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Justice : représentation devant les cours d’appel

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, ce projet de loi illustre parfaitement, et à lui seul, le déséquilibre patent entre les pouvoirs exorbitants de l’exécutif et l’impuissance tout aussi patente du législatif pour l’élaboration de la loi.
Je commencerai par une remarque relative à la méthode. Le Gouvernement s’est abrité derrière la directive « Services » du 12 décembre 2006 pour justifier le bien-fondé de sa réforme. Pourtant, des spécialistes reconnus en droit communautaire ont une analyse opposée à la sienne. Je vous épargnerai leur démonstration, puisque le Gouvernement, la commission des lois et notre rapporteur en ont été destinataires. Je noterai seulement qu’il est bien plus aisé, mais bien moins courageux, de faire endosser à l’Europe la responsabilité d’une réforme qui n’est ni acceptée ni comprise par les premiers intéressés. Si la méthode est éculée, elle n’en est pas moins redoutable : l’Europe a décidé, la France s’incline !
Pour ce qui concerne les priorités du Gouvernement, allons à l’essentiel. Une fois encore, le Gouvernement démontre qu’il n’éprouve aucune gêne pour traiter de manière totalement déséquilibrée les victimes de ses décisions. La suppression de la profession d’avoué touche en effet l’ensemble de l’organisation des études : 433 avoués et 1 852 salariés.
À l’évidence, ce sont ceux qui ont le plus besoin de l’aide du Gouvernement qui sont le plus mal traités par lui : je veux parler des salariés des avoués, et plus spécifiquement des employés non cadres. Selon la CREPA, la Caisse de retraite du personnel des avocats et des avoués, ils seraient 1 687. Ces personnels administratifs sont à 90 % des femmes souvent seules ayant des enfants à charge. Ils effectuent des tâches très spécifiques aux procédures d’appel en matière civile ; leur âge moyen est de quarante-deux ans, et 24 % d’entre eux ont plus de cinquante ans. Pour cette catégorie salariale, à la fois moins diplômée et plus spécialisée dans des tâches juridiques propres à la procédure d’appel, la reconversion professionnelle sera beaucoup plus difficile. Pourtant, le projet de loi ne leur consacre que deux petits articles sur trente-trois ! Ils sont donc les grands oubliés de la réforme, pour reprendre l’expression de Michel Verpeaux, professeur de droit public à l’université de Paris I.
Le devenir des avoués, qui ne comprennent toujours pas la raison de cette réforme et que la disparition de leur profession jette au désespoir, a été, il est vrai, examiné avec une grande attention. Le projet de loi s’attache à garantir leur reconversion professionnelle puisqu’ils pourront exercer les professions d’avocat, d’avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, de notaire, de commissaire-priseur judiciaire, de greffier au tribunal de commerce, d’huissier de justice, d’administrateur judiciaire et de mandataire judiciaire.
La privation de leur droit de présentation sera indemnisée. Cette indemnité, qui s’élevait à 66 % de la valeur de leur office dans le projet de loi initial, a été portée dans un premier temps à 92 % par un amendement gouvernemental. Elle sera à hauteur de 100 % – a-t-on appris ce matin et cela vient d’être confirmé – également grâce à un amendement gouvernemental. Nous nous en réjouissons pour eux, mais vous comprendrez que nous regrettions encore plus que leurs employés n’aient pas été traités avec la même considération.
Pourtant, la suppression de leur emploi sera la conséquence directe d’une décision gouvernementale. Cette perte d’emploi sera d’autant plus traumatisante qu’elle ne sera pas la conséquence d’une faute de leur part. Ils devront changer de métier, avec ce que cela implique, à un certain âge et après une longue expérience, comme perte de repères familiers de travail et comme angoisse.
Leur indemnisation, telle que la prévoyait initialement l’article 14, est une insulte. Quant à leurs possibilités de reclassement, le projet de loi n’aborde même pas ce point. Pour l’indemnisation de leur licenciement économique, le texte prévoyait le double du montant légal fixé par le code du travail, soit, pour un salarié ayant quarante années d’ancienneté, quatorze mois de salaire !
Devant l’iniquité de cette disposition et la colère qu’elle a suscitée, le Gouvernement a revu sa copie, mais l’effort consenti reste décevant, et d’ores et déjà les salariés ont fait connaître leur déception, notamment tous ceux – c’est la majorité – qui ne justifient pas d’une très grande ancienneté et qui seront licenciés.
Concernant leur reconversion professionnelle, le projet de loi est muet. N’escomptons pas que l’ensemble des employés puisse se reconvertir dans les cabinets d’avocats. D’abord parce que le marché est saturé et que cette saturation a été aggravée par la suppression des tribunaux décidée dans le cadre de la carte judiciaire. Ensuite parce que la composition salariale d’une étude d’avoués diffère de celle d’un cabinet d’avocats. Le ratio de salariés par avoué s’élève à 4,95, contre 0,8 pour un avocat.
Or qu’a prévu le Gouvernement pour leur devenir professionnel ? Rien, sinon « un plan de reclassement » qui les mènera de stages en emplois précaires. Le seul engagement concret pris par la nouvelle garde des sceaux, est l’ouverture, dans le projet de budget pour 2010, d’environ 380 emplois qui seront réservés dans les juridictions aux salariés venant des études d’avoués. C’est mieux, mais largement insuffisant et insatisfaisant puisqu’il restera 1 500 salariés qui auront beaucoup de difficultés à retrouver un emploi équivalant à celui que vous leur avez supprimé.
Pourquoi une telle distorsion entre les mesures prévues pour les avoués et celles prévues pour leurs employés ? Je souhaite que le Gouvernement réponde à cette question. Ce souhait devrait devenir une exigence de la représentation nationale ; mais en avons-nous encore le pouvoir ? Ligotés par l’article 40, nous sommes empêchés de proposer les amendements que nous aurions pourtant voulu mettre en débat. Le rapporteur lui-même l’a regretté puisque plusieurs de ses amendements se sont vu réserver le triste sort de tomber sous le coup de l’article 40.
Nous aurions par exemple proposé de revoir l’indemnité de licenciement prévue par l’article 14, ce que le Gouvernement a été contraint de faire sans aller jusqu’à ce qui a été consenti aux salariés des commissaires priseurs.
Nous aurions proposé que l’indemnité de fin de carrière soit versée aux salariés des avoués, bien qu’ils ne puissent pas finir leur carrière au sein d’une étude d’avoué, comme ils l’auraient pourtant souhaité.
Nous aurions proposé que les licenciements réalisés depuis l’annonce de la réforme puissent être pris en considération et que les salariés démissionnaires, du fait et depuis l’annonce de la réforme, puissent bénéficier de ces indemnités.
Nous aurions demandé la mise en place d’un système de préretraite pour les salariés de plus de cinquante-cinq ans.
Nous aurions aussi proposé la mise en œuvre du congé de reclassement tel que défini par les articles L.1233-71 à L.1233-76 et R. 1223-17 à R.1233-36 du code du travail.
Nous aurions déposé un amendement visant à une compensation temporaire de la baisse de rémunération dans l’éventualité où un salarié accepterait un emploi moins bien rémunéré, en vertu des articles R.5123-9 et suivants du code du travail.
Nous aurions proposé de voter l’attribution d’une enveloppe budgétaire d’aide à la mobilité géographique, ainsi qu’à la création d’entreprise et à la reconversion des salariés pour des formations qualifiantes.
Nous aurions également demandé une garantie de la Caisse des dépôts et consignations pour les emprunts immobiliers souscrits sans assurance chômage.
Si nous disposions d’un réel pouvoir législatif, voilà ce que nous aurions pu mettre en débat. Ces amendements n’auraient peut-être pas tous été adoptés, mais ils auraient au moins été discutés. Non : nous ne pouvons, malheureusement, que nous en remettre au Gouvernement pour qu’il répare le préjudice subi par les salariés de son fait, en leur donnant les moyens d’une vraie reconversion professionnelle.
Je terminerai cette intervention par un point qui n’est pas mis en avant par le Gouvernement. Dans l’exposé des motifs, un des arguments censé convaincre de l’utilité de cette réforme est l’économie qu’elle présenterait pour les justiciables, car elle réduirait le coût de l’accès à la justice en appel. Pourtant, c’est bien le justiciable qui financera le coût de cette réforme.
En effet, une taxe – qui serait de l’ordre de 85 ou 300 euros selon la juridiction – sera levée à l’ouverture des nouveaux dossiers d’appel. De plus, de l’avis des praticiens, il n’est absolument pas garanti que cette réforme de la représentation devant les cours d’appel représente un gain pour les justiciables.
Madame la garde des sceaux, les améliorations que vous avez proposées par rapport au texte préparé par votre prédécesseur restent insuffisantes, notamment pour les salariés qui ne justifient pas d’une très grande ancienneté, alors qu’ils sont en majorité dans ce cas. Dans ces conditions, nous ne pourrons voter ce texte en l’état. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
 

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Michel
Vaxès

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