier.
J’avais alors exprimé mes craintes de voir, sous le prétexte de modifier les comportements de nos concitoyens à l’égard de l’environnement, s’ajouter à la fracture sociale une fracture écologique. À la lecture de cette proposition de résolution qui formalise, par l’énoncé de mesures concrètes, ce que pourrait être cette fiscalité écologique, mes craintes se trouvent confirmées.
Sur les raisons qui nous poussent à agir, je ne peux qu’être d’accord. Le texte qui nous est soumis part du constat que le mode de développement, qui jusqu’à présent a prévalu et a permis à l’humanité de connaître d’importants progrès, ne peut plus être prolongé car il épuise les ressources naturelles et met en péril la planète.
Il faut donc d’urgence réformer notre modèle afin qu’il garantisse le bien-être humain en préservant l’environnement, d’où la proposition d’engager la transition vers un modèle de développement soutenable, économe des ressources et les reconstituant chaque fois que c’est possible. Je n’ai aucune objection sur le constat et sur l’objectif.
En revanche, j’en ai sur les moyens proposés. Ils se résument en une tarification de l’usage des ressources naturelles à travers une fiscalité dite « écologique ». Il est même précisé qu’il s’agit de rattraper la moyenne européenne, considérant qu’en 2010, le produit des taxes environnementales s’est élevé en France à 36 milliards d’euros, soit 4,4 % des prélèvements obligatoires, contre une moyenne de 6,2 % au sein de l’Union européenne. Notre pays occupe le dernier rang des vingt-sept pays en la matière. L’effet de rattrapage s’établit à 18 milliards d’euros par an.
Il nous est donc proposé d’engager ce processus dès l’examen de la loi de finances 2014. Parmi les mesures les plus emblématiques, figure l’alignement progressif du taux de TICPE – l’ex-TIPP – du gazole sur celui de l’essence. En l’occurrence, ce sont les foyers résidant en zones rurales ou périurbaines qui seront frappés par cette augmentation de la fiscalité et ce nouveau coup porté à leur pouvoir d’achat.
M. Martial Saddier. Bravo !
M. Patrice Carvalho. Je suis député d’une circonscription essentiellement rurale. Les familles ont immanquablement besoin de leurs véhicules individuels pour aller travailler, se ravitailler, se distraire, d’autant que l’on nous a souvent expliqué, par le passé, qu’il fallait être capable de se déplacer sur de grandes distances pour exercer un emploi.
M. Martial Saddier. Il a raison !
M. Patrice Carvalho. Elles se sont équipées en véhicules diesel parce qu’elles parcourent un nombre important de kilomètres par an et que ce mode de carburation était le plus avantageux.
M. Martial Saddier. Voilà !
M. Patrice Carvalho. Si près de 60 % du parc automobile français roule au diesel, c’est parce qu’on a incité financièrement les automobilistes à s’en doter. On leur dit aujourd’hui qu’ils vont payer ce choix – qui n’en a pas vraiment été un – au prix fort. C’est injuste et ce n’est pas écologiquement efficace. Injuste parce que ceux qui vont être fiscalement concernés n’ont pas d’alternative et, de surcroît, cette fiscalité indirecte les frappe sans qu’il soit tenu compte de leurs revenus. Ce sont donc les plus modestes qui paieront le plus lourd tribut. Inefficace, car si les foyers aux revenus modestes ou moyens vont voir fondre leurs ressources sans pouvoir diminuer leur consommation de carburant, rien n’incitera les plus aisés à reconsidérer à la baisse leur surconsommation.
Je veux faire observer que la fameuse TICPE, qui représente 49 % du prix du gazole, 57 % de l’essence sans plomb et 25 % du fioul domestique, a souvent été décrite comme un instrument destiné à faire baisser le niveau de consommation des carburants des Français. Soyons honnêtes : elle est d’abord destinée à faire entrer dans les caisses de l’État 25 milliards d’euros par an, puisqu’elle constitue le quatrième poste de recettes derrière la TVA, l’impôt sur le revenu et celui sur les sociétés. Elle n’a pas d’effet réel sur le changement des comportements et elle accroît les inégalités.
En résumé, il n’y a de fiscalité écologique juste et efficace que lorsque des alternatives réelles et fiables s’offrent à nos concitoyens. Dans le cas contraire, on crée une fracture écologique qui aggrave la fracture sociale et qui n’a aucun effet sur le mode de vie et de consommation, puisqu’il n’y a pas le choix.
Je ne détaillerai pas ici toutes les mesures avancées dans cette proposition de résolution. J’observe simplement qu’elles fonctionnent sur le même mode, qu’il s’agisse de la contribution climat-énergie, avec la mise en place de son volet carbone dès 2014, ou, à plus long terme, de la contribution sur l’énergie primaire et les externalités environnementales, à la dénomination très technocratique, qui s’appliquera à toutes les consommations d’énergies issues de ressources fossiles ou minières et à toutes les énergies renouvelables.
Je prends note qu’eu égard au surcoût que ces fiscalités nouvelles vont entraîner pour nos concitoyens, des compensations sont envisagées. Est ainsi évoquée une aide au remplacement des véhicules les plus émetteurs de particules par des véhicules plus sobres et peu polluants. Il est également envisagé des crédits d’impôt, baisses d’impôt ou allocation forfaitaire face à la création de la contribution climat énergie. Reste à savoir quel sera le solde à la charge des ménages concernés. Pour ma part, j’aurais souhaité que l’on se penche sur ces éléments de fiscalité qui encouragent à ne pas développer des alternatives moins polluantes alors qu’elles existent.
Nul, je l’espère, n’est dupe du poids du lobby pétrolier dans l’absence d’alternative et les retards qui n’ont cessé de s’accumuler dans la production de la voiture électrique ou de carburants propres. De ce point de vue, et puisqu’il est question de fiscalité, le transport routier continue de bénéficier d’un dispositif de remboursement de la taxe intérieure de consommation sur le gazole. Certes, des centaines d’entreprises et des milliers d’emplois en dépendent. Mais c’est un encouragement à poursuivre dans le choix du « tout routier » pour l’acheminement du fret. C’est un frein au développement de transports plus sûrs, moins coûteux et moins émetteurs de gaz à effet de serre. Pendant ce temps, la perspective alternative et rapidement exploitable du ferroviaire ou de la voie d’eau reste en plan, voire régresse, tandis que la niche fiscale consentie s’élève à environ 250 millions d’euros par an.
Au chapitre des niches fiscales anti-écologiques, chacun connaît les exonérations de TICPE accordées au transport aérien et qui représente 3,5 milliards d’euros par an.
En ce qui concerne la fiscalité écologique relative aux entreprises, de type TGAP ou taxe carbone, il n’échappe à personne qu’elle représente un gros effort pour les PME-PMI alors que pour les grands groupes, elle n’est qu’un droit à polluer dont ils s’acquittent sans difficulté.
Je note avec satisfaction que la proposition de résolution envisage une action pour imposer la taxe carbone aux frontières de l’Europe sur les produits importés non soumis dans leur pays d’origine à une telle fiscalité. C’est un premier pas, car j’observe que nous sommes peu regardants sur les produits que nous importons et sur les conditions dans lesquelles ils ont été produits. Ils arrivent sur notre territoire à des prix défiant toute concurrence et il en va ainsi parce que le coût du travail, nous explique-t-on, est moins élevé là où ils ont été fabriqués que chez nous. Le refrain est connu, mais nous n’avons rien à dire sur le coût de la pollution qu’a souvent représenté leur production.
Je crois en effet qu’une fiscalité douanière s’impose au nom de ce que nous pourrions appeler une concurrence écologique libre et non faussée, infiniment plus vertueuse que la concurrence économique du même nom qui, aujourd’hui, s’impose au monde et pille notre écosystème.
Bref, le défi écologique ne peut être relevé sans revoir notre mode de développement, sans poser la question de ce qui est produit et des conditions de production.
Il nous faut être économe de nos ressources énergétiques. Cela passe par une prise de conscience de chacun, mais je ne crois pas qu’il faille, pour y parvenir, culpabiliser nos concitoyens et pratiquer le matraquage fiscal. En agissant ainsi, nous accroissons les inégalités sans être plus efficaces dans le respect de l’environnement.
Alors que le chômage atteint des records et que le risque de récession menace de s’installer, il n’est pas acceptable de faire porter l’effort sur les ménages, ce qui dégrade encore plus la situation économique et sociale. Pendant ce temps-là, les plus riches peuvent continuer à surconsommer et à gaspiller tranquillement sans se soucier du coût et des conséquences.
Cela est d’autant plus vrai que l’envolée des hauts revenus entretient la débauche consumériste d’une minorité, dont le mode de vie est donné en exemple par les médias et la publicité pour prôner l’accumulation matérielle, alimenter la machine productiviste et aggraver encore les dégâts causés par un système qui réussit ce double tour de force d’exploiter à la fois les individus et les écosystèmes.
Lorsque nous parlons de fiscalité écologique, nous devons entendre lutte contre les inégalités et les fractures et processus vers un nouveau mode de production respectueux des hommes et de la planète. Or ce n’est pas l’esprit qui anime le texte qui nous est soumis. C’est pourquoi nous nous abstiendrons.

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Patrice
Carvalho

Député de Oise (6ème circonscription)

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