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Economie : création d’un service public bancaire et financier et d’un pôle public financier

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur Jean-Pierre Gorges, représentant unique de l’UMP, dont tous les bancs sont vides aujourd’hui, et que je tiens donc à saluer pour son courage…
En effet, monsieur Chartier ! Je vous salue également… Vous êtes donc deux députés UMP présents en séance.
Je vous salue également, monsieur le ministre, et ce n’est pas vous faire injure que de vous dire que vous n’avez pas compétence en matière d’économie et de budget. Je vous fais néanmoins confiance : je suis sûr que vous rapporterez avec exactitude à vos collègues ce qui se dit cet après-midi à l’Assemblée nationale ! (Sourires.)
Avec cette demande de création d’un pôle public financier, nous sommes au cœur de questions essentielles : celle de la création de la monnaie, celle du crédit et celle de l’utilisation de l’argent. En fait, où va l’argent ? Est-il utile à la société ? Sert-il l’intérêt général ou bien des intérêts particuliers et privés ? Sert-il l’humanité ou une caste de privilégiés ? Tirer aujourd’hui véritablement les leçons de la crise de système que nous traversons impose de répondre très concrètement à ces questions.
Depuis un an, vous vous efforcez de répéter à nos concitoyens qu’après cette crise rien ne sera comme avant. Or, lorsque l’on demande à des personnes qualifiées du monde économique – et que l’on aurait du mal à taxer de cryptocommunisme –, que disent-elles aujourd’hui ? Je n’en citerai qu’une, sinon je serais trop long. Voici ce que dit Mme Dominique Senequier, polytechnicienne, présidente du directoire d’Axa Private Equity : « Rien ne permet de dire que les excès que nous avons connus ne ressurgiront pas. L’origine du problème vient de l’existence de profits très élevés que peuvent réaliser certaines activités des banques ». Elle ajoute : « On observe aujourd’hui un décalage qui peut être choquant entre la culture de Wall Street, l’appauvrissement des populations et un taux de chômage supérieur à 10 % aux États-Unis. »
Mme Senequier évoque les États-Unis, mais c’est exactement la même chose chez nous : on vient d’annoncer que près de 4 millions de personnes, ayant ou non une activité réduite, sont actuellement à la recherche d’un emploi. Et ce chiffre augmente, comme ceux de la fréquentation des Restos du cœur, du Secours populaire et du Secours catholique.
Les inégalités continuent de se creuser. Dans les quartiers populaires de nos villes, le tiers des habitants vit en dessous du seuil de pauvreté.
Pendant ce temps, les banques françaises – avec d’ailleurs plus ou moins de discrétion – annoncent des profits, des dividendes et des bonus en hausse constante, et ce à tel point que le quotidien Les Échos titrait récemment sur « l’insolente santé de la Bourse ».
En fait, tout repart comme avant. Et si l’explication de Mme Senequier n’est pas totalement satisfaisante, elle a au moins le mérite d’appuyer là où ça fait mal : « La spéculation est un instinct primitif de l’homme » ; cela me fait irrésistiblement penser à cette phrase de Jean Jaurès, si juste et actuelle : « L’humanité n’existe pas encore, ou elle existe à peine. »
Vous vous glorifiez d’avoir évité le pire. C’est bien présomptueux ! Car outre la dégradation sans précédent du marché du travail, les banquiers ont déjà repris leurs mauvaises habitudes en matière de spéculation et de rémunérations, et la pompe du crédit n’est pas vraiment réamorcée.
Que restera-t-il de votre politique quand vos plans de relance conjoncturels cesseront, à court terme, de produire leurs effets ? Nous nous retrouverons devant des déficits publics abyssaux, et les marges de manœuvre de l’État comme des collectivités locales seront réduites à la portion congrue. Nous serons, en d’autres termes, placés devant les conséquences désastreuses de votre politique, qui n’aura su faire qu’une chose : s’attaquer toujours davantage aux dépenses sociales utiles à nos concitoyens pour mieux remplir le tonneau des Danaïdes des exonérations et cadeaux fiscaux en tout genre.
Vous n’avez eu de cesse, tout au long de cette année, de nous expliquer que le cœur de votre action – le fameux plan de sauvetage des banques de 360 milliards d’euros – allait permettre de relancer l’économie. Mais les quelque 28 milliards d’euros que l’État a mis à disposition sous forme de prêts, sans compter les milliards accordés sous forme de fonds propres remboursables, n’ont en rien été des instruments efficaces de relance. Les salariés et dirigeants des dizaines de milliers de PME qui ont fait faillite ou sont aujourd’hui menacées peuvent en témoigner. L’augmentation du chômage et de la pauvreté témoignent de votre échec.
Les aides que vous avez accordées sans contrepartie aux banques n’ont en rien permis d’ouvrir le robinet du crédit. Les établissements bancaires ont utilisé cet argent non pas aux fins d’apporter leur soutien aux investissements, mais pour reconstituer leurs fonds propres. De fait, nous le savons, l’engagement pris par les banques d’augmenter leurs encours de crédit de 3 % à 4 % ne sera pas tenu.
Les banques déclarent ne pas pouvoir tenir cet engagement faute de demandes de la part des entreprises, du fait du ralentissement de l’activité. Cet argument est un peu trop facile pour être totalement crédible. Et si vous avez des doutes – et, monsieur le ministre, je tiens à ce que cela soit rapporté –, laissez-moi vous aider à les lever.
Les banques n’accomplissent pas aujourd’hui leur mission de soutien et de développement de l’économie, et certaines moins encore que d’autres. Je n’hésite pas à dénoncer – même s’il pourrait y en avoir d’autres – la Société générale, qui donne le sentiment que prêter à quelques PME représenterait plus de risques que ne lui en ont fait prendre ses traders et l’achat d’actifs pourris aux États-Unis et ailleurs.
Je veux citer trois exemples précis dans ma circonscription et, à moins qu’il n’y règne un microclimat particulier – et vous verrez tout à l’heure que ce n’est pas le cas –, vous pouvez les généraliser et les multiplier.
Soyons précis et concrets. En premier lieu, je citerai le cas d’une société de Vierzon, qui fabrique des presses hydrauliques et qui, à quelques jours près, a évité le dépôt de bilan. Son client, une société suisse, était financé par la Société générale pour l’acquisition d’une machine-outil unique en Europe. Au nom d’une conjoncture économique difficile, de la baisse du chiffre d’affaires de la société en question, la banque s’est retirée – mettant en péril en cascade l’entreprise cliente, le fabricant et les fournisseurs de ce dernier.
Le médiateur de la Banque de France, sollicité par mes soins, s’est entendu répondre par son correspondant au siège parisien de la Société générale que cela ne le concernait pas, car il s’agissait d’un problème entre la filiale suisse de la Société générale et une entreprise suisse. Chacun appréciera !
Deuxième exemple, celui d’une entreprise de la petite commune de Méreau, dans le Cher, spécialisée dans la sérigraphie sur verre et porcelaine : elle rencontre des difficultés de trésorerie ; elle est installée à proximité d’une entreprise appartenant à la même holding, laquelle affiche un chiffre d’affaires en progression de 30 %. Pour poursuivre l’ensemble de ses activités, la holding locale a besoin de 350 000 euros. OSEO et le Conseil régional du Centre garantissent le prêt à hauteur de 35 % chacun, les 30 % restants étant garantis par les dirigeants. Refus de la Société générale, qui se retranche derrière un délai de carence de neuf mois !
Enfin, troisième et dernier cas – mais il pourrait y en avoir des centaines : le refus de la Société générale d’accorder le moindre prêt à une société qui investit 4 millions d’euros, dans laquelle les actionnaires apportent 30 % du capital, ce qui est considérable, avec vingt emplois à la clef. Après des discussions et des échanges, toutes les autres banques sollicitées se sont engagées, parfois, certes, avec difficulté, sauf la Société générale !
Je n’invente strictement rien, et ce n’est évidemment pas l’effet d’un microclimat ! La CGPME fait le même constat : « Près de deux PME sur trois ont besoin de financements ; 78 % de leurs dirigeants estiment être confrontés à un durcissement des conditions d’accès au crédit. » Il y a bien des demandes, ce sont les conditions qui se durcissent ! « Il est parfaitement incompréhensible pour les chefs d’entreprises, ajoute la CGPME, que les banques ne respectent pas leurs engagements ». Voilà la vérité !
Dans ce contexte, notre proposition de création d’un pôle bancaire et financier public n’a rien d’idéologique, comme vous le prétendez. C’est d’abord une question d’efficacité économique. D’ailleurs, les États-Unis et la Grande-Bretagne n’ont-ils pas carrément nationalisé des banques ?
C’est la moitié du système bancaire et financier britannique qui a été nationalisée.
Ce que nous proposons s’appuie sur quatre constats.
D’abord, les banques ont failli et elles sont responsables de la crise. Certes, elles ne sont pas seules : il faut ajouter les gouvernements et toutes les institutions financières. Ensuite, elles ont reçu massivement des aides publiques. Et elles recommencent comme si rien ne s’était passé, et elles spéculent. Enfin, elles ne consentent des crédits qu’au compte-gouttes.
Cela fait beaucoup, et même beaucoup trop !
La question posée n’est effectivement pas d’ordre idéologique, monsieur le ministre, mais bien politique. Nous sommes placés devant un choix politique : il faut avoir le courage de le dire et de s’attaquer à ce problème. Veut-on un système bancaire et financier efficace économiquement et socialement ? Partons-nous du principe que l’argent des banques, c’est l’argent des banquiers ? Ou bien cet argent est-il le fruit du travail de tous et doit-il contribuer à créer du travail pour tous ?
Nous choisissons, nous, la seconde solution.
Les banques doivent devenir les acteurs d’un développement économique pérenne, au service de l’intérêt général, et faire en sorte que le crédit aujourd’hui mobilisé en faveur des activités financières soit réorienté vers l’investissement productif et la création d’emploi. Voilà ce qui, au fond, motive notre volonté de voir notre assemblée se saisir du débat sur la création d’un service public bancaire et financier.
Il faut créer ce pôle, au plan régional mais aussi national, en réunissant l’ensemble des banques et institutions dont a parlé Jean-Jacques Candelier. Il faut allouer des crédits à taux bonifiés, de façon sélective, aux entreprises qui investissent dans la formation et la recherche, aux entreprises qui créent des emplois qualifiés et correctement rémunérés.
La création d’un pôle public financier permettrait de financer l’investissement des entreprises dans l’emploi, la formation et la recherche. Il faut séparer à nouveau les banques de dépôt des banques d’affaires, de façon à permettre aux premières d’exercer de nouveau le rôle qui doit être le leur d’instruments de financement de l’économie.
Voilà deux objectifs fondamentaux si l’on souhaite sortir durablement de la crise et prévenir tout risque de rechute.
Vous nous direz que le cadre européen ne nous permet pas d’envisager de telles réformes, mais nous vous répondrons que non seulement beaucoup peut déjà être fait en termes d’allocation sélective de crédits, à laquelle la Banque centrale européenne ne s’opposerait pas, mais encore qu’il y a sans doute nécessité de relancer le débat à l’échelle européenne sur l’indépendance de la Banque centrale.
Pour l’heure, nous vous invitons à adopter la présente proposition de résolution, particulièrement bien défendue par mon ami Jean-Jacques Candelier, dont l’ambition est d’ouvrir un débat sur une meilleure utilisation de l’argent et une autre répartition des richesses favorable aux hommes et aux femmes, et non à une caste de privilégiés. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
 

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