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Economie : réforme du crédit à la consommation

Vous dites, madame la ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi, « vouloir développer le crédit responsable ». Si la raison de ma demande de renvoi en commission tout à l’heure était de nous laisser la possibilité d’étudier d’autres solutions, la crainte de vous voir éprouver quelque difficulté à comprendre et à accepter ce que je vous disais m’a amené à déposer, par précaution, soixante-quinze amendements.
Cela répond à la remarque de M. le rapporteur qui réclamait des propositions. Des propositions, vous en aurez donc et j’aurai le temps de vous les expliquer.
Votre projet, en fin de compte, fait disparaître ce qui est le plus scandaleux, le plus inacceptable et on ne peut pas mettre de côté ces améliorations, même si elles ne traitent pas le fond du problème. Mais si vous supprimez ce qui est le plus détestable pour les personnes qui sont en situation de surendettement, vous contribuez aussi à protéger les banquiers dont l’image est si dégradée. Chaque fois que vous faites apparaître un banquier pour ce qu’il est, c’est-à-dire un usurier, vous ne contribuez pas à la valorisation de son image.
Vous dites également, madame, vouloir « renforcer l’encadrement de la publicité afin de supprimer les pratiques agressives qui empêchent les ménages de prendre un engagement réfléchi lorsqu’ils sont sollicités ». En réalité, vous vous contentez d’attaquer uniquement les formules publicitaires les plus fallacieuses, du type « améliorez rapidement votre pouvoir d’achat ». Or le recours massif aux crédits à la consommation, qui sont, je le rappelle, excessivement chers, provoque des drames humains. L’ampleur inquiétante des phénomènes de surendettement devrait nous inciter, chers collègues, à considérer ce dossier comme une question de santé publique.
Nous ne pouvons en effet accepter que quelques grands groupes s’enrichissent démesurément sur le dos de la santé financière de nos concitoyens en exploitant une faiblesse, le plus souvent passagère. La publicité mensongère et le matraquage permanent s’apparentent à du harcèlement. Les personnes qui connaissent des difficultés de paiement sont souvent tyrannisées par l’agressivité du démarchage. Or, comme le disait le grand auteur portugais Fernando Pessoa : « C’est la liberté de tyranniser, qui est le contraire de la liberté. »
Nous demanderons donc que les publicités à la télévision, à la radio, sur internet, ainsi que le démarchage par téléphone soient tout simplement interdits.
Ce projet de loi vise également à « rendre le crédit renouvelable plus responsable en mettant fin aux pratiques qui en font un crédit permanent qui ne se rembourse pas ou trop lentement ».
Si l’on peut effectivement considérer que cette mesure va dans le bon sens, force est néanmoins de constater que vous méconnaissez totalement la gravité de la situation. Le crédit revolving doit, selon nous, être interdit !
J’entends, bien sûr, celles et ceux qui me disent que l’interdiction de ce crédit, tout comme l’abaissement des taux de l’usure, priverait de fait les ménages les plus modestes de l’accès au crédit, les banques et autres vendeurs de crédits étant obligés de « rémunérer » le risque qu’ils prennent en prêtant à des pauvres en appliquant des taux d’intérêt prohibitifs. Ces pauvres banquiers feraient donc acte de charité quasiment au sens des Évangiles en prêtant aux ménages modestes ! Je vous rappelle à ce sujet le mot de Voltaire, qui avait la dent dure – Voltaire avait l’humour qui mord : « Si vous voyez un banquier se jeter par la fenêtre, sautez derrière lui : vous pouvez être sûr qu’il y a quelque profit à prendre. » (Sourires.) Vous devriez révérer cet homme à genoux car Voltaire était l’un des idéologues de la bourgeoisie s’affirmant à la veille de la Révolution française. Voltaire, qui a participé à la défense de grandes causes, avait bien vu ce qu’était un banquier : une personne uniquement attirée par l’appât du gain, du lucre, de l’enrichissement sans cause, et même de l’enrichissement en dormant, comme aurait dit un Président de la République.
Ces contradicteurs doivent être partisans de la double peine que j’évoquais déjà dans la motion de procédure. En effet, commet appeler cela autrement lorsqu’on voit que les ménages pénalisés par un niveau de salaire indécent doivent en plus supporter les taux d’intérêt les plus élevés du marché ? Il faudrait en réalité parler de « triple peine » puisque, comme le notait le rapport de la Banque de France que je citais, 75 % des personnes surendettées ont été victimes d’un accident de la vie.
Plutôt que d’exploiter la détresse des gens, la solidarité nationale devrait donc jouer en leur faveur. C’est le sens d’un amendement présenté par le groupe de la gauche démocrate et républicaine qui vise à instituer un crédit social, proposé à un taux extrêmement faible par les banques qui contribueraient ainsi à réparer les dégâts qu’elles ont provoqués. J’entends bien ce que peut avoir de choquant pour certains la juxtaposition du substantif « crédit » et de l’adjectif « social » mais, précisément, il s’agit de rompre avec ce qui existe actuellement et qui mène tant de familles à la détresse et à la misère.
Ce crédit social s’adresserait à ceux de nos concitoyens qui, à la suite d’un accident de la vie, auraient besoin d’un petit coup de pouce passager afin de rebondir. Il s’agit d’une mesure fondée sur le principe de la solidarité nationale et inspirée des principes assurantiels qui ont présidé à la création de la sécurité sociale par le Conseil national de la Résistance.
Votre projet de loi, madame la ministre, prétend aussi « renforcer les obligations et les responsabilités des prêteurs, notamment en matière d’évaluation de la solvabilité des emprunteurs ». Là encore, votre texte ne tire pas toutes les conséquences de la situation du pays. Il n’est pas à la hauteur.
Afin de réellement responsabiliser les prêteurs, il faudrait notamment que les banques qui ont accordé un crédit à un emprunteur dont la solvabilité était manifestement insuffisante à la date de conclusion du contrat ne puissent exercer de procédure de recouvrement à l’encontre de l’emprunteur défaillant. Autrement dit, si la capacité de remboursement du client n’a pas été correctement vérifiée par la banque, celle-ci ne pourra réclamer le remboursement de cet argent. Je me permets de vous rappeler l’exemple de cette concitoyenne de Montreuil qui a continué à faire l’objet de harcèlement de la part de sa banque alors que celle-ci connaissait parfaitement les difficultés auxquelles elle devait faire face.
Bien sûr, dès que vous voulez prendre un petit sou à un banquier, celui-ci pousse des cris comme un cochon qu’on va égorger. Mais, rappelez-vous les cartes de crédit. Certains collègues étaient déjà présents dans cet hémicycle dans la période 1997-2002. À l’époque, j’avais fait voter une vingtaine d’amendements antifraude car, vous vous en souvenez, les cartes de crédit étaient très fraudées – elles le sont un peu moins aujourd’hui. Comment avons-nous fait pour convaincre les banquiers de combattre efficacement la fraude, mes chers collègues ? C’est très simple : en mettant la fraude à leurs charges. Cela a été formidable : dès lors, ils ont sécurisé le système beaucoup plus qu’ils n’avaient consenti à le faire auparavant.
Les cartes de crédit portaient déjà une puce et les titulaires d’un compte dans une banque pensaient être protégés par cette puce. Ce que ces personnes ne savaient pas, c’est que, pour certains banquiers, la puce n’avait qu’un rôle décoratif et que le distributeur automatique de billets n’était capable de lire que la bande magnétique.
Par charité, madame la ministre, je tairai le nom du grand établissement que vous avez renfloué en 2008 et qui était le plus coupable de telles pratiques. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Non, il ne s’agit pas du Crédit agricole. Mais ne jouons pas à la bataille navale, sans quoi on finira par identifier le coupable – punition méritée, mais un peu tardive. (Sourires.)
Raisonnons par analogie, madame la ministre. Les banquiers ont fait preuve d’un zèle extraordinaire pour éviter la fraude aux cartes de crédit depuis qu’on en a imputé la charge à leur débit. Je propose donc, monsieur le rapporteur, que, exactement de la même façon, lorsqu’un établissement prête à une personne dont il est prouvé qu’elle est insolvable, le prêt soit à la charge de l’établissement prêteur. La moralisation serait alors très rapide.
Enfin, madame la ministre, par ce projet de loi, vous prétendez accélérer les procédures de surendettement en renforçant les pouvoirs des commissions de surendettement. La réalité, mes chers collègues, la voici : ce texte réduit considérablement le rôle du juge dans les procédures de désendettement. Écarter les juges devient pour vous une véritable obsession : on l’a vu lors de l’affaire HADOPI, où vous avez confié la responsabilité de la répression à des personnes qualifiées – ou dont vous avez décidé qu’elles l’étaient –, en éliminant les juges. Heureusement, le Conseil constitutionnel, plus sage que le Gouvernement, a rétabli une situation plus normale.
Par le présent texte, vous vous attaquez une fois encore à l’institution judiciaire, mettant un peu plus à mal le fonctionnement de l’État de droit. Dois-je vous rappeler que le juge est, dans ces commissions, un garant d’indépendance, d’objectivité et de compétence juridique ? En supprimant le juge, vous faites en réalité un cadeau aux établissements de crédit qui, eux, sont bien représentés dans ces commissions.
Vous prétendez accélérer les procédures de surendettement : vous ne croyez pas si bien dire, car c’est le surendettement de nos concitoyens que vous allez accélérer en limitant fortement les remises de dettes légitimement consenties jusqu’ici. Si votre texte va parfois dans le bon sens, quoique bien trop timidement, c’est sur ce point – le rôle du juge – qu’il va sceller une véritable régression par rapport à la législation actuelle.
Un dernier point, madame la ministre (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) …
Je vous l’ai dit, la répartition des richesses dans le pays vous pose un problème conceptuel. En définitive, le surendettement résulte pour l’essentiel de la ringardise des salaires : les gens ne sont pas payés à proportion du travail qu’ils fournissent effectivement, surtout relativement aux actionnaires.
Mais, madame la ministre, bien que nous dialoguions depuis près de trois ans, je vois que je ne suis pas parvenu à vous convaincre. (Mme la ministre sourit.) Comme je vous l’ai dit, ainsi qu’au Premier ministre, je suis persuadé que cela est dû non pas à de la mauvaise volonté de votre part, mais à un défaut de formation (Sourires), un déficit intellectuel.
Je mets en cause non pas votre capacité intellectuelle – je ne me le permettrais pas, monsieur Dionis du Séjour –, mais les connaissances accumulées : il vous manque le socle formé par la connaissance des bases de l’économie politique, en particulier de la formation de la valeur.
Cela vous conduit à des partis pris qui vont toujours dans le même sens : en faveur du capital et du travail mort plutôt que du travail vivant, comme disait Marx.
Aussi, madame la ministre, ai-je une proposition à vous faire, puisque vous avez saucissonné la discussion, que nous devons reprendre le 1er avril ; j’espère que cette date n’est pas symbolique et que le débat sera aussi sérieux que nous l’escomptons.
On dit que votre capacité de travail est grande, et je ne doute pas que ce que vos maîtres ne vous ont pas appris, vous ne puissiez l’acquérir par vous-même afin d’enrichir notre débat. (Sourires.) Ainsi, vous qui portez la politique économique de notre pays, vous défendrez des propositions justes quant à la répartition des fruits du travail.
Voilà pourquoi, madame la ministre, puisque les petits cadeaux entretiennent l’amitié, je vous offre le livre II du Capital, du grand Karl. (M. Brard remet un livre à Mme la ministre. – Rires sur tous les bancs et applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Ce n’est pas une édition chère : je ne vous l’offre pas sur papier bible !
 

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Jean-Pierre
Brard

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