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Débat sur les politiques industrielle et commerciale européennes

M. le président. La parole est à M. André Chassaigne.
M. André Chassaigne. Je partage les propos de François de Rugy, mais d’une certaine manière, je conçois que le format de ce débat ne permette pas au Gouvernement d’exprimer autre chose. Vous donnez en effet l’impression, madame la ministre, monsieur le ministre, de vous en tenir à des réponses très pragmatiques et très technocratiques. Nous pouvons toutefois attendre du débat parlementaire une autre vision que celle-ci. Il est normal de vouloir faire avancer une autre conception.
M. Jean Lassalle. Très bien !
M. André Chassaigne. Sinon, tout le monde serait interchangeable. Ceux qui sont au Gouvernement appliqueraient la même politique, quelles que soient leurs sensibilités, quels que soient les discours qu’ils ont tenus avant les élections.
Je comprends que ce débat ne soit pas pour vous le cadre adéquat pour montrer d’autres visions, dont vous êtes aussi sans aucun doute imprégnés, et je comprends aussi vos difficultés pour faire avancer vos idées au niveau européen.
J’aimerais poser une question précise. S’agissant des marchés publics, j’ai trouvé très intéressantes ces avancées obtenues par grignotages. Mais comment vont-elles se traduire dans notre réglementation, dans le code des marchés publics ? Pouvons-nous éventuellement aller plus loin ? Je rappelle que dans le cadre du Grenelle de l’environnement, nous avons réussi à faire inscrire le critère de proximité pour la restauration collective alors même que certains nous disaient qu’il était impossible de le faire figurer dans le code des marchés publics et cela a été une avancée pour nos agriculteurs.
Par ailleurs, j’aimerais savoir si, dans les échanges internationaux, une réflexion est menée sur la prise en compte des coûts externes, même si elle ne se traduit pas immédiatement dans les textes. En dehors des coûts de production, prend-on en considération les coûts pour l’environnement, les coûts pour la biodiversité, les coûts pour le climat ? Ce sont aussi des questions qui peuvent être posées en matière de relations internationales.
J’aimerais également vous interroger à propos du marquage des produits. Je prendrai un exemple que je connais bien : les couteaux. Aux États-Unis, tous les couteaux comportent un marquage d’origine. En Europe, il n’en existe aucun. Les professionnels des arts de la table tentent donc d’obtenir des instances européennes un tel marquage. Il faut savoir si un laguiole est produit à Thiers – où 95 % des laguioles français sont fabriqués – au Pakistan ou en Chine. Ce serait une avancée concrète, qui permettrait d’accompagner notre production industrielle.
M. Jean-Paul Bacquet. Et les thiers ?
M. André Chassaigne. Autre exemple : les brevets. Certains ont plus d’un siècle, ils sont liés à notre histoire, au patrimoine de nos régions, aux savoir-faire de nos territoires. Or, lorsqu’une entreprise est vendue, rien ne s’oppose à ce qu’un produit relevant d’un brevet déposé à l’INPI soit fabriqué à l’étranger. Ne pourrait-on prévoir une forme de protection de ces brevets ? Pourquoi ne pas envisager une telle évolution dans le cadre du projet de loi à venir sur les indications géographiques protégées ?
M. Jean-Paul Bacquet. Vous n’avez pas évoqué les chapelets d’Ambert !
M. André Chassaigne. J’aimerais enfin poser une question à propos du TSCG. Il est prévu dans le cadre du pacte de croissance une hausse de 60 milliards d’euros de la capacité de prêt de la Banque européenne d’investissement grâce à une augmentation de 10 milliards d’euros de son capital, par un effet de levier bien connu des économistes. Ne pourrait-on pas ajouter des critères – et je rejoins ici François de Rugy – et établir des priorités d’action, en fonction de choix politiques ? Je pense en particulier au financement de la transition écologique ou au rééquilibrage industriel entre les pays du Nord et du Sud de l’Europe.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. J’aimerais vous remercier, monsieur Chassaigne, pour votre clarté, votre sincérité et la passion que vous mettez dans vos questions, qui rejoignent certains échanges que nous avons pu avoir lors de la ratification du TSCG.
Vous entendez montrer qu’il n’y a pas de réponse unique aux problématiques du libre-échange, du juste échange et que les ministres apportent des réponses techniques et technocratiques quand il faudrait faire de la politique.
Ainsi, lorsque vous intervenez lors des débats de l’Assemblée nationale pour dire qu’il faudrait un autre ordre économique mondial et une réorientation de l’Union européenne, lorsque vous appelez de vos vœux un renforcement de la protection sociale et environnementale, vous feriez de la politique et nous, lorsque nous sommes autour de la table des Vingt-sept pour faire en sorte que ces préoccupations se traduisent concrètement dans le droit européen, nous ferions de la technocratie. C’est un peu facile, monsieur le député !
Lorsque nous nous battons, afin de maintenir un haut niveau de protection sociale en Europe, pour qu’il soit possible d’empêcher, dans les directives européennes, les offres anormalement basses provenant de pays ne respectant en aucun cas les normes sociales et environnementales, donnant dans le moins-disant social et le moins-disant environnemental et n’assurant aucune protection sociale, nous ferions de la technocratie là où vous feriez de la politique. Non, nous faisons de la politique sérieusement. Nous faisons de politique en faisant en sorte que les principes auxquels nous tenons – le mieux-disant social, le mieux-disant environnemental, la protection de notre industrie, la préservation de notre système de protection social – soient garantis.
Certes, avec Mme Bricq, nous nous employons à dire ce que nous faisons le plus précisément possible parce que c’est pour nous une manière de manifester le respect que nous devons à la représentation nationale, mais, rassurez-vous, cela ne traduit en aucun cas une incapacité de notre part à approcher ces questions autrement que sous forme technocratique.
Cette précision me paraît utile car tous les sujets que nous avons évoqués – la directive sur les marchés publics, la directive sur les concessions, la mise en place d’une politique industrielle assortie d’une réflexion sur la sidérurgie à laquelle les organisations syndicales sont associées – relèvent de préoccupations politiques que nous exprimons autour de la table des Vingt-sept.
Il nous arrive, autour de cette table, de nous sentir plus seuls que nous ne le souhaiterions, et de devoir par conséquent mettre davantage d’énergie que d’autres à convaincre que nos thèses sont justes. En dépit de cela, nous y parvenons, moins vite que nous ne le souhaiterions, mais nous y parvenons.
Ensuite, vous nous interrogez – c’est une préoccupation très juste – sur les conditions dans lesquelles ces 60 milliards de prêts seront utilisés afin de promouvoir de bonnes politiques, qui préservent l’environnement, aident notre industrie et favorisent la croissance.
C’est cette cohérence européenne, à laquelle nous tenons beaucoup même si elle ne va pas de soi, que nous tentons de faire prévaloir. Nous avons tout d’abord clairement indiqué que les projets que nous porterions, au titre des prêts de la Banque européenne d’investissement comme des obligations de projets, devaient concerner l’équipement numérique des territoires, le développement des transports de demain et le développement de la transition énergétique.
Ainsi, et cela vous intéressera directement, monsieur Chassaigne, nous considérons qu’avec les prêts de la Banque européenne d’investissement et les obligations de projets, nous pourrions accompagner le projet de la numérisation du département du Puy-de-Dôme,…
M. André Chassaigne. Il s’agit de la région Auvergne !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. …de la région Auvergne, qui nous a présenté un projet de numérisation du territoire pouvant aider au développement des PME-PMI.
M. Jean-Paul Bacquet. Cela représente 5 millions d’euros par an pendant 24 ans !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Ce projet peut être pris en compte – je ne dis pas qu’il sera retenu par les instances européennes car je ne veux pas « griller » nos chances de l’obtenir en donnant le sentiment que c’est déjà fait, alors que nous présentons le dossier ; mais nous le soutenons.
Nous allons aussi intervenir dans le domaine du développement des énergies renouvelables, et nous serons d’autant plus en situation de le faire que, concernant l’utilisation des fonds structurels européens, il a été décidé de faire émerger une « convergence thématique » plutôt que de procéder à un saupoudrage entre de multiples projets n’ayant pas de cohérence en termes de politique européenne.
Nous faisons désormais en sorte que soient davantage aidés, au titre de la mobilisation de fonds européens, des projets qui entrent dans le cadre des préoccupations de l’Europe 2020, telles que le numérique, le transport propre et le développement des énergies renouvelables. Nous œuvrons ainsi pour que les fonds structurels, les prêts de la Banque européenne d’investissement et les obligations de projets s’articulent dans le financement des projets de l’Union. Telle est la perspective dans laquelle nous nous inscrivons.
Nous cherchons par ailleurs, dans la négociation du budget de l’Union européenne, à obtenir les sommes nécessaires, ainsi que des textes législatifs suffisamment précis pour définir leurs conditions d’allocation. Tel est, en effet, le rôle du Parlement européen, de la Commission et du Conseil, dans le cadre du trilogue, afin que nos objectifs de convergence thématique, c’est-à-dire de cohérence de nos politiques de financement, soient bien prévalents.

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André
Chassaigne

Président de groupe
Député du Puy-de-Dôme (5ème circonscription)

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