Interventions

Discussions générales

Exploitation numérique des livres indisponibles du XXème siècle

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. André Chassaigne.
M. André Chassaigne. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’aurai, pour parler de cette proposition de loi, un ton bien différent de celui de mon intervention sur le texte précédent, relatif au droit de grève dans les entreprises de transport aérien, et mon vote également sera différent. Comme l’écrit André Gide dans son Journal, « il est extrêmement rare que la montagne soit abrupte de tous côtés ».
M. Frédéric Mitterrand, ministre. Merci !
M. André Chassaigne. Je précise que cette intervention a été préparée par Marie-Hélène Amiable, que je remplace ce soir. Vous y retrouverez sa connaissance du dossier et le style qui est le sien.
Avec les députés du Front de gauche, nous nous félicitons que notre assemblée mette aujourd’hui un point final à l’examen de cette proposition de loi relative à l’exploitation numérique des livres indisponibles du XXe siècle. Même imparfait, le texte proposé par la commission mixte paritaire, qui s’est réunie le 1er février dernier pour examiner les dispositions restant en discussion, créera en effet un cadre juridique qui nous paraît adapté pour permettre la numérisation de 500 000 à 700 000 livres actuellement indisponibles et qui ne peuvent par conséquent être portés à la connaissance du public le plus large.
Au-delà de la directive que la Commission européenne a adoptée, le 24 mai 2011, sur les seules œuvres orphelines, cette proposition de loi vise donc à résoudre la question plus vaste de la numérisation des œuvres dites « indisponibles ». Elle fait suite à l’accord-cadre relatif à la numérisation et à l’exploitation des livres indisponibles du XXe siècle signé, le 1er février 2011, par le ministre de la culture, le commissaire général à l’investissement, le président du Syndicat national de l’édition et le président de la Société des gens de lettres.
L’indisponibilité en question concerne notamment la production éditoriale du XXe siècle, qui ne fait pas partie des titres du domaine public, lequel couvre la période du XVe au XIXe siècle. Ces œuvres restent donc protégées par le droit d’auteur. Et, tandis que l’essentiel des titres actuels est maintenant édité dans un format électronique natif, certains livres plus anciens ne sont bien souvent pas réédités, car leur exploitation est jugée peu rentable.
En tant que responsables politiques, comment pouvions-nous nous accommoder plus longtemps d’une situation limitant ainsi le rayonnement de la pensée et de la culture, et entravant les possibilités d’enseignement en direction des jeunes générations ?
L’adoption de cette proposition de loi nous semble d’autant plus nécessaire à l’heure de l’émergence du livre numérique, ce nouveau média qui porte l’espoir d’une diffusion renouvelée des savoirs et d’un accès universel à la culture, mais qui, associé aux nouveaux modes de diffusion numérique, contient aussi en germe le risque d’une fragilisation des droits moraux et patrimoniaux des auteurs.
Aussi sommes-nous satisfaits de voir enfin proposer cette protection contre les tentatives de spoliation de certaines sociétés, telle Google, qui, même si elle a été condamnée par la justice américaine, a toutefois massivement numérisé par le passé sans recueillir le consentement préalable des ayants droit. Mais, de l’autre côté du spectre, on trouve aussi de modestes bibliothèques de quartier à qui le droit interdit actuellement la reproduction numérique d’œuvres protégées.
M. Jean Mallot. Vous parlez de la bibliothèque municipale de Saint-Amant-Roche-Savine ? (Sourires.)
M. André Chassaigne. Les députés communistes, républicains, citoyens et du parti de gauche soutiendront donc l’adoption de cette proposition de loi qui entend réconcilier les objectifs de la société de l’information et le droit d’auteur.
Cela sera rendu possible grâce à l’inscription, dans le code de la propriété intellectuelle, d’une gestion collective des droits numériques sur les œuvres indisponibles, assurée par une société de perception et de répartition des droits – SPRD – chargée de régler, de façon paritaire, la titularité de ces derniers entre auteurs et éditeurs.
La base de données publique, dont l’objet sera de répertorier en ligne les livres indisponibles et dont la gestion sera confiée à la Bibliothèque nationale de France, nous paraît être l’outil adéquat Nous nous réjouissons que l’adoption en commission de deux de nos amendements en ait rendu l’accès libre et gratuit, et que n’importe quel citoyen, constatant qu’un livre est indisponible, puisse, en faisant état de ses démarches, en demander l’inscription dans cette base de données.
Nous avons également apprécié de voir lever l’imprécision rédactionnelle qui laissait croire que la possibilité d’autoriser ou de refuser l’exploitation d’une œuvre n’aurait été accordée qu’à ceux qui n’ont jamais cédé leur droit d’édition.
Nous approuvons enfin le choix qui a été fait d’inscrire la définition des œuvres orphelines dans le texte, ce qui nous permet d’anticiper sur la transposition promise d’une directive européenne.
Toutes ces précisions donnent tort à Balzac, qui écrivait dans La Maison Nucingen : « Les lois sont des toiles d’araignées à travers lesquelles passent les grosses mouches et où restent les petites. » Je crois, chers collègues, que, par votre travail, vous avez fait la démonstration qu’on pouvait évoquer, dans un texte de loi, tous les problèmes qui se posent. N’ayant pas participé aux débats préalables, je tenais à le faire remarquer.
M. Jean Mallot. Très bien !
M. André Chassaigne. Notre soutien à ce texte ne nous empêche cependant pas d’en déplorer certaines insuffisances. Elles concernent notamment les garanties accordées aux auteurs.
Nous regrettons ainsi que n’aient pas été adoptés les amendements que nous avions déposés, au Sénat comme à l’Assemblée nationale, pour améliorer les possibilités offertes aux auteurs de s’opposer à la numérisation de leurs œuvres.
Alors qu’aucun accord préalable n’est requis, aux termes du texte proposé par la commission mixte paritaire, auteurs comme éditeurs ne disposeront ainsi que de six mois pour signifier qu’ils souhaitent s’opposer à cette numérisation. Nous avions proposé un délai d’un an qui nous paraissait plus adapté. Et si la Société des gens de lettres a assuré qu’elle se chargera d’informer les auteurs, il ne s’agira pas d’une obligation. Un risque existe donc d’une sorte de confiscation automatique du droit d’auteur, pourtant inaliénable.
Comment ne pas déplorer également le rejet, par la majorité de l’Assemblée nationale, de notre amendement destiné à donner aux auteurs inscrits dans le dispositif les mêmes garanties de rémunération que celles contenues dans la loi sur le prix unique du livre numérique, c’est-à-dire de pouvoir bénéficier d’une rémunération juste et transparente, et pas seulement équitable ?Sachant que notre société a de plus en plus souvent tendance à faire du profit sur le divertissement, au détriment de la création et du droit à rémunération des auteurs et des artistes, il y a plutôt lieu de s’inquiéter.
Nous notons que la rédaction proposée prévoit que le montant des sommes perçues par le ou les auteurs ne pourra être inférieur au montant des sommes perçues par l’éditeur. Espérons que cette disposition apporte un peu d’air aux auteurs, malmenés ces dernières années par un marché en crise mais aussi par des politiques éditoriales qui leur sont de plus en plus défavorables.
Le texte issu des travaux de la commission mixte paritaire affirme par ailleurs la gratuité de reproduction et de diffusion numériques des œuvres indisponibles pour les bibliothèques publiques. Malgré notre souci de préserver l’intérêt général, ce droit, même encadré, nous interpelle, avec la Société des gens de lettres, quant à la création d’une nouvelle exception au droit d’auteur. Si la brèche ouverte n’est pas grande, étant donné que la gratuité ne concernera que les livres indisponibles dont les auteurs et ayants droit n’auront pas été retrouvés dix ans après la première autorisation d’exploitation, il semble que nous ne pourrons faire l’économie d’une réflexion plus approfondie sur ce thème.
Nous nous étions aussi interrogés en commission sur les livres du début du XXIe siècle qui n’ont jamais été proposés sous format numérique natif. Ne faudra-t-il pas un jour permettre à tout auteur qui le souhaite de s’inscrire dans le dispositif que nous allons adopter ? Il s’agirait en effet d’éviter la création d’une distorsion ou d’une rupture d’égalité quant aux possibilités de publicité et de mise sur le marché numérique entre les auteurs dont les œuvres auront été publiées avant le 1er janvier 2001 et les autres.
Pour conclure, je dirai que, si ce texte crée les conditions d’une manne importante pour les éditeurs – dans la mesure où le Gouvernement a proposé d’articuler cette réforme au volet numérique des investissements d’avenir et de l’emprunt national, plutôt que de confier à l’État lui-même le soin de mener cette numérisation –, il ouvre d’autre part des possibilités tout à fait nouvelles pour l’exploitation, dans le respect du droit d’auteur, d’œuvres actuellement indisponibles.
Puisqu’elle fait écho par certains aspects à l’exigence de démocratie culturelle que le Front de gauche entend porter au service de l’humain, les députés communistes, républicains, citoyens et du parti de gauche voteront pour cette proposition de loi. C’est suffisamment rare pour qu’on puisse le souligner. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

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André
Chassaigne

Président de groupe
Député du Puy-de-Dôme (5ème circonscription)
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