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Police et sécurité : loi pénitentiaire

Dès la première lecture, à l’Assemblée nationale, de ce projet de loi, nous avions dit notre grande déception.
Naïvement sans doute, nous avions, en effet, espéré avec tant d’autres un projet d’une tout autre ambition – une ambition à la hauteur du constat partagé par tous les observateurs avertis, affirmant que les prisons françaises étaient une honte et une humiliation pour la République.
Nous avions espéré voir une France qui n’ait plus à rougir de sa réalité carcérale, puisqu’une grande loi pénitentiaire l’aurait réconciliée avec les idéaux qui sont les siens depuis le siècle des Lumières ; nous avions espéré voir enfin cesser les critiques et les condamnations dont elle est l’objet.
Cela ne sera pas. Parce qu’il manque de souffle et d’ambition, ce texte n’effacera pas l’humiliation de la République. La question fondamentale du sens de la peine, qui aurait dû inspirer tous les articles, sans exception, de ce projet de loi, et nourrir de bout en bout notre débat, n’a été qu’effleurée.
Le Gouvernement et la majorité ont refusé de voir que, dans la très grande majorité des cas, la peine privative de liberté, dans les conditions du système carcéral tel que cette majorité le conçoit, n’est en mesure ni d’assurer la protection de la société sur le long terme, ni de préparer la personne détenue à sa réinsertion. Au contraire, le plus souvent, la prison prolonge, voire renforce, les logiques de délinquance – au point de transformer le rôle éducatif de la sanction en son contraire.
Non ! La prison n’est pas en soi, comme l’a affirmé ici même Mme la garde des sceaux, « le meilleur cadre pour protéger la société, pour sanctionner et pour réinsérer ». L’action éducative, les soins médicaux, l’accompagnement social et le travail dans et hors les lieux privatifs de liberté sont seuls de nature à faciliter l’insertion, la réinsertion et la cohésion sociale. Mais pour cela, au delà de toutes déclarations d’intention, il faut des moyens matériels et humains qui seuls rendent crédibles l’affirmation d’une volonté politique sincère.
En refusant ces moyens, en refusant de répondre aux attentes des services de réinsertion et de surveillance qui sont pourtant la clef de voûte d’une politique pénitentiaire utile, ce gouvernement se condamne – et vous condamne – à l’échec.
Sous couvert de reconnaître des droits aux détenus, Gouvernement et majorité se sont félicités d’un texte qui ferait preuve d’une haute ambition humaniste. Pour rassurer les pourfendeurs de la dépense publique, ils auraient dû ajouter, d’une part, que ce texte ne garantit aucunement l’effectivité de ces droits, d’autre part – cette fois pour rassurer les adeptes du populisme pénal – que ces droits sont assortis de restrictions formulées en des termes volontairement si flous qu’ils ouvrent la porte à tous les arbitraires.
C’est l’évidence : ce texte ne permettra pas d’assurer la dignité de la personne humaine détenue.
Au contraire, en inscrivant dans le marbre le principe des régimes différenciés en fonction de la personnalité du détenu – que nous ne confondons pas avec la nécessité de réponses éducatives, médicales et sociales adaptées à chaque situation forcément singulière –, ce texte consacrera un recul fondamental, eu égard aux principes de notre droit.
Aucun commentateur de bonne foi ne pourra nier que le texte sorti de la commission mixte paritaire, malgré l’heureuse décision d’y inclure le principe de l’encellulement individuel, reste très éloigné des préconisations du Comité d’orientation restreint, pourtant mis en place par le ministère de la justice en 2007, très éloigné des règles pénitentiaires européennes, pourtant adoptées par la France, très éloigné des nombreuses recommandations contenues dans de nombreux rapports publics ou exprimées par les états généraux de la condition pénitentiaire.
La grande majorité des syndicats de l’administration pénitentiaire, des magistrats, des avocats, les intervenants dans les prisons, les associations œuvrant pour une société plus humaine, l’Observatoire international des prisons, le Comité national consultatif des droits de l’homme, le Contrôleur des prisons sont déçus par un texte qui sera resté sourd aux critiques et recommandations de l’ONU, de la Cour européenne des droits de l’homme, du Conseil économique et social et de tant d’autres.
Ce texte n’a visiblement pour ambition que de satisfaire les groupes de pression sécuritaire au point que, fort de ce soutien, le directeur de l’administration pénitentiaire s’est permis, en dépit de son obligation de réserve, de mépriser les députés de l’opposition qui, selon lui, « s’inspiraient de la vulgate foucaldienne ». L’absence d’humilité n’a jamais été le signe d’une réelle hauteur de vue ! Mais cette hauteur était-elle accessible à quelqu’un qui avait accepté de cumuler les états de juge et de partie ?
Celle qui a précédé Mme Alliot-Marie à la fonction de garde des sceaux a commis une faute grave en confiant à l’administration pénitentiaire l’élaboration de ce projet. L’histoire le dira mieux – et hélas ! plus dramatiquement – que tous les commentaires que nous pourrions faire.
Cette loi pénitentiaire manque d’envergure. Elle ne sera pas la loi que l’histoire aurait pu retenir comme l’événement majeur réconciliant la France avec des valeurs qui l’ont si longtemps honorée aux yeux du monde.
L’histoire retiendra, peut-être, qu’au moment où le Gouvernement et sa majorité s’apprêtaient à refermer le lourd dossier des prisons, un fait divers dramatique les conduisait à rouvrir celui de leur politique pénale pour y inscrire de nouvelles aggravations.
Votre politique oriente, de plus en plus, les budgets très insuffisants du ministère de la justice vers la construction de nouvelles prisons, non pour désengorger celles existantes, mais pour y accueillir toujours plus de détenus. En 1830, le ministre de l’intérieur de l’époque faisait déjà ce constat devant la Société royale des prisons : « À mesure que les constructions s’étendent, le nombre de prisonniers augmente. » Pensez-vous sincèrement que nous soyons sortis de cette logique réactionnaire ? Permettez-moi d’en douter !
Mais l’histoire retiendra sûrement que la représentation nationale d’opposition, stigmatisée au plus haut niveau de l’administration pénitentiaire, a eu raison de refuser d’apporter son soutien à une loi qui réduit la politique pénitentiaire à la gestion des flux de détenus, quand cette même opposition, à laquelle nous sommes fiers d’appartenir, attendait une loi fondatrice d’un grand service pénitentiaire résolument moderne et fondamentalement humaniste.
Cette loi ne sera ni l’un ni l’autre, et c’est pourquoi le groupe GDR votera contre.
 

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Michel
Vaxès

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