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Pn Sénat réduire les inégalités territoriales pour les ouvertures de casinos

Pour réduire les inégalités territoriales, ouvrons des casinos. (Sourires sur les bancs des groupes GDR-NUPES, LFI-NUPES, SOC et Écolo-NUPES.)

Faites vos jeux ! Si j’étais un peu provocateur, je dirais : « Voilà donc à quoi se réduit la politique de la majorité pour soutenir les communes ! »

Quel beau programme que de miser la soutenabilité financière des collectivités sur les jeux d’argent et de hasard !

Il est vrai que seule une poignée de communes sont concernées. En effet, derrière un nom général un peu ronflant se cache en fait, non pas une proposition de loi générale qui viserait à réinterroger et à revoir les critères d’implantation des casinos, mais bien un texte d’exception visant à créer des dérogations en faveur de certains, pour satisfaire à des fantaisies, ou peut-être à des jalousies, purement locales. Visiblement, cette proposition de loi répond à une demande de certains élus qui ont de l’entregent, si ce n’est à une commande, car nul n’ignore que de grands groupes financiers sont intéressés au développement de leurs activités, lesquelles, loin de créer des richesses, les évaporent.

Bref, on peut légitimement s’interroger sur la multiplication de telles lois d’espèce et se demander si c’est le rôle du Parlement que de créer, ici et là, des dispositifs dérogatoires. La dérogation demandée aujourd’hui concerne les villes hébergeant une société de courses hippiques ou un haras national, celle de demain concernera peut-être les villes productrices de poutargue, et celle d’après-demain les villes où se pratiquent le curling ou encore, tiens, les joutes provençales – si vous ne connaissez pas, c’est un sport magnifique et très convivial. Pourquoi pas ? Aujourd’hui les villes où il y a des chevaux, pourquoi pas, demain, celles où il y a des gabians ou des pigeons ? (Sourires sur les bancs du groupe Écolo-NUPES.)

Vous venez au chevet des villes de Saumur et d’Arnac-Pompadour. Vous avez d’ailleurs été obligés d’élargir un peu le périmètre du texte ; pourquoi pas, après tout, puisqu’il n’y a pas de véritable argument ? Vous savez, nous pouvons dresser une liste des villes qui ont besoin de soutien, si tel est votre objectif. Tenez, ajoutons Saint-Étienne-du-Rouvray, Port-de-Bouc, Septèmes-les-Vallons, Bagneux, Stains et Nîmes. Peut-être avez-vous d’autres idées ?

Mettons-y aussi Marseille, en particulier ses quartiers nord. Beaucoup de villes sont en demande de moyens, dans ce pays où la cité, la commune, cellule de base de la République, a été singulièrement affaiblie.

Après la destruction des quelques leviers fiscaux qui étaient aux mains des collectivités locales, l’instauration de dispositifs de contractualisation visant à contraindre les dépenses de certaines villes et la poursuite du désengagement local de l’État, affirmer que ce texte est animé par l’ambition de soutenir les collectivités relève de la provocation. Cela est d’autant plus vrai que les recettes fiscales émanant des casinos sont largement surestimées et demeurent aléatoires.

Dans le cadre de sa journée d’initiative parlementaire, il y a quelques mois, le groupe communiste a soutenu une proposition de loi visant à indexer la dotation globale de fonctionnement (DGF) sur l’inflation, dont l’examen a été empêché par le Gouvernement et par la majorité, qui ont usé de manœuvres d’obstruction pour parvenir à leurs fins. Or c’est plutôt cela que réclament les collectivités !

Vous ne posez pas la question essentielle : l’intérêt général commande-t-il de développer les casinos et leurs jeux d’argent ? Un tel développement est-il utile et bénéfique à la société ? Les jeux d’argent et de hasard constituent-ils un outil de cohésion et d’émancipation ?

Il y a un an, j’ai déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale une proposition de loi relative à la lutte contre les addictions aux jeux d’argent et de hasard et à la régulation de la publicité pour les paris sportifs en ligne ; pour votre part, vous proposez d’augmenter le nombre d’enseignes qui clignotent. Le 28 novembre, M. le ministre de la santé et de la prévention a présenté un programme national pour lutter contre les addictions au tabac ; il nous faut également lutter contre les addictions aux jeux d’argent, qui font des dégâts monumentaux dans les vies et dans les familles. Je rappelle que l’Observatoire des jeux (ODJ), en 2019, estimait à 1,4 million le nombre de joueurs à risque, dont près de 400 000 joueurs pathologiques. À la clé, des difficultés relationnelles, professionnelles, psychologiques ou encore physiques. Le jeu peut être un plaisir magnifique, mais le jeu d’argent constitue une catégorie à part, à laquelle il convient de poser des limites.

Cette nécessité ne découle d’ailleurs pas de raisons morales, mais de raisons politiques. Nous devons interroger la mécanique même des jeux d’argent, où la plupart des joueurs sont perdants et qui servent à faire du profit pour quelques-uns. Tels qu’ils sont formatés, ils entretiennent souvent chez les joueurs des sociabilités problématiques, le modèle de la richesse comme but ultime, le modèle d’une société fondée sur les inégalités et le mythe de l’argent facile. Vous viendrez ensuite nous parler de la valeur travail érigée en injonction morale… Augmentez plutôt les salaires ; il y aura moins de gens qui se diront que leur seule chance de s’en sortir réside dans le secours improbable d’un coup de dés.

Il y a déjà des casinos en France. Y a-t-il besoin d’en ouvrir plus ?

Même pour voir, on ne paie pas.

(Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes GDR-NUPES, LFI-NUPES, SOC et Écolo-NUPES.)

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Pierre
Dharreville

Député des Bouches-du-Rhône (13ème circonscription)

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