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Outre-mer : évolution institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie et de Mayotte

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’examen de ces textes illustre, si besoin en était, la dégradation de nos conditions de travail et les circonstances dans lesquelles sont adoptés des textes d’importance.
Nous avons en effet examiné ces deux projets de loi en première lecture lundi ; nous les avons adoptés dans la nuit, et nous voilà réunis, aujourd’hui jeudi, soit moins de soixante-douze heures plus tard, pour nous prononcer sur les conclusions de la commission mixte paritaire.
Urgence : tel le maître mot du Gouvernement, celui qui résume le mieux les travaux de la session ordinaire et de cette session extraordinaire. En effet, sur les trente textes promulgués au cours des douze derniers mois, l’urgence, qui est par nature une procédure d’exception, a été déclarée à dix-sept reprises – j’ai évidemment exclu les lois de finances et de financement de la sécurité sociale, qui sont spécifiques.
Or, au regard des textes déjà examinés selon notre nouveau règlement, il est fort peu probable que cette procédure, désormais appelée « procédure accélérée », devienne l’exception, comme nous le promettait pourtant notre président, M. Bernard Accoyer, qui a en effet déclaré : « Le problème est le recours excessif à la procédure accélérée, 50 % des textes depuis 2007, qui prive chaque chambre de jouer pleinement son rôle. Il faut que la procédure accélérée devienne l’exception. Avec une seule lecture à l’Assemblée issue du scrutin direct, les députés pèsent moins sur le contenu du texte. C’est l’équilibre de nos institutions qui est en jeu. » J’ajouterai que la qualité des textes votés et la crédibilité du législateur le sont également, puisque, selon le rapport annuel d’application des lois de 2008 du Sénat, le taux d’application des lois votées après déclaration d’urgence est passé, entre 2006-2007 et 2007-2008, de 16 à 10 %. Ces chiffres parlent d’eux-mêmes.
Il faut donc regretter que ces projets de loi relatifs à l’évolution institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie aient été examinés selon la procédure d’urgence.
Cette critique vaut d’ailleurs également pour les conditions dans lesquelles a été élaboré le projet de loi organique. Le comité des signataires de l’accord de Nouméa du 8 décembre 2008 avait en effet acté le calendrier suivant.
En février 2009, un groupe de travail rassemblant les signataires devait être réuni à l’initiative du haut-commissaire, afin qu’y soit présenté l’avant-projet des modifications de la loi organique du 19 mars 1999.
En mars 2009, lesdites modifications devaient être présentées et le congrès de la Nouvelle-Calédonie en être informé.
Au lendemain des élections du 10 mai 2009, et immédiatement après sa mise en place, le congrès devait être consulté officiellement et statutairement sur le projet de loi organique modifiant la loi organique du 19 mars 1999.
En août 2009, la loi organique devait être promulguée.
Ce calendrier n’a pas été respecté, puisque les projets de loi organique et ordinaire ont été transmis directement au congrès nouvellement élu pour consultation statutaire dans la dernière semaine du mois de mai 2009, celui-ci étant prié de rendre son avis avant le 17 juin, date à laquelle le conseil des ministres devait délibérer sur les textes avant qu’ils suivent le circuit parlementaire.
C’est dans ces conditions que nous allons nous prononcer sur ces projets de loi. Pourtant, le respect par la France de l’accord de Nouméa se devrait d’être irréprochable,…
…tant il est essentiel à la paix civile sur ce territoire.
Je rappellerai, tout d’abord, ce que nous avons déjà dit lundi dernier. L’accord de Matignon du 26 juin 1988, qualifié de « pari sur l’intelligence » par Jean-Marie Tjibaou, a mis un terme à un demi-siècle de tensions sur le territoire de la Nouvelle-Calédonie. Signé par le FLNKS, le RPCR et le Gouvernement, il était l’aboutissement d’une nouvelle démarche de dialogue et de réconciliation entre des peuples déchirés. Les Kanaks tendaient la main aux autres communautés calédoniennes, lesquelles comprenaient que la paix civile et toute solution politique passaient par la prise en compte de l’identité et des revendications kanakes.
C’est ce même esprit qui a permis, dix ans plus tard, les accords de Nouméa sur l’avenir institutionnel néo-calédonien, reflétant la volonté réelle et partagée des Néo-Calédoniens d’organiser sur des bases nouvelles la vie en commun sur le territoire. Les Néo-Calédoniens ont, à 72 %, ratifié par référendum cet accord, après de longues et âpres négociations entre les signataires. Le consensus trouvé alors, à force de compromis, ne saurait être remis en cause dix ans plus tard. Il est donc indispensable d’opérer, selon les termes des accords de Nouméa, les transferts de toutes les compétences non régaliennes avant 2014. Faute de quoi, nous empêcherions l’aboutissement du processus de décolonisation de ce territoire.
Pour préparer ces transferts et permettre l’adoption de la loi du pays nécessaire, le relevé de conclusions du comité des signataires de l’accord du 8 décembre 2008 a prévu l’adoption de protocoles d’engagements assurant un appui de l’État. Lundi dernier, Mme la secrétaire d’État nous a rassurés quant à leur existence en nous disant : « Je vous confirme qu’ils sont prêts et qu’ils seront présentés la semaine prochaine au président du Gouvernement et du congrès. » Nous vous remercions, madame la secrétaire d’État, mais nous restons vigilants et nous veillerons à ce que ces délais soient respectés.
Du reste, le FLNKS – dont je salue les représentants, qui ont suivi ces travaux du début à la fin – a souhaité que soit actée au prochain comité des signataires la même démarche de préparation, avec le concours d’experts, des compétences prévues à l’article 27. En effet, aucune loi du pays n’a pu être envisagée dans les six premiers mois du mandat de 2004, la raison invoquée localement étant qu’aucun transfert n’avait été préparé dans la première mandature. Pourtant, ils n’ont cessé de faire des interventions en ce sens. Si ce même effort n’était pas fait pour l’article 27, le « rassemblement républicain » local pourrait encore invoquer ce motif pour ne pas envisager les résolutions prévues à l’article 27 pour demander, à une majorité simple, le transfert des compétences qui y sont énumérées.
Il faudra donc que le Gouvernement soit attentif à ce que le « rassemblement républicain » local ne justifie pas une non-participation au vote des lois du pays, attendues pour opérer les transferts de compétences, pour cette raison ou pour une autre.
En effet, toutes les compétences non régaliennes énumérées au point 3.1.2 de l’accord de Nouméa doivent être transférées avant 2014. L’absence de majorité qualifiée des trois cinquièmes pour adopter les lois du pays prévues ne pourra s’interpréter que comme une résistance politique aux transferts. En aucun cas, elle ne devra s’opposer auxdits transferts de compétence.
Nous avons regretté, lors de la première lecture, que la commission de l’Assemblée ait décidé de supprimer l’article 28 bis, relatif au sénat coutumier, qui avait été introduit par nos collègues sénateurs. Cet article prévoyait que lorsque le sénat coutumier est saisi d’un avis qui concerne la coutume, dont le rôle est fondamental en Nouvelle-Calédonie, un membre du sénat coutumier puisse venir présenter cet avis devant le congrès. Son rétablissement est la preuve du respect que nous portons à cette institution néo-calédonienne, et nous apprécions que la raison l’ait emporté en CMP.
Pour conclure, j’ajouterai simplement quelques mots – qui, s’ils ne vont sans doute pas vous plaire, me paraissent essentiels – sur Mayotte. Vous avez décidé d’inscrire dans le projet de loi la départementalisation de Mayotte. C’est avant tout un manque de respect pour les Néo-Calédoniens et pour les Mahorais eux-mêmes.
C’est aussi aller à rencontre du droit international, lequel a fermement condamné la séparation arbitraire de Mayotte d’avec l’archipel des Comores – je ne vous parle pas de l’OUA, mais de l’ONU.
Nous avons déjà exprimé notre réprobation du fait d’avoir mis, ensemble, la Nouvelle-Calédonie et Mayotte dans la même loi organique. D’un côté, de moins en moins de France pour la Nouvelle-Calédonie ; de l’autre, de plus en plus de France pour Mayotte. N’aurait-il pas fallu travailler à une relation particulière avec les Comores, réfléchir à un statut avancé de partenariat, plutôt que d’organiser la partition et de se trouver ainsi en parfaite incohérence avec le droit international, tout en s’appuyant sur la notion de référendum ?
C’est parce que sommes convaincus qu’il est du devoir de la France d’accompagner fermement le processus de décolonisation en Nouvelle-Calédonie, et par fidélité à l’esprit et à la lettre de l’accord de Nouméa, que nous voterons ces projets de loi. En aucun cas, ce vote ne saurait être interprété comme un vote favorable à l’article 42 du projet de loi organique relatif à Mayotte.

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Jean-Paul
Lecoq

Député de Seine-Maritime (8ème circonscription)
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