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Economie : financement public des plans sociaux

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en 2009, un tollé médiatique avait été suscité par le comportement de l’entreprise de textile Carreman, offrant à ses salariés d’être reclassés en Inde dans des emplois rémunérés au salaire local de 69 euros bruts mensuels ! L’indignation d’alors n’a pas suffi à faire prendre des mesures législatives et réglementaires.
Aujourd’hui, en réaction au comportement scandaleux d’un autre patron délinquant en col blanc, l’équipementier automobile américain Molex, les députés du Nouveau Centre prétendent vouloir encadrer le financement public des plans sociaux, proposition de bon sens pouvant faire l’unanimité, mais malheureusement sans réelle portée concrète, ni pour les salariés ni pour l’État d’ailleurs.
Cette majorité, tout acquise à la mondialisation financière sacrifiant l’emploi dans la course aux superprofits, peine décidément à aller au-delà de l’émotion et de la dénonciation, à passer de la parole aux actes, et pour cause. Difficile de moraliser le capitalisme quand, dans le même temps, elle encourage des politiques fiscales et économiques ultralibérales, en soutenant la flexibilisation du marché du travail et l’harmonisation par le bas des normes de droit social.
L’affaire Molex, symbole de ces entreprises rentables et viables qui, au nom d’une logique exclusivement financière, restructurent en reportant sur la collectivité le coût humain, social, économique de leurs décisions, le combat exemplaire des ex-Molex, appellent effectivement à prendre des dispositions qui ne soient pas que d’affichage et de sympathie.
Voilà, en effet, une multinationale qui engrange des bénéfices : 1,2 million d’euros en 2008, année où, pourtant, est prise la décision de fermer le site de Villemur-sur-Tarn, entraînant le licenciement de ses 283 salariés.
Voilà un groupe encore bénéficiaire – 54 millions d’euros au troisième trimestre 2010 – mais qui, depuis la fermeture de l’usine en 2009, après onze mois de conflit, assume ouvertement son refus de remplir ses obligations vis-à-vis des salariés et ses engagements à l’égard de l’État français, en cessant, par mesure de rétorsion, de financer le plan de sauvegarde de l’emploi : 4 millions d’euros sur les 34 millions que devait verser l’entreprise font défaut et dix-neuf salariés n’ont toujours pas perçu leurs indemnités de licenciement, Molex rendant responsables les anciens salariés ayant osé déposer plainte aux prud’hommes.
Très en colère, le ministre d’alors avait parlé, pour qualifier la direction de cette multinationale, de « patrons voyous ». L’État s’est associé à la plainte pour la forcer à poursuivre le financement du PSE. Il a même été demandé à Renault et PSA de ne plus avoir d’échanges commerciaux avec l’équipementier Molex.
Passés ces gesticulations, ce volontarisme de façade, les travailleurs s’interrogent : jusqu’où le Gouvernement et sa majorité sont-ils prêts à aller pour réellement préserver l’emploi, pour refuser de légitimer les licenciements boursiers ou spéculatifs ? Pas très loin, manifestement !
Le soutien des députés du Nouveau Centre nous a fait défaut quand, en 2009, au temps fort de la crise et des destructions massives d’emplois, les députés communistes et du parti de gauche ont défendu une proposition de loi visant notamment à définir plus strictement les licenciements pour motif économique, à interdire les licenciements boursiers, à renforcer le droit de regard de l’administration en la matière et à renchérir le coût des licenciements.
Ces dernières années, la majorité présidentielle n’a pas cherché à mieux encadrer les procédures de licenciement ni à mettre un terme aux inégalités criantes entre les salariés des PME et ceux des grandes entreprises, dont l’accompagnement et les indemnités diffèrent largement en cas de licenciement pour motifs économiques.
Les effets de seuil sont pourtant une réalité préjudiciable aux salariés. Dans les entreprises de moins de cinquante salariés, les licenciements économiques se font sans plan de sauvegarde de l’emploi. Les salariés peuvent être licenciés très vite et en silence, leurs indemnités ne sont pas négociées, elles se limitent au minimum légal. Pas de dispositif d’aide au reclassement : ces salariés peuvent seulement adhérer à la convention de reclassement personnalisé gérée par Pôle emploi, dans des conditions de suivi rendues extrêmement difficiles depuis la fameuse fusion. Rappelons qu’un conseiller suit en moyenne une centaine de licenciés économiques, ce qui fait un total de 280 demandeurs d’emploi par conseiller dans ma circonscription.
Dans les entreprises de plus de cinquante salariés, si les salariés sont couverts par un PSE obligeant l’employeur à proposer des solutions de reclassement interne ou externe, l’accès aux dispositifs d’aide au reclassement varie là encore selon la taille de l’entreprise : bénéfice d’une convention de reclassement personnalisé ou d’un contrat de transition professionnelle pour les salariés d’entreprises de moins de 1 000 salariés, droit au congé de reclassement pour ceux des entreprises de plus de 1 000 salariés.
Épinglés par la Cour des comptes pour leur coût « singulièrement élevé » au regard de leur insuffisante efficacité, les dispositifs de CRP et de CTP manquent d’« équité », bénéficiant à un nombre bien trop limité de licenciés économiques : 36 % seulement – 152 000 personnes en 2009 – et sont en passe d’être unifiés. Permettez-moi de craindre que cela ne soit l’occasion de rogner sur le volet de la sécurisation financière ou sur celui de l’accompagnement renforcé ; le Gouvernement vient bien de décider la diminution de 35 % de l’allocation pour les chômeurs en formation !
Sur ces sujets de la sécurisation de la procédure de licenciement, des parcours des salariés, de l’évaluation de l’efficacité d’outils financés sur fonds publics, comme les cellules de reclassement, du coût de leur gestion, souvent confiée à des opérateurs privés, vous avez été en effet fort peu diserts.
Sans surprise, par contre, vous avez fait preuve d’un volontarisme sans faille lorsqu’il s’est agi de sécuriser les licenciements pour l’employeur, en votant un nouveau mode de rupture à l’amiable du contrat de travail à durée indéterminée, très attendu et réclamé par le MEDEF. Vous vous réjouissez du succès rencontré par la rupture conventionnelle – 190 000 en 2009, 255 000 en 2010. Le nombre de ces ruptures frôlerait les 500 000, selon le dernier pointage de fin janvier ; elles représenteraient désormais 11 % des motifs de rupture de CDI. Dans le même temps, les entrées au chômage consécutives à un licenciement économique ont baissé ; elles représenteraient seulement 3 % en janvier. En 2010, deux fois moins de PSE ont été recensés par rapport à 2009 : 1 195 contre 2 245. C’est la confirmation que la rupture conventionnelle masque les licenciements économiques et permet aux employeurs de contourner les plans sociaux et d’exclure de l’emploi les « quinquas ».
Marginaux, les PSE ? Bien qu’il soit difficile d’appréhender avec précision la réalité des licenciements économiques, 80 % de ceux-ci ayant lieu hors cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi, le législateur est néanmoins plus que légitimé à intervenir en ce domaine.
Comme je l’ai déjà indiqué en commission, les députés communistes, républicains et du parti de gauche saluent les bonnes intentions du texte. Nous partageons le principe de bon sens selon lequel c’est à l’entreprise qui licencie et non à l’État de supporter le coût des mesures contenues dans le plan de sauvegarde de l’emploi dès lors qu’elle est en parfaite situation financière, et a fortiori quand elle affiche des bénéfices conséquents.
Nous sommes par contre circonspects quant à l’apport concret de l’article unique, dans la mesure où il se borne à rappeler un droit de regard de l’autorité administrative, un pouvoir de contrôle qui – je vous le rappelle, chers collègues – existe déjà. La DDTEFP saisie d’une demande de conventionnement ayant pour objet, par exemple, la mise en place d’une structure d’aide au reclassement des salariés licenciés économiquement apprécie l’opportunité de ladite demande en fonction du nombre de salariés concernés, des difficultés prévisibles, de la capacité ou non de l’entreprise à financer cette mesure. L’attribution des aides de l’État dépend d’ores et déjà de la situation de l’entreprise et de ses capacités contributives. Le dispositif envisagé semble donc superfétatoire.
Nous serons particulièrement attentifs au sort que la majorité réservera à l’amendement n° 7 du Nouveau Centre reprenant a minima la proposition que j’avais faite en commission de refuser à une entreprise bénéficiaire toute aide du FNE pour la mise en œuvre de son PSE.
Nous aurions souhaité que la proposition de loi aille plus loin, qu’elle interdise non seulement le financement public des PSE d’entreprises se restructurant uniquement pour améliorer leur compétitivité, et ne justifiant donc pas de vraies difficultés économiques au moment de leur décision, mais aussi les licenciements boursiers, et qu’elle prévoie le remboursement des aides publiques de toute nature perçues les années précédentes. C’est le sens de l’amendement que nous défendrons.
Dans un souci de cohésion présidentielle, probablement, le Gouvernement et l’UMP ont donné un « accord de principe » au Nouveau Centre sur sa proposition de loi, tout en ne se privant pas de douter de son intérêt, après avoir fait remarquer par de nombreux membres de la commission des affaires sociales qu’elle, je cite, « reprenait ce qui existe déjà dans la loi ».
Nous verrons au fil de la discussion de ce texte de bonne conscience, méritant seulement notre abstention, si, chacun prenant ses responsabilités, nous faisons œuvre utile, à partir de l’exemple Molex, en votant notre amendement n° 1 de redéfinition du licenciement économique.
 

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Roland
Muzeau

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