Interventions

Discussions générales

Energie : retour des petits consommateurs au tarif réglementé d’électricité et de gaz

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons ce soir, qualifiée de « consensuelle et modeste », vise au maintien des tarifs régulés dans le secteur énergétique jusqu’au 31 décembre 2010.
Il s’agit d’un énième bricolage législatif dans un secteur où les pressions sont fortes pour permettre l’établissement de la concurrence pour les consommateurs particuliers ou les entreprises. Mais nous ne sommes sans doute pas au bout du chemin, puisqu’une nouvelle loi, baptisée NOME, est annoncée pour les prochaines semaines. Et sans doute y en aura-t-il encore après !
Certes, nous avions demandé l’introduction d’un principe de réversibilité lors de l’examen du texte relatif au secteur de l’énergie qui a abouti à la privatisation de Gaz de France. On pourrait donc s’attendre à ce que nous soyons soulagés par le vote de cette loi ; ce n’est pas tout à fait le cas puisqu’en réalité ce texte, qui prolonge le principe de réversibilité, vise non pas à protéger le pouvoir d’achat des ménages, ni la compétitivité des entreprises, mais à donner un nouveau coup de pouce à la libéralisation du secteur. Or cette libéralisation a un peu de mal à prendre.
Je cite notre collègue M. Poniatowski, auteur et rapporteur de cette proposition de loi, lors de son examen au Sénat, pour qui le « principe de “réversibilité” est essentiel pour un réel développement de la concurrence ». Il s’agit d’un « argument commercial majeur » pour démarcher de nouveaux clients. Les nouveaux opérateurs ont « abandonné une grande partie de leur effort commercial » pour démarcher de nouveaux clients, « d’où l’urgence de légiférer. » Cette franchise éclaire quelque peu le débat.
Il est vrai que les chiffres publiés récemment sur la répartition du marché de l’électricité et du gaz démontrent bien les difficultés rencontrées par les nouveaux entrants dans le secteur de l’énergie. Selon la commission de régulation de l’énergie, dans un communiqué de presse du 1er décembre 2009, « au 30 septembre 2009, 1 215 000 sites, sur un total de 29,8 millions, sont en offre de marché en électricité, dont 1 202 000 chez un fournisseur alternatif ».
Un de ces fournisseurs, Poweo, a annoncé une perte nette de 93,5 millions d’euros en 2009 et souhaité l’adoption d’une réforme du marché de l’électricité, sans laquelle l’entreprise serait obligée d’abandonner ses 400 000 clients de détail à l’opérateur historique. Une partie de la clientèle de Poweo est sans doute elle aussi victime de la crise qui a sévi – et continue à sévir – depuis quelques mois.
Un de nos collègues affirmait d’ailleurs lors de la réunion de la commission des affaires économiques à propos de ce texte : « Le débat n’est pas aujourd’hui entre régulation ou absence de régulation. » C’est pourtant là le cœur du problème !
Nous l’avons dit et nous le répétons : les industries de réseau, et par conséquent le secteur énergétique, ne se prêtent pas par leur nature aux mécanismes concurrentiels, en raison des investissements et des entretiens qu’elles supposent, mais aussi, s’agissant en particulier de l’électricité, parce que celle-ci ne se stocke pas.
Or le travail législatif de ces dernières années dans ce domaine a eu pour seul objet, pour unique finalité, l’ouverture du marché. En clair, peu importe que la part des dépenses énergétiques explose dans le budget des ménages ; la seule finalité est l’émergence d’opérateurs privés. Voilà le credo européen auquel nous sommes sommés d’obéir.
Sans faire l’examen avant l’heure du projet de loi NOME, ce texte est dans la même logique, qui prévoit notamment l’attribution d’une part substantielle de la production électronucléaire française aux opérateurs qui en feront la demande. Il s’agit d’une véritable aide publique au privé, qui permettra à celui-ci d’accroître ses marges et d’augmenter les tarifs sans devoir supporter le coût des investissements nécessaires à l’entretien des outils de production, à leur démantèlement ou au traitement des déchets produits.
Cette loi propose en outre de moduler les tarifs réglementés « de façon à inciter les consommateurs à réduire leur consommation pendant les périodes où la consommation d’ensemble est la plus élevée. » Le 19 octobre 2009, le prix de gros du mégawatt électrique est passé de moins de 100 euros à un pic de 3 000 euros. La cause en était une demande importante liée à une baisse de la température, certes, mais aussi au fait qu’EDF déplorait ce soir-là une avarie sur un très important barrage hydroélectrique.
Si cette mesure était adoptée, accepterions-nous que seuls quelques ménages puissent s’offrir du chauffage en période de grand froid ? La réponse aux pics de consommation est-elle dans l’obligation pour l’usager de payer plus cher ?
Les ménages qui ont quitté l’opérateur historique sont souvent ceux qui sont le plus en difficulté et qui n’ont vu, ou n’ont voulu voir, qu’une perspective d’économie à court terme. C’est la même chose pour les entreprises, lesquelles ont été plus nombreuses à faire jouer la clause d’éligibilité, comme on l’a rappelé tout à l’heure. Les difficultés qu’elles ont connues suite à l’augmentation des tarifs a nécessité la mise en œuvre du TaRTAM et justifient sa prolongation jusqu’au 31 décembre 2010.
On nous dit, pour justifier le succès mitigé des nouveaux opérateurs, que les deux tiers des Français ignoreraient la possibilité de sortir des tarifs réglementés. Je pense au contraire que peu l’ignorent, compte tenu des nombreuses campagnes de communication menées à la fois par le Gouvernement et par les fournisseurs privés d’électricité, y compris d’ailleurs celles qui ont été financées par l’opérateur historique. Mais ils considèrent à juste titre que l’électricité n’est pas un produit banal et, surtout, ils sont conscients des dangers liés à la libéralisation, en particulier en ce qui concerne les tarifs. Peut-être ne connaissent-ils pas tout à fait les mécanismes, mais, confusément ou inconsciemment, ils savent tout cela.
En effet, aujourd’hui, même si son coût pèse sur le pouvoir d’achat et particulièrement sur celui des ménages les plus modestes, nous avons une électricité parmi les moins chères du monde, grâce notamment à notre mix énergétique et à sa base nucléaire.
Un document de 2009 émanant de vos propres services, monsieur le secrétaire d’État, l’illustre parfaitement. Il montre qu’en France, pour les ménages, l’électricité était moins chère de 24 % par rapport au Royaume-Uni et à l’Espagne, de 63 % par rapport à la Belgique, de 82 % par rapport à l’Allemagne et de 94 % par rapport à l’Italie. Pour les industries, cela donnait une électricité plus chère de 43 % en Espagne, de 49 % au Royaume-Uni, de 61 % en Allemagne, de 64 % en Belgique et de 108 % en Italie. Voilà des différences de prix qui comptent et qui, pour notre économie, sont autant d’atouts.
Et le dispositif énergétique qui permet cela ne grève pas les finances publiques, bien au contraire, car il permet même de financer, via la CSPE – contribution au service public de l’électricité –, une politique de rachat de l’électricité produite à partir des énergies renouvelables, avec un taux de rentabilité à faire pâlir d’envie n’importe quel trader.
Il permet également de financer le TaRTAM pour les entreprises qui ont cédé aux sirènes de la dérégulation et qui l’ont regretté par la suite. Il reste à espérer, d’ailleurs, que vous ne décidiez pas un déplafonnement de la CSPE, sous prétexte que son montant serait insuffisant compte tenu de la montée en charge des obligations de rachat d’énergies renouvelables, et qu’EDF, qui pallie cette insuffisance, souhaiterait ne plus le faire ! Voilà une question qui est sans doute posée pour les prochains mois et qui pourrait – du moins on peut le craindre – faire partie de vos projets.
Mais ce dispositif nécessite également, du fait notamment de la composante nucléaire, une maîtrise publique totale, condition de la confiance du public dans cette technologie : en aucun cas les considérations financières ne devraient peser sur les impératifs de sécurité. D’ailleurs, rappelez-vous, monsieur le rapporteur, que, voici quelques années, une mission d’information commune de notre assemblée sur la sécurité d’approvisionnement électrique en France soulignait que les enjeux énergétiques du XXIe siècle imposaient une forte maîtrise publique de l’énergie.
Jusqu’à présent, l’Europe n’a pas su mettre en œuvre une réelle politique énergétique. Son seul message, c’est le recours aux mécanismes prétendument régulateurs du marché. On en connaît les résultats, avec les augmentations des tarifs de l’énergie à travers le continent, en même temps que disparaissaient les opérateurs publics et qu’arrivaient les nouveaux opérateurs.
À ce sujet, comment ne pas relever avec intérêt – je l’avais déjà fait au moment du Grenelle – la note de veille publiée au mois d’avril dernier par le Centre d’analyse stratégique, qui en appelle à une réponse politique forte qui, au lieu de s’appuyer uniquement, comme ces dernières années, sur la concurrence, intégrerait la dimension de la sécurité énergétique ? Le Centre d’analyse stratégique a encore beaucoup de chemin à faire ; mais les choses commencent à tourner dans le bon sens. Nous partageons ce constat, et nous notons cette évolution qui reste à confirmer.
Ce texte n’est donc, pour nous, ni consensuel ni modeste. Alors que priorité devrait être donnée à la fourniture, aux particuliers comme aux entreprises, d’une électricité sécurisée au prix le plus bas possible, le libéralisme renverse les choses et érige la concurrence en dogme. Chacun sait pourtant que cela entraîne l’augmentation des prix et fragilise le dispositif de production.
Certains s’en féliciteront sans doute, parce qu’ils comptent sur la hausse des prix de l’électricité pour réduire la consommation. Ce n’est certes pas notre cas. Mais, si nous partageons l’objectif de permettre à tous ceux qui ont quitté les tarifs réglementés d’y revenir, nous ne pouvons accepter
 

Imprimer cet article

Daniel
Paul

Député de Seine-Maritime (8ème circonscription)
Voir cette intervention sur le site de l'Assemblée Nationale

Sur le même sujet

Affaires économiques

A la Une

Thématiques :

Pouvoir d’achat Affaires économiques Lois Finances Développement durable Affaires sociales Défense nationale Affaires étrangères Voir toutes les thématiques