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Pouvoirs publics : 5ème alinéa, article 13 de la Constitution (pouvoir de nomination du Président de la République)

Monsieur le ministre, permettez-moi tout d’abord de m’étonner, une fois n’est pas coutume, du calendrier de vos priorités constitutionnelles. Je suis déjà revenu à plusieurs reprises sur l’absence, ne serait-ce que sous la forme d’embryon, de projets de loi relatifs à la création du défenseur des droits ou au référendum d’initiative conjointe, pour ne parler que de ceux découlant de la réforme constitutionnelle votée en juillet 2008, alors que vous nous avez vendu ces sujets comme le volet citoyen de la réforme. Je ne parle même pas du mode de scrutin ou du droit de vote des étrangers, dont notre Président de la République a encore parlé dernièrement. On attend toujours…
En lieu et place de ces avancées réellement démocratiques que nous aurions souhaitées, nous discutons ce soir d’une procédure de ratification parlementaire de nomination à certains emplois par le Président de la République. Ce qui est présenté comme une avancée majeure pour le pouvoir du Parlement n’est, à nos yeux, ni plus ni moins qu’un gadget.
Les commissions compétentes des deux chambres devront réunir trois cinquièmes de suffrages négatifs pour s’opposer à une nomination présidentielle. Autant dire que cela n’arrivera jamais. En première lecture, j’avais fait le pari qu’il n’y aurait aucun contrôle parlementaire réel des nominations. Avec la nomination du nouveau PDG d’EDF, je l’ai gagné plus vite que je ne l’aurais cru.
En attendant, nous nous retrouvons face à une espèce de no man’s land juridique où l’encadrement des nominations présidentielles devient complètement surréaliste. Nous sommes littéralement baladés entre la réalité du projet de loi qui nous occupe et qui, de fait, n’a pas encore été voté, et des principes qui sont chaque jour avancés par le Gouvernement et le chef de l’État, faisant comme si ce texte était déjà en vigueur. Comme l’a rappelé M. Brottes lors des questions au gouvernement de la semaine dernière, M. Sarkozy a affirmé que le Parlement avait validé la proposition de nomination de M. Proglio. Or il n’en était rien. Non seulement l’audition, qu’on pourrait qualifier de hors-la-loi puisque la loi n’existe pas, a été faite à huis clos, mais, surtout, aucun avis n’a été émis.
D’un côté, M. Sarkozy fait comme si la procédure de nomination existait déjà, de l’autre, M. Fillon nous rappelle, en guise de réponse officielle, qu’elle n’a pas encore été mise en place. D’un côté, on en appelle à une absolution parlementaire pourtant inexistante. De l’autre, on renvoie le Parlement aux oubliettes en lui rappelant que, pour l’instant, il a juste le droit de se taire.
Quoi qu’il en soit, cet imbroglio juridique et législatif constitutif de la réforme constitutionnelle et de votre volonté d’encadrer les nominations, qu’elles soient présidentielles ou pas, semble paralyser vos cabinets. Il semblerait qu’en plus de la double casquette de M. Proglio, vous deviez faire face à une erreur, ou un oubli, d’inscription à l’ordre du jour de nos assemblées du projet de loi organique relatif à la nouvelle procédure de nomination des sages siégeant au Conseil constitutionnel. Or, d’ici à mars, trois d’entre eux devront être nommés. II est à croire que la motivation de l’urgence vous fera passer outre l’assentiment du Parlement. Pour qui suit un peu la teneur et le déroulement de nos débats depuis le début de cette législature, rien de bien neuf, les droits du Parlements seront de nouveau largement mis de côté, mais, de grâce, arrêtez de nous raconter des histoires.
Nos compatriotes doivent pouvoir faire la différence entre le discours médiatique aux accents et aux apparences persuasifs et volontaires, voire velléitaires, et la réalité des textes législatifs qui ancrent la société française dans un conservatisme rétrograde et ultra-libéral. À en croire les bilans du débat mettant en scène M. Sarkozy la semaine dernière, il semblerait que les Français soient de moins en moins dupes.
Touchés dans leurs gestes les plus quotidiens par des dispositions législatives dont ils n’ont pas eu écho immédiatement, nos concitoyens commencent à comprendre la portée réelle et liberticide des lois sécuritaires passées depuis 2002.
Prenons l’exemple de l’explosion du nombre des gardes à vue, qui saute aux yeux aujourd’hui. Leurs conditions méprisables et contraires aux conventions internationales ne sont pourtant que le résultat de huit ans de politique ultra-sécuritaire.
De la même façon, les difficultés que nombre de Français rencontrent dans le renouvellement de leurs pièces d’identité, je les ai déjà évoquées lors d’une question d’actualité, sont révélatrices de ce double langage. D’un côté, un discours bienveillant, de l’autre, une réalité législative liberticide, où l’ensemble de la population, à commencer par ses représentants les plus directs, nous, doit prouver chaque jour face à un État de plus en plus fort qu’elle a le droit d’exister et de faire valoir son opinion.
Ces deux exemples dressent le portait d’une France qui nous éloigne de l’exemple démocratique dont nous nous réclamons. Ils ne sont pourtant que les résultats de sept ans de politique. Mais nous aurons l’occasion, lors de la discussion de la LOPPSI 2, de revenir sur ces fausses victoires et ces chiffres bancals.
Revenons à la lettre du texte. Comme à votre habitude, vous usez de la technique du leurre afin de faire passer les membres de l’opposition pour des imposteurs qui utiliseraient chacun de vos faux pas pour créer la polémique. Monsieur le ministre, la perfidie vient de votre côté. Il n’y a qu’à penser encore une fois à la nomination du nouveau PDG d’EDF, qui, du début à la fin, est un démenti de tous les principes républicains et les mécanismes parlementaires que vous n’avez de cesse de nous vendre depuis juillet 2008.
Au moment de la réforme constitutionnelle et, il n’y a pas si longtemps, lors de l’examen du texte en première lecture dans cette enceinte, nous avions proposé que ce soient l’ensemble des emplois nommés par le Président de la République qui fassent l’objet d’un contrôle parlementaire. Il n’en est rien. Se pose toujours la question de la liste arbitraire de postes sur lesquels les parlementaires auront un prétendu droit de regard. Pourquoi seulement ces postes ? Quel a été le critère de sélection ? Pourquoi des postes importants exigeant impartialité et indépendance vis-à-vis de l’institution présidentielle ont-ils été écartés ? À part cela, tout va bien. Et vous osez encore parler d’indépendance sans sourciller !
Le projet ne concerne que sur les nominations au sein d’autorités administratives indépendantes ou de certaines entreprises publiques, écartant, de fait, les emplois les plus importants dans le fonctionnement de l’appareil d’État, à savoir ceux de directeur d’administration centrale, de préfet ou de diplomate. Avec une procédure aussi peu contraignante, qui rend tout veto parlementaire quasi impossible, il n’aurait pourtant pas été très risqué d’introduire ces emplois dans la loi ordinaire. On aurait pu y voir le signe d’une bonne volonté de votre part. Mais, là encore, rien. Le Parlement n’aura aucun droit de regard sur ces nominations stratégiques, qui exigeraient pourtant impartialité, compétence et indépendance.
Pour ces postes-là, le chef de l’État, sorte de roi thaumaturge, faisant fi de la séparation des pouvoirs, conservera toutes ses prérogatives, sans s’encombrer du Parlement. Par conséquent, l’audition des candidats par les commissions concernées n’aura même pas lieu, alors que ce n’est pourtant qu’un simple exercice, et non le grand oral qui conviendrait à une pratique réellement démocratique et respectueuse du Parlement et qui validerait une démarche sérieuse et volontariste.
Soyons clairs, le texte tel qu’il nous est donné à discuter aujourd’hui n’a quasiment pas changé. Les principes sont les mêmes, les progrès, toujours aussi minimes, sont totalement anéantis par la mise en place de la majorité des trois cinquièmes pour qu’un veto soit opposé à la nomination d’un emploi public. Ce pseudo-droit est inapplicable en l’état : il paraît en effet tout à fait improbable, pour ne pas dire impossible, de voir une nomination présidentielle rejetée. Le Parlement continue de ne disposer d’aucun pouvoir puisque le Président de la République peut parfaitement passer outre son avis, bien que celui-ci soit public.
Autant dire que la volonté gouvernementale d’« encadrer » le pouvoir de nomination présidentielle est nulle et non avenue. La technique du paraître, du leurre, très inspirée de Machiavel, pour qui gouverner, c’est faire croire, ne doit pas être le leitmotiv d’une démocratie contemporaine. C’est pourtant le fil rouge du Président de la République et de ce gouvernement qui, avec cette loi comme avec les autres lois organiques ou encore la réforme territoriale à venir, suivent très directement le penseur italien, pour qui la question fondamentale est d’obtenir le pouvoir, et de le conserver.
En guise de renforcement des droits du Parlement, vous nous proposez donc ce texte qu’il serait malvenu de voter tant la procédure qu’il met en œuvre et les moyens qu’il offre au Parlement sont minimes. C’est pourquoi le groupe GDR votera contre ce projet de loi, qui relève plus de la mascarade que d’autre chose. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)
 

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Patrick
Braouezec

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