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Déclaration du gouvernement relative aux partenariats renouvelés entre la France et les pays africains

Pour les députés communistes et ultramarins du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, intervenir sur les relations entre la France et les États d’Afrique est un exercice sans cesse répété. Les partenariats que vous appelez de vos vœux ne seront jamais renouvelés tant que vous n’aurez pas changé radicalement de logiciel.

Car, faut-il vous le rappeler, les États d’Afrique sont formellement indépendants et différents. Nombre d’entre eux recherchent une seconde indépendance dans leur souveraineté politique, économique et financière. Prenez la mesure de cette revendication populaire sur le continent et daignez enfin comprendre à quel point elle vous oblige, en tant qu’ancien État colonisateur, en tant que pays occidental développé et en tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies.

Si, en septembre dernier, le président Macron a décidé d’organiser un débat au Parlement sur le sujet et si vous répétez encore et toujours le même catéchisme franco-français devant nous, c’est que vous êtes sourds et aveugles aux appels des peuples d’Afrique. Il vous faut décoloniser vos imaginaires et vos discours !

Nous, députés communistes et ultramarins, entretenons des liens de fraternité avec des partenaires et des amis d’une multitude d’États africains, que nous écoutons et grâce auxquels nous enrichissons nos réflexions et nos propositions d’action.

Ils nous disent, premièrement, que le franc CFA est mortifère, deuxièmement, que l’aide publique au développement doit être réorientée vers le renforcement des pouvoirs régaliens des États, troisièmement, que l’analyse française des problèmes africains, envisagés uniquement sous les angles sécuritaire et militaire, est une impasse stratégique et politique, quatrièmement, que le respect à géométrie variable du droit international détruit notre crédibilité et qu’il est temps d’en finir.

(Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NUPES. – M. Aurélien Taché applaudit également.)

L’échec majeur de la France postcoloniale, c’est le franc CFA – le franc Pacifique également, mais c’est un autre sujet –, un instrument qui n’a plus aucune légitimité, relique d’un temps révolu aux yeux des peuples africains.

Rendez l’indépendance monétaire à ces États et vous verrez rapidement leur situation évoluer. Ce n’est pas la perfide transformation du franc CFA en éco, proposée par Emmanuel Macron, qui y changera quoi que ce soit, puisqu’elle ne règle rien.

Toute l’économie des États utilisant le franc CFA est aspirée vers la zone euro et entrave le commerce entre les membres de la zone franc CFA. Cette monnaie est donc un instrument utilisé par les entreprises transnationales dans le cadre de fraudes fiscales et pour perpétuer les intérêts d’une petite élite déconnectée des réalités locales. Entre autres chantiers, nous devrions d’ailleurs nous atteler, en coopération avec les États africains, à la lutte contre l’évasion et l’érosion fiscales.

S’agissant de la politique monétaire internationale, la France doit peser de tout son poids pour accélérer la réforme des droits de tirages spéciaux du Fonds monétaire international (FMI). Ce panier de devises doit être mis au service d’un ordre international économique plus juste. Ce serait un premier pas.

Le deuxième pas consisterait à changer votre vision de l’aide publique au développement. Commencez par remiser aux oubliettes la conditionnalité de l’APD au respect de votre politique migratoire, car le vrai problème n’est pas là. Il est qu’au sein des États utilisant le franc CFA, le taux de pression fiscale, c’est-à-dire le poids des impôts dans la richesse nationale, est deux fois plus faible que la moyenne des États de l’OCDE – l’Organisation de coopération et de développement économiques – alors que les besoins y sont immenses. Les États souffrent de trop faibles rentrées fiscales en plus d’avoir été saignés par trois décennies d’application méticuleuse de la doxa néolibérale.

(Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES. – Mme Anna Pic applaudit également.)

Une aide publique au développement efficace devrait servir à renforcer la construction des États et favoriser l’établissement d’administrations fiscales performantes leur permettant de faire leurs propres choix budgétaires et d’utiliser leurs ressources pour les services publics – l’éducation, la santé, la sécurité, les infrastructures routières et énergétiques. Dans cette perspective, les députés du groupe GDR proposent de dédier 10 % du total de l’aide publique au développement française au renforcement des capacités des États et de leurs services fiscaux. Le développement qui résulterait d’une telle mesure émanerait des forces vives du pays au lieu d’être maintenu plus ou moins artificiellement depuis l’extérieur. Notre logique consiste à apprendre aux gens à pêcher plutôt qu’à leur donner du poisson.

Vous pourriez faire un troisième pas en modifiant en profondeur votre politique sécuritaire et commerciale vis-à-vis du continent. L’intervention du Rwanda au Mozambique, à la demande de la France, pour pacifier une région où travaille Total, démontre la vision militariste de notre action sur le continent africain et l’usage utilitariste de l’aide publique au développement. La réaction d’Emmanuel Macron à la suite du coup d’État au Niger cet été, ainsi que la menace d’une guerre menée par la Cedeao, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, encouragée par Paris, relèvent du même réflexe mortifère, en l’occurrence de la crainte de perdre l’accès à l’uranium nigérien, que nous achetons à bas prix.

Les députés du groupe GDR le disent depuis longtemps : il faut engager une révision complète des traités de coopération militaire, ainsi que le retrait des bases militaires dans tous les États du continent. Car on ne combat pas le terrorisme uniquement par les armes, mais aussi par la politique. Partout où ils se trouvent, les entrepreneurs de violence, dont les jihadistes, se comportent comme des mafias : ils créent l’insécurité pour se présenter en protecteurs des populations en profitant du vide des politiques publiques et de la faiblesse des États – une faiblesse que la France a encouragée en subordonnant son aide et sa coopération à la signature d’accords avec la Banque mondiale, avec le Fonds monétaire international et avec le Club de Paris, de tels accords ayant pour but de supprimer des services publics pour rembourser les dettes.

Nous soldons aujourd’hui les comptes de ces errements. Et lorsqu’il y a un coup d’État comme au Mali ou au Niger, dont les instigateurs prétendent reprendre en main la situation sécuritaire, si la France a pour seule réponse des sanctions qui étouffent le peuple sans gêner les nouveaux dirigeants, il est évident que cela n’améliore pas l’image de notre pays. Nous ne soutenons évidemment pas les putschistes, mais nous dénonçons ce réflexe des sanctions, catastrophique pour l’image de la France.

Le quatrième pas qu’il vous faudra faire pour recréer la confiance entre la France et les États d’Afrique consiste bien évidemment à en finir avec votre politique du deux poids, deux mesures en tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies. À ce titre, les parlementaires communistes et ultramarins défendent l’idée qu’il faut régler, par le droit international, toutes les crises actuelles et cesser de tergiverser. La crise au Sahara occidental est une épine dans le pied de la France et dans celui du Maroc. Pourtant, le droit dicte déjà ce qu’il faut faire : un référendum d’autodétermination, comme en ont bénéficié l’ensemble des États de l’Afrique francophone.

(Applaudissements sur les bancs du groupe GDR-NUPES.)

La présence française à Mayotte, issue d’un référendum d’autodétermination déclaré nul et non avenu par les Nations unies, doit être rediscutée pour montrer notre bonne volonté. La situation actuelle n’est pas tenable : il faut construire un avenir commun entre Mayotte et l’archipel.

Ainsi, le fait que la France ne critique pas le troisième mandat illégal du président ivoirien Ouattara, mais condamne le troisième mandat illégal du président guinéen Condé, démontre l’arbitraire de notre diplomatie. Que le président Macron se rende en personne au Tchad, en 2021, pour adouber le fils du président Déby après la mort de son père, au mépris de la constitution tchadienne, n’est pas digne de la France non plus.

Les relations à géométrie variable de la France avec certains dirigeants des pays d’Afrique constituent l’une des raisons principales du rejet de notre pays en Afrique et ailleurs. Mais qu’on ne s’y trompe pas : il ne s’agit pas que de la France ; l’Afrique est l’une des zones de fracture entre le monde occidental et de nombreux autres États. Le dossier israélo-palestinien est aussi un sujet qui concerne l’Afrique. Les violations quotidiennes du droit international par Israël, qui ne sont pas condamnées, sont du pain béni pour les États qui veulent s’attaquer à l’image des pays occidentaux.

Refonder les relations entre la France et les États africains exigera d’écouter leurs besoins, mais aussi d’entendre les jeunesses, qui veulent la liberté et la souveraineté, et surtout pouvoir se former, se soigner, vivre et grandir dans des espaces pacifiés, travailler et se développer dignement.

Si vous faites ces quatre premiers pas et que vous comprenez que c’est aux États africains de prendre leurs propres décisions, vous agirez enfin dans le sens de la paix et d’un partenariat renouvelé entre la France et les États d’Afrique. Changer la politique de la France vis-à-vis de ces États est la seule voie pour lui permettre de retrouver sa crédibilité sur la scène internationale. Notre pays fera ainsi entendre une voix différente, une voix originale, utile et écoutée avec intérêt par les peuples du monde.

(Applaudissements sur les bancs des groupes GDR-NUPES et Écolo-NUPES, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe LFI-NUPES.)

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Jean-Paul
Lecoq

Député de Seine-Maritime (8ème circonscription)

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