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Collectivités territoriales : fonctionnement de la collectivité de Corse

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avant de vous faire part de notre analyse sur le fond de ce texte, je voudrais commencer par un préalable indispensable.
Dès la semaine dernière, nous avons demandé au Premier ministre et au président de notre assemblée le report de l’examen de ce texte tendant à modifier le mode de scrutin de l’Assemblée de Corse.
En effet, contrairement à ce que prévoit la loi du 22 janvier 2002, l’Assemblée de Corse n’a pas été formellement saisie de cette proposition de loi.
Pour mémoire, l’article L. 4422-16 du code général des collectivités territoriales dispose que « l’Assemblée de Corse est consultée sur les projets et les propositions de loi ou de décret comportant des dispositions spécifiques à la Corse ».
Or l’Assemblée de Corse a seulement adopté une motion – même pas accompagnée du texte de la proposition de loi – présentée par un élu de la même sensibilité politique que l’auteur de la proposition, le 16 mars 2009, par vingt-neuf voix contre deux, mais vingt élus n’ont pas pris part au vote puisqu’ils ont quitté l’Assemblée pour manifester leur opposition à ce qu’ils ont considéré à juste titre comme une « parodie de consultation ».
En tout état de cause, force est de constater que la procédure d’usage n’a pas été respectée et que, contrairement aux dispositions de l’article L. 4422-16, l’Assemblée de Corse n’a pas été formellement saisie.
Ce passage en force témoigne du mépris de l’institution et de ses élus et ne saurait en aucun cas se substituer à la procédure de consultation prévue par cet article du code général des collectivités territoriales.
Du reste, je voudrais rappeler que la discussion de cette proposition de loi au Sénat, il y a deux ans, était déjà le fruit d’un passage en force puisque la collectivité territoriale n’avait pas été consultée, ni même saisie d’une motion. Pour seule justification, le rapporteur, M. Patrice Gélard, affirmait, de manière erronée, mais avec un aplomb déconcertant, à la page 22 de son rapport : « La consultation de l’Assemblée de Corse sur la modification envisagée de son mode de scrutin, qui n’est pas légalement obligatoire s’agissant d’un dispositif issu d’une proposition de loi, apparaît cependant nécessaire. »
Un peu plus loin, page 30, je cite toujours : « Par ailleurs, votre commission estime que la consultation de l’Assemblée de Corse sur une modification de son propre mode de scrutin sera rapidement nécessaire, bien que cette consultation ne soit pas juridiquement obligatoire sur un texte d’initiative parlementaire ».
Cette affirmation selon laquelle l’Assemblée de Corse n’est pas obligatoirement consultée sur les propositions de loi comportant des dispositions spécifiques à la Corse est absolument fausse. Il suffit, pour le vérifier, de lire l’article L. 4422-16 du code général des collectivités territoriales, article que les ministres ont d’ailleurs cité.
Les sénateurs étaient donc hors la loi quand ils ont examiné cette proposition. Ils n’étaient même pas dans la situation où nous sommes aujourd’hui, même si l’on peut discuter – et je l’ai fait – des conditions dans lesquelles a été examinée la motion. Ils étaient dans une situation où ils n’avaient pas à discuter de ce texte avant que l’assemblée territoriale ait donné son avis.
Le Gouvernement en avait d’ailleurs bien conscience, puisque, par la voix de son ministre, M. Brice Hortefeux, lors de la séance publique du 13 février 2007, il reconnaissait que ce texte « exige, en effet, une très large concertation avec tous les acteurs concernés, en particulier l’Assemblée de Corse ».
Et il ajoutait : « C’est aussi ce que prévoit la loi, puisque l’article L. 4422-16 du code général des collectivités territoriales dispose que " l’assemblée de Corse est consultée sur les projets et propositions de loi [...] comportant des dispositions spécifiques à la Corse ". Ce sera au prochain Gouvernement de mener ce travail. »
Ajoutons que le secrétaire d’État à l’intérieur et aux collectivités territoriales, M. Alain Marleix, en réponse à une question orale du sénateur Alfonsi, a affirmé, le 31 mars dernier, qu’une des conditions nécessaires pour donner suite à la proposition de loi n’était manifestement pas remplie : celle de trouver un consensus au sein de l’Assemblée de Corse. Il a lui-même reconnu que la motion avait été adoptée dans des conditions insatisfaisantes. C’est le Gouvernement qui parle !
Manifestement, les conditions ne sont pas remplies pour que nous puissions examiner ce texte.
Premièrement, la collectivité territoriale de Corse n’a pas été formellement consultée. Les conditions dans lesquelles son avis a été rendu sont en effet contestables et contestées.
Deuxièmement, le consensus, posé comme une condition par le secrétaire d’État Alain Marleix, n’a pas été trouvé. Car un consensus, ce n’est pas une majorité.
Néanmoins, puisque vous avez décidé d’examiner ce texte au mépris de l’expression démocratique des élus de Corse, j’en viens maintenant à quelques appréciations sur le fond.
La proposition de loi modifie le mode de scrutin pour l’élection des membres de l’Assemblée de Corse par un rehaussement des seuils et par une augmentation de la prime en sièges pour la liste arrivée en tête.
Ainsi, pour accéder au second tour de l’élection territoriale, une liste de candidats devra obtenir 7 % des suffrages exprimés au premier tour, contre 5 % actuellement. Pour fusionner entre le premier et le second tour, une liste devra recueillir 5 % des suffrages. La proposition de loi, amendée en commission la semaine dernière, prévoit enfin que la prime sera triplée pour passer de trois à neuf sièges – et non plus à six – en faveur de la liste arrivée en tête. Il s’agit là d’une augmentation d’autant plus injustifiable que le rehaussement des seuils a, lui, été maintenu. Autrement dit, on a un effet cumulatif : rehaussement des seuils et augmentation de la prime, tout cela pour atteindre les objectifs dont je parlais tout à l’heure. Le texte issu de l’examen en commission est à nos yeux pire encore que le texte initial.
L’objectif visé est, en fait, d’écarter les petites formations politiques afin d’ouvrir encore plus largement la voie à la bipolarisation. En augmentant le seuil qui permettra le maintien au second tour de l’élection à l’Assemblée de Corse, en créant un seuil pour les fusions de listes au second tour et, enfin, en accroissant la prime majoritaire, ces dispositions battent en brèche le pluralisme.
Adoptée en l’état, cette loi tuerait la diversité en remettant en cause l’esprit du statut particulier que la loi de 2002 avait donné à la Corse. Et elle n’aboutirait à rien d’autre qu’à assurer l’hégémonie d’une seule composante. C’est bien l’objectif que vous poursuivez, et le retrait de l’ordre du jour, lundi dernier, de la délibération relative au plan d’aménagement durable en est la parfaite illustration.
Par ailleurs, l’auteur de la proposition de loi explique que, si « l’absence de seuil pour fusionner pouvait se justifier il y a vingt ans pour voir émerger des sensibilités politiques nouvelles, cette cause a aujourd’hui disparu et il est, dès lors, indispensable de porter à 5 % la possibilité offerte à des listes pour pouvoir fusionner. »
Autrement dit, il y a vingt ans, le pluralisme était une nécessité ; aujourd’hui, il appartiendrait aux vestiges de l’histoire. Vaste problème donc, que ce pluralisme, qui mériterait un débat à lui seul.
Pour notre part, c’est une constante, nous ne nous arrangeons pas avec la démocratie, tantôt parce qu’il faudrait favoriser l’apparition de petites formations, tantôt parce qu’il faudrait les faire disparaître. Quand la démocratie souffre de médiocres arrangements, elle n’est déjà plus tout à fait la démocratie.
Notre position, comme celle des élus communistes de la collectivité territoriale de Corse, est de proposer, à l’opposé de cette démarche, un mode de scrutin qui permette l’expression de toute la diversité. Nous sommes donc favorables, et vous le savez, à l’instauration d’un mode de scrutin proportionnel avec une assemblée composée de soixante et un membres. Lorsque l’on ajoute une prime de neuf, il faut en tirer toutes les conséquences pour créer les conditions d’existence de cette pluralité. Or celle-ci n’existera pas, contrairement à ce que vous avez dit, madame la ministre, et nous le vérifierons à la prochaine élection de l’Assemblée de Corse.
Pour éviter que les électeurs ne se sentent floués après un scrutin, il faut, en Corse peut-être plus que partout ailleurs, changer de pratiques politiques et oxygéner les institutions par un apport conséquent de participation citoyenne, de transparence et de démocratie. Cette proposition de loi nous éloigne de cette exigence, elle bafoue les principes républicains, notamment celui qui consiste à ne pas modifier un mode de scrutin dans l’année qui précède l’organisation d’une élection. En effet, plus celle-ci se rapproche dans le temps, plus il devient difficile d’intenter un recours et, le cas échéant, de faire trancher le litige dans les délais.
Nous voterons donc contre cette proposition de loi si elle devait demeurer en l’état, c’est-à-dire si nos amendements n’étaient pas adoptés – moins celui que la commission a retoqué au titre de l’article 40 de la Constitution, pour excès de dépense, ce qui n’est pas dans nos habitudes, monsieur le rapporteur.
 

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Michel
Vaxès

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