Interventions

Discussions générales

Liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse

Ce texte, qui vise à constitutionnaliser le droit à l’avortement, est le fruit d’une longue lutte féministe, laquelle devra évidemment se poursuivre.
En préambule, je tiens à dire que c’est pour moi un honneur de prononcer, au nom du groupe Gauche démocrate et républicaine-NUPES, cette intervention en faveur de cette constitutionnalisation. J’ai une pensée pour toutes les femmes qui, dans les collectifs et les associations, ont mené cette lutte acharnée grâce à laquelle nous en sommes là aujourd’hui. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes GDR-NUPES, LFI-NUPES, SOC et Écolo-NUPES. – M. Erwan Balanant applaudit également.)
J’adresse aussi mes remerciements amicaux aux parlementaires qui ont défendu cette revendication à l’Assemblée nationale et au Sénat, je pense notamment à Mathilde Panot, Albane Gaillot, Marie-Noëlle Battistel, Erwan Balanant, Marie-Charlotte Garin, ou encore à Mélanie Vogel et Guillaume Gouffier Valente. (Mêmes mouvements.)
Enfin, je veux adresser toute ma solidarité et mon soutien aux femmes qui défendent ce droit à travers le monde et qui, en retour, subissent harcèlement, stigmatisation, violences physiques et procès. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes GDR-NUPES, LFI-NUPES, Dem, SOC et Écolo-NUPES. – M. Ian Boucard applaudit également.)
Ce texte, j’en suis convaincue, n’est pas vain, ni cosmétique. Il est profondément politique, car nos corps le sont, en particulier ceux des femmes tant ils sont scrutés, réglementés, sous contrôle. Ce texte est également utile, à l’heure de la montée en puissance de fascismes en Europe.
Le droit à l’IVG est un droit bafoué dans de nombreux pays, y compris chez certains de nos voisins européens. D’autres l’ont dit avant moi, la Pologne a adopté une interdiction quasi totale de l’avortement en octobre 2021, tandis que la Hongrie a voté une loi qui oblige les femmes à écouter les battements du cœur de leur fœtus avant de subir une interruption de grossesse.
En matière de droits des femmes, il y a une constante à l’extrême droite qui consiste à combattre et à mépriser toutes celles qui les défendent. Il n’y a pas si longtemps, Marine Le Pen parlait encore d’IVG de confort et n’hésitait pas à dire, écoutez bien : « Je refuse que des femmes se fassent avorter à plusieurs reprises quand d’autres au même moment doivent renoncer aux soins faute de moyens ».
À l’Assemblée nationale comme au Parlement européen, les élus de son parti se sont presque unanimement et systématiquement opposés aux textes qui promeuvent l’égalité entre les femmes et les hommes (Applaudissements sur quelques bancs des groupes GDR-NUPES, LFI-NUPES, SOC et Écolo-NUPES), que ces lois concernent l’égalité salariale, l’accès à la contraception, la lutte contre les violences faites aux femmes et les violences de genre, ou la promotion de la parité.
Éric Zemmour a fait du combat contre le féminisme un combat contre la « dévirilisation de l’Occident » et contre le « grand remplacement ».

L’extrême droite est bien un danger pour les droits des femmes.
Ainsi, à ceux qui souhaitent classer le droit à l’IVG parmi les droits sociétaux, nous répondons que la liberté de disposer de son corps et les droits sexuels et reproductifs sont des droits fondamentaux à part entière et ont, à ce titre, toute leur place dans la Constitution. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR-NUPES et Écolo-NUPES. – M. Aurélien Pradié applaudit également.) J’insiste, le droit de disposer de son corps est un droit fondamental, essentiel à la liberté individuelle. Il est donc une condition indispensable à l’existence de toutes les autres libertés.
Il s’agit aussi d’une manière de se prémunir contre les politiques natalistes, qui font du ventre des femmes une variable d’ajustement démographique au mépris des droits fondamentaux. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR-NUPES et Écolo-NUPES.)

Rappelons-le, le droit d’avorter est une question de vie ou de mort. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), chaque année, dans le monde, 47 000 femmes meurent encore d’un avortement clandestin, soit une femme toutes les neuf minutes.
Mes chers collègues, messieurs, les femmes qui veulent avorter avortent. C’est le cas depuis la nuit des temps. Lorsqu’elles n’en ont pas le droit, les femmes qui souhaitent avorter recourent à tous les moyens pour mettre fin à leur grossesse, quitte à mettre leur vie en péril en s’enfonçant une aiguille, de l’eau savonneuse ou du persil dans l’utérus, en se mutilant le ventre, ou encore en ingérant de l’acide.
Ce projet de loi constitutionnelle est attendu de longue date par les associations et plus généralement par celles et ceux qui souhaitent s’assurer de la protection absolue de ce droit, en particulier depuis l’annulation, par la Cour suprême américaine, de l’arrêt Roe vs Wade – annulation qui a eu une résonance internationale. En effet, dans certains pays tels que le Kenya, le Nigeria, l’Éthiopie ou l’Inde, des mouvements antiavortement ont saisi cette occasion pour interrompre des processus législatifs progressistes en faveur des droits sexuels et reproductifs. En définitive, les régressions comme les conquêtes ont une résonance mondiale.
En France, ce séisme américain a rouvert le débat autour de la constitutionnalisation du droit à l’IVG. Selon un sondage de février 2021 conduit pour la Fondation des femmes et le Planning familial, 93 % des Français se disent attachés au droit à l’avortement. Et selon un sondage mené en juillet 2022 pour la Fondation Jean-Jaurès, 81 % des Français sont favorables à la constitutionnalisation de ce droit. (MM. Benjamin Lucas et Damien Maudet applaudissent.)
Toutefois, cela ne réduit pas la vigueur de l’action des associations antiavortement, qui sont abreuvées de financements opaques. Selon un rapport de 2021 du Forum parlementaire européen pour les droits sexuels et reproductifs, entre 2009 et 2018, près de 707 millions de dollars ont été versés aux mouvements anti-droits des femmes et antiavortement en Europe, la France faisant partie de leurs cibles prioritaires.
Ces associations s’offrent des campagnes régulières et d’ampleur. Manifestations anti-IVG, diffusion de fausses informations auprès des femmes sur internet, mobilisation d’élus conservateurs : les antiavortement redoublent d’idées pour empêcher les femmes d’avorter.

Je pense, entre autres, à la campagne coordonnée de dépose d’autocollants sur des vélos à Paris, laquelle a parfaitement imité la charte graphique des Vélib afin de semer le doute chez les usagers.
Les réseaux sociaux sont également devenus un lieu privilégié pour de telles campagnes, car le jeune public représente une cible de choix. Selon un rapport de la Fondation des femmes et de l’Institut pour le dialogue stratégique (ISD) publié en 2024, un cinquième des vidéos les plus recommandées sur Instagram concernant l’avortement contiennent des fausses informations, notamment sur la pilule contraceptive, des conseils de santé alternatifs, ou promeuvent le style de vie dit femmes au foyer.

Je le dis sans ambages : le groupe GDR-NUPES votera ce texte avec détermination, même si nous pensons que la rédaction choisie est améliorable.
En premier lieu, nous regrettons que le droit à la contraception ne soit pas mentionné, tant nous savons qu’il va de pair avec le droit à l’avortement. En effet, dans le monde, 225 millions de femmes qui souhaiteraient différer ou éviter une grossesse n’ont pas accès à une contraception sûre et efficace. Nous savons qu’il s’agit là également d’une arme de choix des anti-IVG pour s’attaquer au ventre des femmes.
Deuxièmement, le terme « garantie » va dans le bon sens, en ce qu’il sous-tend que l’État doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la bonne application du droit à l’IVG. Cependant, si ce dernier ne peut être supprimé, la rédaction retenue laisse la possibilité d’ajouter des conditions à son exercice, pour le meilleur comme pour le pire. Voilà pourquoi nous défendrons un amendement visant à revenir à la formulation issue du travail parlementaire transpartisan mené à l’Assemblée nationale.
Par ailleurs, si le droit à l’IVG est en danger, c’est également à cause des restrictions de personnels dans les hôpitaux publics et des suppressions de centres d’orthogénie. Au total, 130 centres pratiquant l’IVG ont été fermés ces quinze dernières années et d’autres sont menacés. Les personnes en situation de pauvreté ou d’exclusion, les migrants et les personnes mineures en sont les premières victimes. Oui, il y a bien là une question de classe, madame Bergé. Lors du procès de Bobigny, Gisèle Halimi nous avertissait d’ailleurs sur ce point : « C’est toujours la même classe, celle des femmes pauvres, vulnérables économiquement et socialement, cette classe des sans-argent et des sans-relations qui est frappée. » (Mme Cyrielle Chatelain applaudit.)
Le droit à l’IVG existe désormais, mais le manque de moyens en fait un droit moins accessible pour les plus précaires. Nous l’avons constaté pendant la crise du covid, mais le phénomène perdure. Les associations l’affirment : dans certains territoires, certaines semaines, il est impossible de faire des avortements en raison de la démographie des professionnels ou parce qu’on se trouve en période estivale. Il apparaît donc que la constitutionnalisation du droit à l’IVG nous oblige – et vous oblige – à prendre en compte la nécessaire hausse des moyens.
Pour conclure, je souhaite m’adresser aux collègues du Sénat. À l’Assemblée, nous avons d’abord réalisé un travail transpartisan, qui a conduit chacun et chacune à faire des compromis. Et après le travail du Sénat, nous faisons de nouveau des compromis pour permettre la constitutionnalisation du droit à l’IVG.

Je rappelle donc aux sénateurs et sénatrices qu’eux aussi doivent faire œuvre de compromis pour que le processus aboutisse. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR-NUPES, LFI-NUPES, SOC et Écolo-NUPES, ainsi que sur plusieurs bancs des groupes RE et Dem. – M. le rapporteur applaudit également.)

Vous l’aurez compris, nous considérons que ce texte est perfectible. En matière de droits des femmes, les luttes à mener sont toujours nombreuses. J’espère donc sincèrement que, très vite, nous pourrons dédier cette conquête historique à toutes celles qui se sont battues et qui continuent de se battre à travers le monde pour le droit à l’IVG et à la contraception. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR-NUPES, LFI-NUPES, SOC et Écolo-NUPES, M. Benjamin Lucas s’étant levé, ainsi que sur plusieurs bancs des groupes RE et Dem. – M. Aurélien Pradié applaudit également.)

Imprimer cet article

Elsa
Faucillon

Députée des Hauts-de-Seine (1ère circonscription)

A la Une

Dernières vidéos de Elsa Faucillon

17 octobre 1961: L'Assemblée nationale reconnaît et condamne le massacre des Algériens En savoir plus
17 octobre 1961 : L'Assemblée nationale reconnaît enfin et condamne le massacre des Algériens En savoir plus

Thématiques :

Pouvoir d’achat Affaires économiques Lois Finances Développement durable Affaires sociales Défense nationale Affaires étrangères Voir toutes les thématiques