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Fonction publique : La Poste et les activités postales

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, début octobre, du plus petit village au quartier populaire, dans tout le pays, la participation à la votation citoyenne sur l’avenir de La Poste a été massive.
C’est ainsi que 2,3 millions de votants ont exprimé leur attachement au plus ancien et au plus emblématique de nos services publics, et signifié leur refus d’un changement de statut.
L’ampleur de cette mobilisation, d’ailleurs confortée par toutes les enquêtes d’opinion, qui traduisent une opposition résolue à toute privatisation, exigerait que le Gouvernement retire son projet ou, sur un sujet aussi décisif, organise un référendum.
Les Français devraient pouvoir s’exprimer sur l’un des piliers essentiels de la République. La Poste appartient à la nation, c’est à la nation de décider.
Le Président de la République et le Gouvernement s’y refusent pourtant, probablement par crainte de la réponse que le peuple apporterait.
Dès lors, on comprend mieux l’empressement de ce gouvernement à utiliser la procédure accélérée, alors qu’il n’y a manifestement pas d’urgence.
Si l’opposition à ce projet de loi est si forte dans le pays, c’est bien que le changement de statut n’est pas la solution pour assurer l’avenir de La Poste, et que nos concitoyens perçoivent parfaitement les conséquences désastreuses qui vont en découler.
La transformation de La Poste en société anonyme n’est justifiée par aucune nécessité économique ou structurelle. Et, comme vous le savez, pas même la directive européenne du 20 février 2008, de libéralisation totale des activités postales, n’oblige au changement de statut.
La seule justification du changement de statut est en réalité de préparer une future privatisation.
Ce projet de loi vient en effet parachever le travail de démantèlement mis sur les rails par la loi de régularisation postale de mai 2005, qui a ouvert la porte à une dégradation sans précédent du service postal.
Aujourd’hui, vous voulez faire sauter le verrou du statut d’entreprise publique de La Poste, symbole du service public à la française. Oui, faire sauter ce verrou pour pouvoir ouvrir le capital de La Poste lors de l’examen d’un texte de loi ultérieur. Le changement de statut, c’est le chemin inéluctable vers la privatisation, l’avènement des déserts postaux et la disparition du service public.
La société anonyme est en quelque sorte le premier des deux étages de la fusée : la privatisation interviendra plus tard, mais elle n’en sera pas moins réelle, parce que ce qu’une loi met en place peut être défait par une autre loi.
Personne n’a oublié le sort de France Télécom ou celui de GDF, ni les propos définitifs de M. Sarkozy, alors ministre de l’économie et des finances, en avril 2004. Je cite : « Qu’est ce qui nous garantit que la loi ne permettra pas de privatiser EDF-GDF plus tard ? Eh bien, la parole de l’Etat : il n’y aura pas de privatisation parce que EDF et GDF sont un service public ».
Ou encore, et je cite toujours : « C’est clair, c’est simple, c’est net, il n’y aura pas de privatisation de GDF ».
Le Gouvernement emploie aujourd’hui les mêmes mots, et en rajoute même. « Imprivatisable », dites-vous, monsieur le ministre, car La Poste est un « service public national », référence au neuvième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, qui dispose que « tout bien, toute entreprise dont l’exploitation a ou acquiert les caractères d’un service public national ou d’un monopole de fait doit devenir la propriété de la collectivité ».
Mais, vous le savez bien, cela ne change rien car la jurisprudence visée, celle du Conseil constitutionnel dans sa décision de novembre 2006, n’a pas empêché la privatisation de GDF.
Non, les promesses et discours n’y changeront rien. La réalité est que le projet de loi vide le service public national de sa substance, avec le changement de statut mais aussi avec le titre II du projet de loi, qui transpose la directive de février 2008 et met en œuvre l’ouverture totale à la concurrence.
Les effets de cette libéralisation totale seront désastreux, à l’instar des conséquences, que nous mesurons déjà, des directives du 15 décembre 1997 et du 10 juin 2002. Les exemples ne manquent pas en Europe, comme en Allemagne, en Suède et en Espagne, ainsi que l’a brillamment souligné hier mon collègue Daniel Paul.
Un rapport de la Commission européenne a d’ailleurs reconnu, dès l’année 2006, que, dans les régions isolées, l’accès aux services postaux ne pouvait que pâtir de la mise en œuvre des directives de libéralisation.
L’ouverture à la concurrence va immanquablement provoquer un phénomène d’écrémage, le privé ne se développant que pour les zones et clients rentables, autrement dit pour les envois en nombre des entreprises et dans les zones urbaines denses.
A cet égard, je trouve tout à fait significative la stratégie, rendue publique, de la société Alternative Post, cette société basée à Lyon, qui, depuis deux ans, grâce à un tour de passe-passe, distribue du courrier de moins de cinquante grammes, en principe réservé à La Poste, sans d’ailleurs que l’ARCEP lève le petit doigt.
Dans le magazine Lyon Capitale de décembre 2008, la porte-parole de cette entreprise déclare : « Pour s’intéresser aux courriers de grand-mère, il faudrait avoir le réseau de La Poste et ne pas vouloir faire de bénéfices. Pour choisir les implantations, notre entreprise regarde le nombre d’habitants et la densité. Une boîte aux lettres tous les cinq kilomètres, ça ne nous intéresse pas. »
Avec le changement de statut de La Poste en société anonyme, avec la logique de rentabilité qui sous-tend de telles structures pour faire des bénéfices, et avec, à terme, sa privatisation, le poids des intérêts privés sera évidemment déterminant dans la gestion de l’entreprise.
La Poste, société anonyme, devra se soumettre aux exigences de ses actionnaires privés. Les services seront organisés en fonction de leur rentabilité, et non pour répondre aux besoins des usagers. Le statut de société anonyme et la fin du contrôle de l’État vont ainsi aggraver une situation d’inégalité qui existe déjà sur le territoire, notamment en termes d’accessibilité.
Car le contenu même de l’activité postale varie énormément selon la structure proposée, ne serait-ce qu’en raison du statut des agents ou du commerçant, donc des opérations qu’ils sont en droit de réaliser.
Comment faire croire que la présence postale va se trouver renforcée alors même que le changement de statut va contraindre à une plus grande rentabilité économique, indépendamment de son utilité sociale ? Un bureau de poste n’est pas forcément rentable, il est avant tout utile. Avec le seul critère de la rentabilité, ce sont des milliers de bureaux qui seront voués à la disparition. La présence postale dans les territoires ruraux a, comme beaucoup sur ces bancs pourraient en témoigner, déjà reculé depuis plusieurs années, les obligations de La Poste en termes d’aménagement du territoire ayant été allégées par les lois successives et les contrats de services.
Comment La Poste pourra-t-elle garantir le financement des missions de service public, qu’il s’agisse de l’accessibilité bancaire, de la distribution de la presse, du service universel postal ou de l’aménagement du territoire ? Aucune garantie n’est donnée quant à un financement suffisant et pérenne. L’article 2 du texte décline, certes, les missions de service public à la charge de La Poste, et précise que la nouvelle société anonyme contribue, par son réseau de points de contact, à l’aménagement et au développement du territoire. Or, même avec la mention de 17 000 points de contact à l’article 2 bis, le réseau se situe déjà en dessous des exigences d’un service public de qualité.
Il est désormais mis en danger, ce réseau, par le changement de statut et l’absence de consolidation du fonds postal national de péréquation territoriale. Je rappelle d’ailleurs, à ce sujet, que depuis que le processus de libéralisation est entamé, le nombre de bureaux de plein exercice a chuté d’un peu plus de 14 000 en 1999 à 11 400 à la fin de 2008. Parallèlement, le nombre d’agences postales communales et de relais poste n’a fait qu’augmenter.
Ainsi, pour ne prendre que l’exemple des lettres recommandées, si le dépôt se fait dans un relais poste, la preuve du dépôt est envoyée sous enveloppe à l’expéditeur par l’établissement de rattachement dont dépend le relais poste. Dans ce cas, la seule date de dépôt faisant foi est celle qui est saisie par l’établissement de rattachement.
L’usager n’est donc pas traité de la même manière selon que les missions de service public sont confiées à un relais poste ou à un bureau de poste.
Le principe constitutionnel d’égalité devant les services publics ne peut pas être conçu, comme une idée abstraite. Il s’agit des droits de nos concitoyens, de situations concrètes auxquelles sont confrontés plus durement les habitants des zones rurales et des zones urbaines sensibles.
Avec le basculement de La Poste dans le droit commun, les personnels seront également mis à mal. L’emploi de personnels contractuels, qui était une possibilité, va devenir la règle.
En l’absence de convention collective des activités postales, les opérateurs concurrents risquent de pratiquer une politique de dumping social, dangereuse non seulement pour leurs salariés, mais aussi pour ceux de La Poste.
L’inquiétude et les craintes des personnels sont légitimes, tant chez les salariés de droit privé que chez les fonctionnaires. II est vrai qu’avec plus de 50 000 suppressions d’emplois depuis 2002, les postiers ont déjà payé un lourd tribut à la libéralisation des activités postales.
Le changement de statut ne peut qu’aggraver cette situation. Le récent bilan social fait d’ailleurs apparaître des éléments extrêmement inquiétants, notamment une progression des licenciements de plus de 50 % entre 2006 et 2008. En cas de « dégraissage » – je mets naturellement ce mot entre guillemets – plus important, il est probable que les mesures actuelles – non-remplacement des départs et incitation à la démission – ne suffiront plus.
L’année dernière, en 2008, le président de La Poste a déclaré qu’il n’y aurait pas de licenciements économiques collectifs jusqu’en 2012, ce qui ne peut évidemment que signifier que cela est tout à fait envisageable après 2012.
Si aucun argument solide n’est véritablement avancé pour justifier l’abandon du statut d’établissement public industriel et commercial et son basculement vers celui de société anonyme, en revanche les conséquences de ce basculement sont d’ores et déjà identifiables sur le plan social, financier, ou pour le statut des personnels.
Ces conséquences se traduiront par une véritable rupture dans l’organisation de notre service public. À vrai dire – beaucoup d’autres l’ont excellemment rappelé avant moi –, ce changement de statut est surtout dogmatique et vous avez décidé d’engager une bataille idéologique.
Dans ce débat, vous nous trouvez face à vous, parce que votre projet est néfaste, parce que nous voulons la pérennisation d’un véritable service postal, parce que nous voulons une poste forte, engagée au service du développement de notre pays, dans le cadre d’un pôle financier public, au plus près des territoires.
Je vous le dis avec conviction, persuadé d’être entendu, ce soir, sur tous les bancs de la gauche : si, à l’issue de notre débat, votre projet est malheureusement adopté, un gouvernement de gauche digne de ce nom devra rétablir le service public postal. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
 
 

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Marc
Dolez

Député du Nord (17ème circonscription)
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