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Discussions générales

Lect. définitive sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Jacqueline Fraysse.
Mme Jacqueline Fraysse. Madame la présidente, monsieur le ministre, chers collègues, ce projet de loi sur le renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé parvient ce soir au bout de son odyssée législative. Que de chemin parcouru depuis un an, depuis qu’a éclaté au grand jour le scandale du Mediator et qu’a été révélée la pénétration des industriels du médicament au cœur des instances censées évaluer leurs produits ! Que de chemin parcouru pour revenir, au bout du compte, plus ou moins au même endroit ! Que de renoncements de la part du Gouvernement, et quel écart entre les propos fermes, presque guerriers, du ministre Xavier Bertrand promettant que dorénavant le doute allait profiter aux patients et le texte qui nous est présenté aujourd’hui ! La montagne, une fois de plus, a accouché d’une souris.
Ce n’est pas faute, de notre part et de celle de la nouvelle majorité de gauche au Sénat, d’avoir engagé la discussion sur ce projet de loi dans un esprit d’ouverture. Mais comment aurait-il pu en être autrement sur un sujet aussi grave et après une telle catastrophe sanitaire ?
À l’Assemblée nationale, puis au Sénat avec davantage de force, majorité oblige, nous avons fait des propositions pour améliorer ce texte. En commission mixte paritaire, nous avons fait des concessions en acceptant de sacrifier certaines de ces propositions pour en sauver d’autres, mais il n’y eut rien à faire.
Avec des trémolos dans la voix, M. Bertrand va répétant que, sur un tel sujet, le consensus est obligatoire, lui-même n’admettant pourtant aucune concession ou presque. Votre conception du consensus est à sens unique, monsieur le ministre : en réalité, pour vous, ce texte est à prendre ou à laisser… Permettez qu’on vous le laisse et, avec lui, la responsabilité des futurs drames et des futurs scandales qui ne manqueront pas de se produire de nouveau.
La faille fondamentale de notre système du médicament réside dans le fait qu’il ne cloisonne pas suffisamment les intérêts sanitaires, les intérêts industriels et les intérêts économiques des laboratoires, ceux-ci s’inscrivant dans le cadre d’une industrie pharmaceutique française puissante et, ajouterais-je, partiellement financée par la solidarité nationale.
Les décisions rendues pour des motifs sanitaires par l’Agence sanitaire des produits de santé, par la Haute Autorité de santé ou par le Conseil économique des produits de santé, qui forment la chaîne du médicament, sont parasitées par leurs conséquences sur le chiffre d’affaires des laboratoires.
Les enjeux, sanitaires, économiques et industriels sont trop imbriqués pour permettre une décision juste, et c’était bien l’objectif affiché de ce projet de loi que de trancher ce nœud gordien. Mais hélas, ce texte, loin de renvoyer les intérêts industriels et économiques dans leur sphère, entérine au contraire la présence de ces liens d’intérêts en les considérant comme inévitables. Permettez-moi de considérer qu’en l’occurrence, n’est inévitable que ce que l’on ne veut pas éviter.
Certes, ce texte apporte quelques améliorations au système existant. C’est le cas notamment de la transposition de la directive communautaire relative à la pharmacovigilance, ou encore de l’encadrement de la publicité sur les dispositifs médicamenteux.
Certes, vous avez même accepté certains de nos amendements, notamment celui visant à exclure les représentants de l’industrie pharmaceutique du conseil d’administration de la nouvelle Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, appelée à remplacer l’AFSSAPS. Il faut dire qu’il aurait été du plus mauvais effet, s’agissant d’un texte censé garantir l’indépendance de la nouvelle agence sanitaire vis-à-vis des industriels du médicament, de faire entrer ces derniers dans le conseil d’administration.
Pour autant, le compte n’y est pas, loin s’en faut. Je citerai trois exemples particulièrement éclairants. Le premier concerne les essais comparatifs préalables à l’inscription d’un produit sur la liste des médicaments remboursables. Si vous avez finalement accepté ces essais comparatifs, que vous annonciez en janvier dernier mais qui ne figuraient pas dans le projet de loi initial, c’est pour mieux en réduire la portée.
Ainsi, nous avions proposé que la comparaison se fasse « contre comparateurs actifs présentant le meilleur niveau de service médical rendu », formule claire et précise, immédiatement applicable, qui avait d’ailleurs été retenue par le Sénat. Vous avez préféré une comparaison « contre des stratégies thérapeutiques », formule particulièrement vague, qui laisse la porte ouverte aux interprétations les plus diverses, et donc à n’importe quoi.
M. Xavier Bertrand, ministre. Non, ce sont les DM.
Mme Jacqueline Fraysse. Vous avez, de surcroît, renvoyé à un décret le soin de fixer les conditions d’application de cet article.
Autre exemple, l’indépendance des experts : elle aurait dû être le pivot d’un projet de loi prétendant préserver la chaîne du médicament des influences économiques et industrielles. Car c’est bien par les experts que les laboratoires influencent les décisions de la Haute Autorité de santé et de l’agence sanitaire, comme l’a montré le scandale du Mediator et comme le montre, a contrario, la récente décision de la Haute Autorité de santé de revoir fortement à la baisse l’efficacité des médicaments anti-Alzheimer. Pour ce faire, la HAS s’est appuyée sur des experts totalement indépendants des firmes pharmaceutiques, ce qui a permis de battre en brèche une précédente évaluation de 2007.
Cela prouve, d’abord, qu’il existe des experts indépendants, et ensuite, que l’on n’a pas besoin d’aller les chercher « sur la planète Mars », contrairement à ce qu’affirme le ministre avec unepointe de mépris pour la recherche universitaire française, ce qui n’est pas acceptable.
Distinguer, comme vous le faites, entre liens d’intérêts et conflits d’intérêts pour admettre les premiers et proscrire les seconds est un jeu dangereux. Bien sûr, il n’y a pas obligatoirement conflit d’intérêts dès qu’il y a lien d’intérêts. Mais où placer le curseur ? Êtes-vous certain de pouvoir déterminer quand un simple lien d’intérêt, fût-il indirect – par exemple par conjoint interposé –, peut engendrer un conflit d’intérêts ? On voit bien que la frontière est ténue.
Le doute s’installe encore plus fortement sur vos intentions lorsque vous renoncez à la transparence totale, que vous annonciez pourtant il y a un an, en refusant de rendre publiques l’ensemble des conventions passées par les industriels du médicament ainsi que de centraliser ces informations sur un site internet unique, ou encore lorsque vous refusez d’interdire les pratiques d’hospitalité envers des étudiants en médecine.
Nous considérons au contraire que, pour restaurer la confiance dans la chaîne du médicament, il est nécessaire de rompre tous les liens entre ceuxqui produisent les médicaments et ceux qui les évaluent. Cela passe sans aucun doute par la création d’un corps d’experts indépendants, que vous persistez malheureusement à refuser.
Mon dernier exemple concerne les accidents médicamenteux et le droit des victimes.
Chaque année, les accidents médicamenteux causent 140 000 hospitalisations et sont responsables de 13 000 victimes. À titre de comparaison, l’insécurité routière fait moins de 4 000 victimes par an en France et la drogue moins de 300. Il faut donc bien mesurer que, si les médicaments soignent, ils peuvent également tuer, et dans de larges proportions. Nous sommes par conséquent face à un véritable problème de santé publique, mais également d’indemnisation des victimes.
C’est pourquoi je regrette que vous ayez refusé de renforcer le droit des victimes en rejetant nos amendements visant notamment à inscrire dans la loi la possibilité d’initier des actions de groupe. C’est compliqué, avez-vous dit à l’instant. Je ne vois pas en quoi. Je crois plutôt que vous ne les souhaitez pas, que même, comme les laboratoires sans doute, vous les redoutez.
M. Xavier Bertrand, ministre. Mais non !
Mme Jacqueline Fraysse. Finalement, la grande réforme promise n’est pas au rendez-vous. Nous en sommes même loin. Nous sommes loin, surtout, d’en avoir fini avec les conflits d’intérêts et les mélanges des genres.
L’action des lobbies a été puissante. Et je ne crains pas d’affirmer que, sur ce sujet, notre assemblée légifère sous la pression des lobbies, que ce texte devait justement atténuer. Pour toutes ces raisons, nous confirmerons nos précédents votes contre ce projet de loi.

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Jacqueline
Fraysse

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