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Outre-mer : évolution institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie et de Mayotte

Fin juin, le président de l’Union syndicale des travailleurs kanaks et des exploités, Gérard Jodar, a été condamné à un an de prison ferme, suite à une opération menée par son syndicat pour s’opposer au licenciement jugé abusif d’une employée de la compagnie Aircal. Des vingt-huit militants syndicalistes qui étaient poursuivis, six ont reçu des peines allant de quatre à douze mois de prison ferme. Ce jugement d’une sévérité exceptionnelle confirme une dérive inquiétante et une tendance à la criminalisation de l’action syndicale. Une telle façon de régler les conflits sociaux en Nouvelle-Calédonie – par l’intimidation – n’est pas à l’honneur de l’État français et est vouée à l’échec.
Au moment où nous abordons un texte relatif à l’évolution institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie, je ne pouvais taire ce scandale, que je tenais à condamner fermement ici.
Depuis le 5 mai 1998, date de la signature de l’accord de Nouméa, une période transitoire de quinze à vingt ans a été ouverte pour l’organisation institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie, les modalités de son émancipation et les voies de son rééquilibrage économique et social. C’est la loi organique du 19 mars 1999 qui met en œuvre l’accord de Nouméa, et qui définit le statut de la collectivité, dans le respect des orientations dérogatoires de cet accord. Le calendrier et les modalités des transferts distinguent entre les compétences transférées immédiatement après l’entrée en vigueur de la loi et celles dont le transfert est ultérieur, au cours de la période correspondant aux mandats du Congrès commençant en 2004 et en 2009. En 2004, le Congrès n’a pas usé de son droit à demander de nouveaux transferts de compétences ; les travaux préparatoires à ces transferts ont donc été engagés en septembre 2006. Dans ce cadre, un comité de pilotage a été mis en place en février 2007, des groupes de travail et des comités consultatifs ont été constitués au cours de l’année 2007 et, enfin, une mission d’appui a été installée en février 2008.
Les conclusions de cette mission d’appui définissant les périmètres et les modalités des transferts de compétences ont certes été validées en décembre 2008, mais le calendrier fixé par le Gouvernement à cette date n’a pas été respecté. Le processus d’information et de consultation qui aurait dû précéder la présentation du projet de loi organique au Parlement n’a pas eu lieu. Les élus calédoniens ont donc reçu la version définitive du projet de loi, qui a été soumis en urgence au Congrès calédonien, lequel a rendu son avis le 12 juin après n’avoir disposé que de trois jours pour en débattre et pour défendre des amendements. Cette présentation n’est guère respectueuse de nos partenaires calédoniens. Pourtant, le respect par la France de l’accord de Nouméa ne saurait souffrir d’aucune légèreté, tant il est essentiel à la paix civile sur ce territoire.
Dois-je vous rappeler l’histoire de la Nouvelle-Calédonie au cours de la seconde moitié du XXe siècle, marquée par une grande instabilité qui a abouti aux massacres de la grotte d’Ouvéa en 1988 ? Au cours de cette période proche de la guerre civile, le peuple kanak a lutté pour la reconnaissance de ses droits politiques, économiques et culturels.
L’accord de Matignon du 26 juin 1988, signé par le FLNKS, le RPCR et le Gouvernement, a su y mettre un terme. Il était l’aboutissement d’une nouvelle démarche de dialogue et de réconciliation entre peuples déchirés par un siècle et demi d’histoire coloniale. Les Kanaks tendaient la main aux autres communautés calédoniennes, lesquelles comprenaient que la paix civile et toute solution politique passaient par la prise en compte de l’identité et des revendications kanakes.
C’est ce même esprit qui a permis de conclure, dix ans plus tard, l’accord de Nouméa sur l’avenir institutionnel calédonien, reflétant la volonté partagée des Calédoniens d’organiser sur des bases nouvelles la vie en commun sur leur territoire. Certes, les négociations furent longues et âpres, et les compromis durement obtenus. Pourtant, le 8 novembre 1998, 72 % des Néo-Calédoniens ratifiaient cet accord par référendum, auquel la participation, de l’ordre de 74 % des électeurs inscrits, était élevée.
Il est donc de notre devoir de préserver l’accord de Nouméa, qui est un résultat consensuel et équilibré. Or, pour parvenir à l’application intégrale de cet accord, qui est la condition déterminante de la réussite du processus de décolonisation, il est indispensable de réaliser les transferts de compétences. C’est tout l’objet du projet de loi organique qui a fait l’objet d’une concertation entre les signataires de l’accord de Nouméa.
Les articles 1er et 3 du présent projet de loi organique soulevaient encore des difficultés au moment du passage du texte au Sénat. En effet, dans sa rédaction initiale, le projet de loi organique prévoyait le basculement des quatre compétences figurant au point III de l’article 21 de la loi organique du 19 mars 1999 – droit civil, règles concernant l’état civil, droit commercial et sécurité civile – à l’article 27 de la même loi. Ce basculement avait été retenu par le comité de pilotage en octobre 2008, sur proposition des deux experts désignés par le Gouvernement. Les représentants du FLNKS siégeant à ce comité, qui réunissait les signataires de l’accord de Nouméa, étaient d’ailleurs réticents à cette proposition, dans laquelle ils voyaient une tentative des membres de l’ancien RPCR – le Rassemblement pour la Calédonie dans la République – de reporter ces transferts sur un article 27 qui n’oblige plus explicitement à décider du transfert des compétences concernées avant 2014. C’est parce qu’ils avaient obtenu du Haut commissaire de la République et du directeur de cabinet du secrétaire d’État à l’outre-mer la mise en place de protocoles d’engagements sur la préparation de ces transferts de compétences qu’ils ont donné leur aval. La même position a ensuite été reconduite lors de la réunion du comité des signataires du 8 décembre 2008, qui a donc acté le consensus des signataires de l’accord de Nouméa.
Or, dans l’avis qu’il a rendu à l’issue de son assemblée générale du 12 juin 2009, le Conseil d’État a, selon le Gouvernement, soulevé à propos de ce basculement un risque d’inconstitutionnalité. Il a aussi, pour tenir compte du compromis consensuel entre les signataires de l’accord de Nouméa, suggéré d’accorder davantage de temps à la préparation du transfert de ces quatre compétences, et de prévoir un délai maximum de deux ans pour adopter à la majorité qualifiée des trois cinquièmes la loi du pays décidant de ces transferts.
C’est pour suivre cet avis du Conseil d’État que la commission des lois du Sénat a amendé le projet de loi organique en ce sens – sage décision, en effet, d’autant plus que ce délai de deux ans est un délai maximum. Rien n’empêche que la loi du pays soit adoptée dans les six mois, puisqu’il ne s’agit là que d’une demande de transfert et d’établissement d’un calendrier, et non pas des transferts en tant que tels. Or, l’essentiel est que ces transferts aient lieu, et ce dans les meilleures conditions.
Il reste encore à obtenir du Gouvernement les protocoles d’engagements nécessaires à la préparation du transfert de ces compétences, pour que les meilleures conditions soient réunies. Pour le moment, ces protocoles sont inexistants. Le 16 juillet dernier, vous avez indiqué madame la secrétaire d’État, à M. Paul Néaoutyine que ces protocoles étaient prêts et qu’ils devaient être soumis à l’arbitrage. Pouvez-vous le confirmer devant la représentation nationale ?
Du reste, je tenais à ajouter que toutes les compétences non régaliennes énumérées au point 3.1 de l’accord de Nouméa devront être transférées avant 2014. L’absence de majorité qualifiée de trois cinquièmes pour adopter les lois de pays prévues ne pourra être interprétée que comme une résistance politique aux transferts et ne pourra en aucun cas s’opposer auxdits transferts.
Concernant l’article relatif à Mayotte, nous nous demandons ce qu’il vient faire ici !
Prévoyant que la collectivité départementale de Mayotte deviendra « département de Mayotte » en 2011, il consacre le choix de la départementalisation exprimé par les électeurs de Mayotte lors de la consultation du 29 mars 2009. Sur le fond, nous nous étions exprimés en février dernier lors du débat relatif à la consultation des électeurs de Mayotte.
Nous avions alors rappelé que la séparation arbitraire de Mayotte, décidée unilatéralement par la France en 1975, violait l’intégrité territoriale de l’archipel des Comores et suscitait – et suscite toujours – légitimement les condamnations internationales, notamment des Nations unies et de l’Union Africaine, ce qui, chers collègues, ne semble pas vous émouvoir. Nous avions donc dénoncé l’organisation du référendum, qui n’était rien d’autre qu’un passage en force vers la départementalisation de Mayotte, mettant le monde entier devant le fait accompli.
Sans surprise, le 29 mars dernier, les électeurs mahorais ont choisi d’opter pour la départementalisation. Vous considériez, à l’époque, que ce référendum n’était qu’une formalité. Là encore, vous traitez cette future départementalisation comme une simple formalité. Sans plus d’égard pour les Néo-Calédoniens et les Mahorais, vous inscrivez cet article fondamental au détour d’un texte, non moins fondamental, qui porte sur un tout autre sujet. Finalement, à vos yeux, la Nouvelle-Calédonie et Mayotte ne méritent-ils pas d’être traitées ensemble, simplement parce qu’il s’agit d’anciennes colonies ?
Plus inquiétant encore, ce traitement indifférencié de deux évolutions institutionnelles diamétralement opposées ne peut être neutre. Il est trop chargé de symbole et de sens politique pour n’y voir qu’un hasard.
Fidèles à l’esprit et à la lettre de l’accord de Nouméa, car nous sommes convaincus qu’il est du devoir de la France d’accompagner fermement, dans le respect, ce processus, nous voterons pour ces projets de loi. Mais, que ce soit clair et sans aucune ambiguïté, ces votes ne valent que pour les dispositions relatives à la Nouvelle-Calédonie. En aucun cas, ils ne concernent l’article 42 du projet de loi organique relatif à Mayotte.

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Jean-Paul
Lecoq

Député de Seine-Maritime (8ème circonscription)
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