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Débat d’orientation des finances publiques

M. le président. La parole est à M. Patrice Carvalho, au nom du groupe GDR.
M. Patrice Carvalho. L’on se souvient que, parallèlement aux discussions concernant le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, ou TSCG, entré en vigueur au 1er janvier dernier, la Commission avait présenté à l’automne dernier deux règlements supplémentaires désignés par le terme Two-Pack.
Ces deux règlements sont entrés en vigueur le 30 mai dernier. Le second nous intéresse particulièrement en ce qu’il établit des règles communes pour évaluer et suivre des projets de plans budgétaires et corriger des déficits excessifs dans les États membres de la zone euro.
C’est ainsi que chaque année, le Gouvernement devra désormais soumettre à la Commission un projet de plan budgétaire pour l’exercice suivant, lequel devra se conformer aux obligations de politique budgétaire prévues au TSCG. Il devra également, tant que notre pays fera l’objet d’une procédure pour déficit excessif, comprendre un « programme de partenariat économique » décrivant les mesures et les réformes structurelles permettant d’assurer un retour durable du déficit sous la valeur de référence de 3 %.
Nous avions dénoncé ces textes comme portant une grave atteinte à la souveraineté budgétaire des États, des parlements et des peuples. Nous avions pointé du doigt la mise en place d’un dangereux carcan « austéritaire ». Nous y sommes.
Il n’est en effet question dans le rapport préparatoire à nos débats que d’ajustement structurel, de solde public, d’effort d’amélioration structurelle des comptes publics, de renforcement de la gouvernance et de pilotage des soldes, de mécanismes de correction, de déficits nominaux et d’objectifs d’équilibre.
Nulle part ne se trouve évoquée la situation concrète vécue par des millions de nos concitoyens, la progression du chômage et de la pauvreté, l’aggravation des inégalités, les difficultés des petites entreprises et des artisans, la paralysie des salaires, la baisse historique du pouvoir d’achat des ménages.
Nous sommes dans un pur exercice comptable, élaboré hors sol, sans lien avec les réponses à apporter à ces situations concrètes. Nous ne débattons pas, comme par le passé, d’orientations budgétaires mais de la seule orientation des finances publiques.
Nous trouvons bien au début du document un tableau de la situation économique actuelle. On nous y rappelle que la production industrielle a reculé dans notre pays de 2,2 % l’an passé et de près de 8 % depuis 2007, que les investissements des entreprises sont en baisse, contribuant à un recul de plus de 20 milliards d’euros de notre PIB, que le pouvoir d’achat des ménages a reculé de 1 %, que notre pays a perdu près de 100 000 emplois en un an.
Mais rien ne vient cependant ébranler la conviction qu’il faut poursuivre sur la voie de l’austérité. On nous explique au contraire, comme chaque année, que tout ira mieux demain ou après-demain.
L’an dernier, à la même époque, ce même rapport d’orientation indiquait que la France renouerait progressivement avec la croissance en fin d’année 2012 puis tout au long de l’année 2013 et que la croissance atteindrait 1,2 % en moyenne annuelle en 2013. On nous assurait qu’il s’agissait d’une « hypothèse prudente reposant sur un scénario de dissipation progressive des tensions financières ».
On sait aujourd’hui que la croissance sera nulle cette année. Mais qu’à cela ne tienne ! L’embellie est désormais annoncée pour 2015, avec un taux de croissance de 2 % par an !
M. Alain Chrétien. C’est Mme Soleil !
M. Patrice Carvalho. Quel crédit accorder à ces hypothèses ?
Le carcan imposé par Bruxelles nous enferme dans une approche dogmatique où le retour à l’équilibre est présenté comme une condition de la croissance alors qu’en réalité, c’est le retour de la croissance seule qui permettra de retourner à l’équilibre.
Vous dites et vous écrivez que le Gouvernement a fait du retour à l’équilibre structurel des comptes publics d’ici à la fin de la législature une priorité. Nous ne pouvons vous suivre dans cette voie. La croissance doit au contraire, selon nous, avoir l’absolue priorité sur la recherche effrénée de réduction des déficits. Les orientations restrictives des politiques budgétaires sont en effet un frein majeur à la reprise de l’activité. Nous venons d’en faire le constat en 2013, mais vous n’en tirez aucune conclusion pratique sinon celle de persévérer dans l’austérité.
C’est ainsi que vous nous annoncez pour 2014 un effort structurel d’un point de PIB, soit 20 milliards d’euros, portant à 70 % sur des économies sur les dépenses, soit 14 milliards d’euros, et à 30 %, soit 6 milliards, sur des prélèvements obligatoires supplémentaires.
Vous proposez ainsi de réformer en profondeur les prestations familiales, les aides fiscales et les services aux familles afin de réaliser une économie de 1,2 milliard d’euros dès 2014, de baisser de 1,5 milliard d’euros les concours financiers de l’État aux collectivités territoriales l’an prochain et enfin de procéder à un ajustement brutal de notre régime de retraite en septembre.
L’an prochain, ce sont aussi près de 3 200 postes de fonctionnaires qui seront supprimés, après 2 300 cette année. Seuls quatre ministères verront leur budget augmenter : l’emploi, le logement, les affaires sociales et, dans une moindre mesure, l’éducation. Mais cela se fera au détriment d’autres ministères, avec des crédits en baisse de 5,4 % pour l’agriculture, 2,8 % pour la culture et 7 % pour l’écologie.
Nous sommes dans une logique de rigueur et d’assèchement dangereuse, qui va peser sur le pouvoir d’achat des ménages, le fonctionnement des services publics et les capacités d’investissement des collectivités territoriales, qui réalisent les deux tiers de l’investissement public dans notre pays.
D’autres mesures sont bienvenues, comme celles visant la fraude fiscale ou la suppression à terme des aides aux entreprises ou des dispositifs d’exonération qui n’ont pas fait la preuve de leur efficacité ou génèrent des effets d’aubaine. Cela tranche avec la politique de multiplication et d’empilement des dispositifs dérogatoires qui a caractérisé le précédent quinquennat.
Nous avons, à l’évidence, besoin de simplification et de dispositifs mieux ciblés. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous contestons le bien-fondé du crédit d’impôt compétitivité emploi, accordé aux entreprises sans distinction, pour un coût de 20 milliards d’euros, et qui sera supporté par nos concitoyens à travers la hausse de la TVA.
Nous aurons de nouveau à débattre de ces questions en octobre lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2014.
Un constat s’impose cependant : la générosité dont il est fait preuve à l’égard des grandes entreprises, y compris les multinationales et les entreprises du secteur financier, tranche singulièrement avec la situation faite à la majorité de nos concitoyens au travers du gel de l’indice des fonctionnaires et de l’absence de tout coup de pouce au SMIC et aux salaires, et au travers des atteintes à notre système de sécurité sociale, à la qualité des services publics et aux finances des collectivités locales, qui sont pourtant un puissant levier de réduction des inégalités.
Si vous vous attachez à demander un effort également réparti, le fait est pourtant que l’austérité n’est pas pour tous. Rien n’est entrepris, par exemple, pour réduire significativement le coût du capital, qui ronge nos économies bien plus sûrement que le coût du travail, que l’on présente, aux côtés de la dépense publique, comme étant à l’origine de tous les maux et qui justifierait de mettre l’accent sur la compétitivité et elle seule.
Une étude réalisée par les économistes du Centre lillois d’études et de recherches sociologiques et économiques à la demande de la CGT et de l’Institut de recherches économiques et sociales a récemment montré que le surcoût du capital était considérable. Une grande part des intérêts et dividendes versés par les entreprises aux prêteurs et aux actionnaires ne correspond à aucun service économique rendu, soit aux entreprises, soit à la société tout entière. Les économistes du Clersé estiment que le montant de cette rente indue, c’est-à-dire la part que représente le surcoût du capital une fois retranchés les revenus financiers qui pourraient se justifier, représentait 95 milliards d’euros en 2011. C’est beaucoup d’argent…
La part de la rente indue est ainsi passée de 13,8 % du total des intérêts et dividendes dans les années quatre-vingts à 70 % aujourd’hui ! Autrement dit, en imposant des retours sur fonds propres de l’ordre de 15 %, les actionnaires et investisseurs institutionnels imposent un surcoût de 70 % aux projets d’investissement sans que cela soit justifié par un quelconque motif autre que la cupidité.
C’est à ce gigantesque gaspillage de richesses, de richesses jamais produites, d’emplois jamais créés, source de dégâts sociaux et environnementaux, que nous devons mettre un terme.
Comme le soulignait récemment l’économiste Laurent Cordonnier, quand le fardeau qui pèse sur toute entreprise en vient à majorer son coût réel de 50 à 70 %, faut-il s’étonner du faible dynamisme de nos économies soumises au joug de la finance ? Il ajoutait que seul un âne pouvait supporter une charge équivalente à 70 % de son propre poids !
Libérer les entreprises, les salariés, la société, les collectivités publiques du joug de la rente, liquider la rente plutôt que nous laisser asphyxier par elle, tel est aujourd’hui l’objectif fondamental que doit se donner la gauche.
C’est à cette ambition collective que nous vous appelons. Austérité et compétitivité sont en effet la conséquence et le ressort d’une logique de mise en concurrence des économies et des peuples qui ne sert au final que des intérêts privés qui n’ont d’autre ambition que d’éviter de se soumettre à l’intérêt général.

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Patrice
Carvalho

Député de Oise (6ème circonscription)

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