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Pouvoirs publics : prorogation du mandat des membres du CSM

Il nous est demandé d’émettre, en un seul débat, un avis sur l’application de l’article 65 de la Constitution et sur la prorogation du mandat des membres du Conseil supérieur de la magistrature. Évidemment, cela se fait dans l’urgence, puisque le mandat des membres actuels du Conseil supérieur de la magistrature arrive à échéance le 3 juin 2010. Un collègue du Sénat avait attiré l’attention sur le fait que si l’adoption définitive de la présente loi n’était pas réalisée avant février 2010, le mandat des membres du CSM devrait être prorogé. Nous sommes dans ce cas de figure : il nous est demandé de nous prononcer très rapidement pour apporter une solution à une situation dont la responsabilité incombe au seul Gouvernement, qui n’a de cesse de réformer et transformer les institutions de la République, quitte à ce que ce soit à marche forcée, à l’arraché.
Ce n’est pas une façon de considérer les concitoyens, et c’est faire peu de cas du travail et du rôle des parlementaires. Je constate par votre intervention, madame la garde des sceaux, que vous commencez à le mesurer…
Avant de statuer sur les deux points en débat ce soir, je voudrais formuler quelques remarques.
Si la révision constitutionnelle du 23 juin dernier a réformé le conseil supérieur de la magistrature, à la demande des magistrats, mais aussi après le choc de la commission parlementaire sur l’affaire Outreau, il faut tout de même convenir que cette réforme n’a pas, jusqu’à présent, créé les conditions d’une véritable indépendance du CSM, et pas davantage celles d’une confiance retrouvée des citoyens en leur justice, comme vous l’auriez souhaité.
J’y vois deux raisons.
Les effets de la réforme seront tout d’abord toujours amoindris tant que durera l’intrusion du politique auprès des acteurs de la justice, et notamment la mise au pas régulière des procureurs ou l’instrumentalisation des juges avec le discours sur le sécuritaire tel que le Gouvernement le prône actuellement.
Elle est ensuite entachée par l’annonce, toujours en suspens, de la suppression du juge d’instruction, suivant la volonté du Président de la République qui, en tant que chef de l’exécutif, a en l’espèce un pouvoir déterminant.
Ajoutons que le garde des sceaux, quand bien même il n’en est plus vice-président, participe de droit aux séances de formation du CSM, sauf en matière disciplinaire. Convenez, madame la ministre d’État, que votre présence ne saurait être considérée comme purement formelle…
Soulignons que, contrairement à ce que nous souhaitons, magistrats et personnalités qualifiées ne sont pas à égalité. Les non-magistrats, sauf en matière disciplinaire, sont majoritaires. Il serait pourtant facile de prévoir une présidence tournante du CSM par exemple, avec un président élu pour deux ans et choisi alternativement parmi les membres magistrats et les membres non magistrats. Ce choix donnerait à cette institution une autonomie et une légitimité démocratique qui lui font pour l’heure défaut.
Rappelons par ailleurs que le Président de la République nomme d’une part le secrétaire général du CSM, sur proposition du premier président de la cour de cassation et du procureur général, après avis du CSM, et d’autre part deux membres du CSM, selon la procédure de l’article 13 de la Constitution, c’est-à-dire après avis des commissions des lois des deux assemblées.
Force est de reconnaître que l’emprise de l’exécutif reste très forte sur les décisions du CSM, ce qui jette un doute sur son indépendance et porte atteinte à sa crédibilité, en particulier au regard de l’autonomie des décisions. Pour ces raisons, nous sommes opposés à l’article 65 tel qu’il résulte de la révision constitutionnelle, même si nous affirmons que la possibilité ici offerte au justiciable de saisir le CSM représente une avancée.
Le problème réside davantage dans le fait que la loi organique, ne pouvant en modifier la logique, ne fait qu’en organiser les modalités d’application. Pour le démontrer, je développerai quelques points qui pourraient être pris en compte.
Le justiciable va pouvoir déposer auprès du Conseil supérieur de la magistrature une plainte à l’encontre d’un magistrat ; cette plainte sera soumise par la commission des requêtes de la saisine à un filtrage. Jusque-là, rien que de très normal. Ce qui l’est moins, en revanche, c’est que cette même commission devra statuer sur la recevabilité des plaintes. Ainsi certaines se trouveront écartées, mais sur quels critères ?
Il est à noter que le magistrat mis en cause sera informé dès que la commission des requêtes aura décidé de l’examen de la plainte et de la qualification disciplinaire qu’il convient de lui accorder. La commission aura également la possibilité de l’entendre.
Cependant, les dispositions relatives à la commission des requêtes posent problème. En cas de partage des voix au sein de cette commission, la plainte sera tout de même transmise pour examen à la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature. Or le doute de la commission des requêtes devrait pouvoir bénéficier au magistrat mis en cause. C’est pourquoi il paraîtrait plus juste que le partage des voix entraîne un classement sans suite de la plainte. Une décision aussi grave pour la carrière d’un magistrat ne devrait pouvoir être prise qu’à la majorité. Serait ainsi respecté le principe selon lequel le doute bénéficie à la personne mise en cause.
Il aurait été plus ambitieux de confier la gestion des services judiciaires et l’inspection des magistrats à un service qui aurait pour mission, entre autres, d’examiner les plaintes des justiciables mettant en cause la responsabilité d’un magistrat. Ce service devrait être créé auprès du CSM et ses membres choisis par les membres du Conseil, mais hors du CSM.
J’en viens au problème essentiel, à savoir le maintien de l’exécutif dans la procédure de décision. Si la plainte du justiciable est rejetée par la commission des requêtes, le garde des sceaux conserve la possibilité de saisir le Conseil supérieur de la magistrature. Il y a là une véritable atteinte à l’indépendance de la justice et à la crédibilité même de l’institution qui pourra voir sa décision de ne pas poursuivre un magistrat être remise en question par le pouvoir. C’est manifestement une entorse au principe de la séparation des pouvoirs.
L’union syndicale des magistrats, du reste, s’en inquiète et précise qu’à travers un tel dispositif « le pouvoir politique entend garder, en toutes circonstances, le contrôle de la discipline en revenant au besoin sur une décision du CSM ». L’immixtion de l’exécutif n’est pas de nature à favoriser la sérénité des délibérations du Conseil supérieur de la magistrature lorsque celui-ci doit prendre une décision susceptible de remettre en cause la carrière d’un magistrat.
Passons au mode de désignation de certains membres du CSM dont il conviendrait de renforcer la légitimité. L’avocat devrait être élu par l’assemblée générale du conseil national des barreaux. Ainsi désigné par ses pairs, son autorité s’en trouverait renforcée. De plus, cela le placerait sur un pied d’égalité avec le conseiller d’État membre du CSM, élu par l’assemblée générale du Conseil d’État : il s’agit, ni plus ni moins, que d’assurer la cohérence de la réforme.
Le secrétaire général doit également voir son autorité renforcée puisqu’il sera désigné à la suite d’un avis conforme de la formation plénière du Conseil supérieur de la magistrature. Il est important de conférer à ces personnalités la plus grande légitimité possible pour leur permettre d’exercer leur rôle et cela éviterait bien des polémiques inutiles.
En ce qui concerne la formation plénière du Conseil, je souhaite soulever deux autres questions. Pour commencer, il faut déplorer l’insuffisance de ses prérogatives : si la réforme prévoit que la formation plénière peut répondre aux demandes d’avis formulées par le Président de la République ainsi qu’à toute question relative à la déontologie des magistrats ou au fonctionnement de la justice, elle ne peut être à l’initiative d’avis portant sur des atteintes à l’indépendance de la justice. Or une telle faculté aurait permis de renforcer sa crédibilité vis-à-vis de l’opinion publique et d’éviter l’instrumentalisation de certaines affaires par les autorités politiques.
Qui plus est, la formation plénière est totalement absente en matière disciplinaire : pour seule prérogative, le projet de loi organique lui octroie la possibilité d’élaborer et de rendre public « un recueil des obligations déontologiques des magistrats »… Ce qui est bien insuffisant.
Si cette réforme constitue par certains aspects une avancée, il n’en demeure pas moins, et c’est très grave, qu’elle montre toute son ambiguïté avec le droit, pour l’exécutif, d’intervenir sur une décision du Conseil supérieur de la magistrature.
Ce projet, comme beaucoup d’autres en ce moment, n’est qu’un projet d’affichage et ne permettra certainement pas de renforcer l’indépendance des magistrats, d’accroître la transparence – qui semble chère à votre cœur, madame la ministre d’État – et la qualité du fonctionnement de la justice, ni de conforter la confiance des citoyens.
Pour toutes ces raisons, le groupe GDR votera contre le projet.
 

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Jean-Paul
Lecoq

Député de Seine-Maritime (8ème circonscription)
Voir cette intervention sur le site de l'Assemblée Nationale

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