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Pouvoirs publics : article 61-1 de la Constitution (Conseil constitutionnel)

 
Madame la présidente, madame la ministre d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le projet de loi organique vise à rendre applicable le nouvel article 61-1 de la Constitution tel qu’il a été créé par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008.
Cet article, introduit à l’issue du travail effectué par le comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République, porte sur le contrôle de constitutionnalité des lois a posteriori, dit principe d’exception d’inconstitutionnalité.
Ce principe devrait permettre aux citoyens mais aussi au Président de la République, au Premier ministre, aux présidents des deux assemblées, à soixante députés ou à soixante sénateurs, de saisir le Conseil constitutionnel.
Nous pourrions nous réjouir de cette innovation, attendue depuis des décennies, d’autant que le Conseil d’État, déjà sollicité à propos de cette procédure à l’occasion de trois arrêts de décembre 2008 relatif à l’association de défense des droits des militaires, avait été obligé de répondre que les dispositions de l’article 61-1 étaient encore inapplicables car elles ne pouvaient « entrer en vigueur que dans les conditions fixées par les lois organiques nécessaires à leur application ».
Force est de constater que la mise en place d’un contrôle de constitutionnalité des lois a posteriori fait l’unanimité ou presque – rappelons que Pierre Mazeaud, ancien président du Conseil constitutionnel, s’y est toujours opposé. Mais nombreux sont ceux qui émettent des doutes quant à l’efficacité du contrôle tel qu’il a été organisé par la loi constitutionnelle et tous attendent cette loi organique censée en préciser la mise en œuvre.
C’est pourquoi, madame la ministre d’État, j’aborderai ce projet de loi à travers des questionnements portant sur des points me semblant poser problème.
Certaines personnes affirment que ce projet de loi constitue une avancée démocratique au sein de nos institutions. Or le filtrage à deux niveaux, exercé par le Conseil d’État et la Cour de cassation avant que le Conseil constitutionnel ne statue, risque fort d’aboutir au fait que certains recours soient considérés comme abusifs, ce qui déposséderait le citoyen du droit de saisine du Conseil constitutionnel. Par ailleurs, ce filtrage, outre qu’il témoigne d’une certaine méfiance à l’égard du juge ordinaire, allonge la durée de la procédure et repose sur un postulat qui n’est nullement étayé par une étude circonstanciée du nombre potentiel de requêtes mettant sérieusement en cause, devant le juge ordinaire, la conformité de la loi à la Constitution.
Le mécanisme de double filtrage, finalement retenu pour éviter un éventuel engorgement du Conseil, nécessite donc quelques précisions de la part du législateur organique, à moins de vouloir laisser une large marge de manœuvre aux juges, appelés à jouer un grand rôle au sein de ce mécanisme.
De plus, ce recours aux filtrages successifs entraînera non seulement une procédure longue mais aussi des frais importants. Pour éviter l’alourdissement des coûts du procès, aussi bien pour les avocats que pour les justiciables, il faudrait étudier le moyen, pour l’État, de garantir aux justiciables, et notamment les plus modestes, la prise en charge de l’ensemble des frais de la procédure.
Autre question : ce projet ne véhicule-t-il pas un affaiblissement de l’exception d’inconventionnalité ? Aux termes de l’alinéa 14 de l’article 1er de ce projet, le contrôle de constitutionnalité prime sur le contrôle de conventionalité. La juridiction devra se prononcer en premier lieu sur la question de constitutionnalité. Or le contrôle de conventionalité permet d’interroger en termes de stratégies procédurales. Soulever une question de constitutionnalité sera donc synonyme de réduction, voire de privation, pendant le délai à statuer, de toutes les stratégies relatives au contrôle de conventionalité reposant sur des normes impératives du droit international. Je pense bien sûr aux pactes et conventions des Nations unies ainsi qu’aux principes généraux du droit communautaire. Il est donc prévisible que les parties s’abstiendront, la plupart du temps, de poser une question de constitutionnalité pour se concentrer sur le contrôle de conventionalité.
Cette prévalence aura pour conséquence de déposséder les citoyens du recours effectif à la question d’inconstitutionnalité et d’affaiblir leur protection.
Il aurait été préférable que cette prévalence ne soit pas maintenue dans ce texte. En définitive, il n’appartient qu’aux parties de décider si elles souhaitent actionner l’exception d’inconstitutionnalité, qui permet le cas échéant l’abrogation de la loi, ou l’exception d’inconventionnalité, qui permet la mise à l’écart de la loi au cas d’espèce.
Imposer ainsi la Constitution, en affaiblissant un mécanisme qui fait preuve de son efficacité depuis vingt ans, constitue à nos yeux une mauvaise méthode.
L’instauration, symboliquement forte, de ce dispositif laisse en outre subsister des interrogations en ce qui concerne les obligations pesant sur les juridictions ordinaires. Celles-ci devront-elles saisir leur juridiction suprême, qu’il s’agisse de la Cour de cassation ou du Conseil d’État, en cas de « simple doute », de « doute sérieux » sur la constitutionnalité ou bien encore lorsqu’il est fait état, en demande ou en défense, d’un « moyen sérieux de nature à mettre en cause la constitutionnalité de la disposition législative en cause » ? Le législateur organique devra donc préciser la condition de fond qui conduira la juridiction ordinaire à saisir sa juridiction suprême.
À ces incertitudes peuvent être ajoutées les interrogations relatives aux moyens pour les justiciables de contester les refus opposés par les juges du fond, statuant en premier ressort, de transmettre des questions de constitutionnalité.
D’autres questions plus précises concernent la possibilité en matière pénale pour les juridictions d’instruction ou la cour d’assises, compte tenu de leur composition, de soulever une question de constitutionnalité. N’oublions pas qu’avant l’entrée en vigueur de ce nouvel article, tous les juges, qu’ils soient de premier ou de dernier ressort, se référaient au contrôle de conventionalité afin de palier l’absence de contrôle de constitutionnalité a posteriori. Ils pouvaient de manière indirecte écarter une loi contraire à la Constitution en se servant des conventions internationales. Toutefois, saisir le Conseil sur l’inconstitutionnalité d’une loi à l’occasion d’une instance en cours implique qu’il devient un véritable juge, ce qu’il n’est pas jusqu’à présent.
En outre, l’article 61-1 peut se heurter à une multiplication de conflits de jurisprudence avec le Conseil constitutionnel et devenir de ce fait, à terme, un facteur d’insécurité juridique majeur, ce qui laisse place à un contrôle diffus de constitutionnalité. De plus, cet article ne donne pas aux justiciables une véritable légitimité à saisir le Conseil constitutionnel du fait de la restriction en matière de droits et libertés garantis par la Constitution.
À la suite de l’adoption de cette loi organique, le Conseil constitutionnel ne devra plus se prononcer avant la promulgation de la loi, mais a posteriori. Il sera donc compétent pour trancher un contentieux. Cela fait de cette institution une juridiction à part entière. En ce sens, l’impartialité de l’institution devient une nécessité absolue. Or elle est loin d’être acquise, compte tenu du mode de nomination de ses membres. Comme chacun le sait, c’est le pouvoir politique qui décide de la composition du Conseil constitutionnel, sans compter que les anciens Présidents de la République en deviennent membres de droit et à vie.
Dans bien des cas, les juges du Conseil constitutionnel auront participé à la rédaction, à l’adoption et à l’application des textes sur lesquels ils devront statuer. Ils deviendront de facto juges et parties.
C’est donc un vaste changement institutionnel que va induire ce texte. Il exige pour le moins de revoir le mode de nomination des juges constitutionnels. La question de son impartialité est posée, comme le souligne avec raison le Syndicat de la magistrature.
En conclusion, ce projet de loi organique propose un dispositif volontairement lourd, coûteux et inefficace. Il vise plutôt à dissuader le citoyen d’introduire des recours en inconstitutionnalité, tout cela parce que la présomption du législateur semble être qu’une procédure trop légère reviendrait à saturer le Conseil constitutionnel de demandes de statuer.
En l’état, ce projet ne correspond nullement à une avancée démocratique et il ne répond pas aux attentes des citoyens qui veulent se saisir de cette possibilité. En définitive, c’est beaucoup de bruit et d’agitation pour rien. Il vise plutôt à réduire les acquis démocratiques obtenus par les luttes et à ne pas créer de nouveaux droits pour les citoyens. Il ne fait que proposer des changements de façade pour que surtout rien ne change. Vous comprendrez, dès lors, que le groupe GDR votera contre ce projet.

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Patrick
Braouezec

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