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Pouvoirs publics : pour une République décente

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nos concitoyens, comme en attestent toutes les enquêtes d’opinion, portent une appréciation particulièrement sévère sur le fonctionnement de nos institutions. Selon un sondage du mois de juillet dernier, les deux tiers d’entre eux estiment la classe politique plutôt corrompue. En 2009, 73 % d’entre eux jugeaient que la corruption est un problème majeur dans notre pays, contre 65 % en 2007.
Pour contribuer à leur redonner confiance, il est primordial de prévenir, comme on nous le propose ce matin, les conflits d’intérêts. Si le constituant a tenté d’éviter les cas les plus flagrants en créant le mécanisme des incompatibilités, qui interdit le cumul entre certains mandats, fonctions et activités, force est de constater que la notion de conflit d’intérêts est absente de notre droit constitutionnel. Or il est indubitable que certaines lacunes du droit risquent de faciliter des conflits d’intérêts. Il convient donc que notre droit prévienne de manière explicite les comportements qui ne sont pas conformes à ce que l’on peut attendre d’un dirigeant politique.
C’est l’objet de la proposition de loi présentée ce matin par nos collègues socialistes, et nous partageons avec eux la volonté de renforcer notre système d’incompatibilités afin d’aboutir à un dispositif de prévention et de sanction globale des conflits d’intérêt, associant incompatibilités, code de bonne conduite, déclarations d’intérêts et sanctions pénales. Grâce à cette avancée, notre pays rejoindrait un certain nombre de démocraties européennes.
Plusieurs pays se sont en effet d’ores et déjà dotés de règles ou d’organismes relatifs à l’éthique des dirigeants politiques et à la prévention des conflits d’intérêts, appliquant ainsi les recommandations formulées par l’OCDE en 2005. Cette organisation recommande que les responsables limitent les opérations, les intérêts privés, les relations personnelles et affiliations qui pourraient compromettre des décisions officielles dans lesquelles ils sont impliqués, et s’abstiennent de toute implication dans des décisions officielles entrant en conflit avec leurs intérêts personnels.
En 2005, la Norvège a édicté un code de conduite. En Finlande, il est d’usage, en cas de risque de conflit d’intérêts, qu’un ministre se récuse lui-même et s’abstienne de participer à une décision. En Suède, le code administratif prévoit les mêmes restrictions, incluant même l’activité des conjoints. Quant au Canada, il s’est doté d’un commissariat aux conflits d’intérêts et à l’éthique qui dispose de pouvoir d’enquêtes.
Dans d’autres pays, comme le nôtre, le débat est récurrent, et le constat de l’absence de la notion de conflit d’intérêts en droit n’est pas nouveau. Déjà en 1992, le professeur Yves Mény, dans son livre La corruption de la République, avait souligné que les Français, à la différence des Anglo-Saxons, ignorent l’idée de conflit d’intérêts, c’est-à-dire d’une situation où l’individu, en raison de loyautés cumulées mais contradictoires, doit sacrifier l’un des intérêts qu’il devrait défendre. Loin de s’émouvoir d’une telle situation, les Français ont tendance à régler le conflit potentiel par la concentration des intérêts sur une seule personne, à charge pour elle, précise Yves Mény, d’arbitrer selon ses préférences ou de concilier tant bien que mal des points de vue antagoniques.
En droit, la notion commence lentement à s’imposer dans notre pays. Elle le fait principalement à partir du droit pénal, en particulier de l’article 432-12 du code pénal qui définit la prise illégale d’intérêts. Cette disposition sanctionne le cas où il y a un mélange de genres, une confusion qui fait que celui qui décide ne devrait pas le faire car il a intérêt à ménager une partie des destinataires de sa décision.
Les propositions de loi soumises à notre examen ce matin représentent un progrès limité mais certain, qui devrait recueillir un avis positif de l’ensemble de nos collègues, quels que soient les bancs sur lesquels ils siègent. C’est un double progrès puisqu’elle étend le régime des incompatibilités en interdisant à un membre du Gouvernement d’être en même temps, par exemple, trésorier d’une formation politique ou dirigeant d’une association susceptible de bénéficier de dons et de versements, et élargir aux ministres les règles applicables aux fonctionnaires en matière de désintéressement.
Certes, ce progrès est limité. Il est évident que la réconciliation des Français avec leur système politique, leur démocratie et leur République passe par une réforme d’une autre ampleur, dont nous aurons certainement l’occasion de reparler, et que beaucoup d’entre nous inscrivent dans la perspective d’une nouvelle République, la sixième du nom. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC.)
 

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Marc
Dolez

Député du Nord (17ème circonscription)
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