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Justice : représentation devant les cours d’appel

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, chers collègues, un an après son adoption en première lecture par notre assemblée, nous restons, pour notre part, fermement opposés à ce texte qui va supprimer la profession d’avoué et priver d’emploi leurs collaborateurs et leurs salariés. Nous sommes en effet convaincus que cette réforme ne permettra ni une amélioration du service public de la justice ni des économies pour le justiciable.
Ses tenants prétendent qu’elle va simplifier la procédure d’appel. En réalité, elle ne fera que rendre encore plus complexe le fonctionnement des tribunaux : le travail accompli jusque-là par les avoués se reportera sur les services du greffe, déjà totalement engorgés. En outre, entrera en vigueur le 1er janvier prochain le décret du 9 décembre 2009 qui encadre la procédure d’appel, raccourcit nettement les délais et alourdit les sanctions en cas de dépassement.
Cette réforme profonde, qui comporte aussi l’obligation de dématérialiser l’ensemble des actes de procédure ne pourra être mise efficacement en application avant trois ans. En effet, les liaisons techniques mises en place entre la chancellerie et le conseil national des barreaux ne sont visiblement pas en état d’assurer cette dématérialisation. J’y insiste : seul le recours au système informatique qui fonctionne depuis dix ans selon une convention entre la Chancellerie et la Chambre nationale des avoués peut garantir la permanence du fonctionnement des cours d’appel. Nier cette évidence exposerait les justiciables à des risques majeurs de radiation et, inévitablement, à un allongement des délais d’audiencement de leurs affaires.
Nous craignons, en effet, que le justiciable pâtisse lui aussi grandement de cette réforme qui accentuera l’évolution engagée pour mettre en place ce qui n’est rien d’autre qu’une justice à deux vitesses.
L’accès au juge d’appel dépendra désormais de la situation de fortune du justiciable, alors que la tarification de l’avoué permet aujourd’hui un juste et égal accès de tous aux procès devant les cours d’appel. Certes, le justiciable ne devra plus avoir recours à deux professionnels, mais il ne fera pas d’économies pour autant. Selon les estimations même du Conseil national des barreaux, le coût de base pour le justiciable, avant même toute prestation intellectuelle de l’avocat, sera supérieur au coût moyen d’un avoué.
Ainsi, faire appel ne sera ni plus simple ni moins coûteux, et ce sont les justiciables les plus fragiles économiquement qui pâtiront le plus de la réforme. Nous continuons donc de penser qu’elle n’est ni justifiée au regard de l’objectif affiché de modernisation de la justice ni raisonnable au regard des dépenses qu’elle implique, tant pour le contribuable que pour le justiciable.
Je note que l’impératif européen qui avait beaucoup été invoqué l’an dernier – à tort disions-nous – n’est désormais plus utilisé. Comme pour la création de l’acte d’avocat, cette réforme répond en fait, affirmons-le clairement, à une attente des gros cabinets d’avocats d’affaires parisiens, qui y voient un marché prometteur. Non, les avoués, les notaires ou les huissiers ne sont pas des freins à l’économie, comme le prétend M. Attali ; au contraire, ces officiers publics ministériels sont indispensables à un bon service public de la justice.
Bien évidemment, nous ne pouvons pas vous suivre dans votre choix de transformer notre système juridique en un vaste marché du droit à l’anglo-saxonne où le profit prime sur l’intérêt des justiciables. C’est pourquoi nous appelons toujours au retrait de ce projet de loi auquel s’oppose, vous le savez, l’immense majorité des avoués, de leurs collaborateurs et salariés.
Cela dit, madame la garde des sceaux, en vous écoutant, j’ai cru comprendre que telles n’étaient pas vos intentions. Aussi, nous souhaitons que, en deuxième lecture, notre assemblée puisse achever le travail entamé, en particulier par nos collègues sénateurs, pour atténuer, autant que faire se peut, les effets dévastateurs de la réforme.
Nous vous demandons de revenir sur l’article 34, rédigé par le Gouvernement. Une période de six mois est bien trop courte pour permettre aux victimes de ce que je qualifie de vaste plan de licenciement gouvernemental de se retourner et de préparer leur reconversion.
Selon le calendrier que vous avez annoncé, le texte serait définitivement adopté au début de l’année 2011, ce qui fixerait le terme de la période transitoire à juillet 2011, soit six mois avant la date prévue par le Sénat. Ce sont six mois de moins pour donner aux personnes sacrifiées une chance de se reconvertir professionnellement et d’organiser leur changement de vie. Je défendrai un amendement qui permet d’allonger la durée de cette période transitoire jusqu’au 1er janvier 2014.
Les salariés qui seront victimes de ce plan de licenciement mériteraient pour le moins de bénéficier d’un véritable plan social. Or ce n’est pas le cas aujourd’hui. Rien n’est prévu dans ce texte pour permettre une indemnisation juste, un reclassement efficace, une formation adaptée des personnels des études d’avoué, ou une prise en considération de leurs préjudices professionnels et moraux.
Mon collègue Michel Vaxès avait déposé en commission des lois différents amendements visant à prendre en compte ces besoins, relayant ainsi les revendications des organisations syndicales des salariés. Aucun n’a pu être discuté en raison, hélas, du néfaste couperet de l’article 40 de la Constitution.
Nous souhaitons aussi que notre assemblée adopte l’article 13, tel qu’il a été voté par le Sénat. Il prévoit le recours au juge de l’expropriation pour fixer l’indemnisation du préjudice subi par les avoués, ce qui permettra l’individualisation de l’indemnisation. Nous pensons qu’il faudrait aller encore plus loin afin que les collaborateurs d’avoués titulaires du certificat d’aptitude à la profession d’avoué entrent dans le champ de cet article et qu’ils puissent voir leur préjudice de carrière indemnisé par le juge de l’expropriation. Je défendrai plusieurs amendements en ce sens.
Vous avez raison, madame la garde des sceaux, le projet de loi a évolué depuis la première lecture. Il est vrai que nous avons évité le pire – je pense à l’indemnisation qui ne devait être que de 66 %. Toutefois, il reste bien des améliorations à apporter à ce texte – même si j’ai dit notre opposition de principe à son entrée en vigueur.
Ainsi, aujourd’hui, les personnels des cabinets d’avoués sont contraints d’accepter l’inacceptable. Leur situation mériterait que vous fassiez de nouvelles propositions.
À ce propos, je souhaiterais vous demander un éclaircissement. En commission des lois, vous avez indiqué qu’un petit nombre des 380 postes de greffiers inscrits au budget 2010 avait été pourvu et que vous aviez obtenu le report de l’ouverture de l’ensemble de ces postes dans le projet de loi de finances pour 2011. Or, en présentant ce texte à la tribune, vous n’avez parlé que d’une partie de ces postes.
Cela fera donc bien un total de 380 postes ; j’en prends acte, même si cela semble très insuffisant au regard des 1 800 postes qui seront supprimés dans les études d’avoués.
Je conclurai en soulignant que, à ce stade, en ce qui nous concerne, les débats sur la durée de la période de transition détermineront la nature de notre vote final.
 

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Marc
Dolez

Député du Nord (17ème circonscription)
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