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CMP - Pt infrastructures et services de transports

M. le président. La parole est à M. Patrice Carvalho.
M. Patrice Carvalho. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il n’est jamais aisé de se prononcer globalement sur un projet de loi qui comporte une telle diversité de dispositions. Si nous approuvons pour l’essentiel certaines mesures, nous nous opposons résolument à d’autres, ce qui explique le vote négatif que nous avons exprimé en première lecture.
La CMP est parvenue à un accord après avoir examiné les quarante-six articles qui restaient en discussion. Les équilibres du texte ne s’en trouvent pas bouleversés et l’essentiel du débat se sera évidemment concentré sur l’entrée en vigueur de l’écotaxe poids lourds à compter du 1er octobre prochain.
M. Martial Saddier. Peut-être !
M. Patrice Carvalho. Il s’agit d’une disposition du Grenelle de l’environnement votée en 2009, mais restée en plan en raison du dispositif inapplicable envisagé par le précédent gouvernement. Nous ne pouvons que nous réjouir que cette mesure voie enfin le jour. Je rappelle, toutefois, comme l’a fait mon collègue André Chassaigne en première lecture, qu’elle ne réglera pas tout.
Le Grenelle de l’environnement prévoit que les modes de transport alternatif à la route représentent 25 % du fret à l’horizon de 2025. Non seulement nous sommes loin du compte, mais nous ne distinguons pas une volonté politique d’inverser la tendance.
L’écotaxe poids lourds a pour objet d’inciter au report modal, en particulier pour les longs trajets, les plus polluants et les plus accidentogènes mais encore faut-il que les autres moyens de transports soient effectifs.
La prééminence de la route dans le transport des marchandises n’est pas vraiment remise en cause. La tentation du « tout routier » est toujours bien réelle. Elle se déploie au détriment du rail, du ferroutage et du fluvial. Ainsi, le transport routier assure près de 90 % du transport des marchandises et, en dépit de la hausse continue du prix du pétrole, le fret ferroviaire a reculé en France de près de 40 %, passant de 57 milliards de tonnes-kilomètres en 2000 à 34 milliards en 2011. Dans le même temps, la part du transport combiné ferroviaire a diminué d’environ 70 %. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que la route représente 94 % des émissions de gaz à effet de serre du secteur des transports.
Nous avons pris beaucoup de retard dans le développement de la voie d’eau, quand nos partenaires européens dotés d’un aussi grand patrimoine fluvial que le nôtre ont développé le grand gabarit. En France, le transport fluvial représente 7,5 milliards de tonnes-kilomètres contre 64 milliards en Allemagne, 45 milliards aux Pays Bas et 8,75 milliards dans ce petit pays qu’est la Belgique.
De ce point de vue, le report du canal Seine-Nord-Europe, ce maillon manquant pour relier notre pays au réseau fluvial européen, est dommageable, même si nous avons bien compris que c’était à cause du financement prévu, mal ficelé. Il faut impérativement mener à bien ce projet, sans lequel le report modal n’est qu’une imprécation.
Ce dossier est d’ailleurs emblématique si nous considérons l’engorgement de l’autoroute A1 et l’urgence d’agir pour développer les modes de transports alternatifs, au rang desquels figure le transport fluvial.
Nous savons bien pourquoi le « tout routier » a été favorisé. La stratégie des entreprises pour éviter les stocks et développer le « juste à temps » – pour ne pas dire la rotation la plus rapide du capital –, a encouragé à privilégier la route, qui garantit la livraison de porte à porte, mais ce qui est économisé à un bout de la chaîne se paie à l’autre bout en termes de dégradation environnementale, de dangerosité de la route, de coût en investissements et en entretien, en consommation énergétique.
Évidemment, le transport routier demeurera indispensable : les clients sont nombreux, les lieux de livraison dispersés et, bien sûr, ni le train, ni la péniche ne déposera ces marchandises à la porte de l’entreprise, mais l’avenir, pour toutes les raisons que j’ai évoquées, réside dans ce que l’on appelle la multimodalité.
Le rail et le fleuve peuvent délester le réseau routier d’une grande part des camions qui le sillonnent chaque jour, le transport routier n’intervenant qu’à la fin de la chaîne de livraison.
Le développement des autoroutes ferroviaires permet de parcourir de grandes distances sans rupture de charge, améliore la rapidité et la sécurité des trajets. Elles doivent être complétées par une activité fret de proximité avec l’utilisation du wagon isolé, qui ne réserve pas le transport par rail aux seules grandes entreprises capables d’affréter un train entier.
Il faut bien constater néanmoins que les axes de développement fixés par la SNCF ne vont pas dans cette direction. Le wagon isolé représente 42 % du volume du fret ferroviaire et recèle un gros potentiel de développement. Telle n’est pourtant pas l’orientation envisagée puisque cette activité est condamnée à diminuer.
Nous avons donc un problème puisque nous débattons d’un projet destiné notamment à commencer à organiser le report modal, mais dans les faits, ceux qui sont censés y contribuer prennent des dispositions contraires.
J’ai évoqué tout à l’heure la voie d’eau. Quelques données chiffrées méritent d’être rappelées.
En moyenne, un convoi fluvial, soit deux péniches, transporte 5 000 tonnes de marchandises. C’est autant que cinq trains complets et que 250 camions. En outre, il consomme 3,7 fois moins de carburant que la route et pollue quatre fois moins. En termes de coût, le prix moyen d’une tonne de marchandise transportée sur 350 km revient à 12 euros sur une péniche à grand gabarit et à 21 euros par camion. Est-il besoin d’en dire davantage pour montrer que la voie d’eau doit être développée ?
Il est urgent de mettre en correspondance les intentions et les actes.
J’en reviens aux modalités de mise en œuvre de l’écotaxe. Elles se fondent sur une majoration du coût du transport différenciée au niveau régional.
La CMP a permis de trancher plusieurs différends entre le Sénat et l’Assemblée nationale. Ainsi se trouvera donc augmentée la minoration applicable aux régions dites périphériques en raison précisément de leur caractère périphérique.
Deux dérogations sont validées et je m’en réjouis. La première concerne les véhicules de l’État et des collectivités territoriales affectés à l’entretien et à l’aménagement de routes.
M. Martial Saddier. Très bien !
M. Patrice Carvalho. Il aurait été, en effet, paradoxal de taxer ces véhicules alors que la taxe est destinée à assurer en partie le financement de l’entretien des routes. La seconde concerne les véhicules à citerne assurant la collecte du lait, ce qui est également une bonne décision.
M. Martial Saddier. Tout à fait !
M. Patrice Carvalho. Les sénateurs se sont émus du manque à gagner sur les recettes de la taxe. Je me permets d’appeler votre attention sur deux pistes.
L’exonération de la taxe intérieure sur les produits pétroliers consentie au transport routier coûte chaque année à l’État 330 millions d’euros. Je vous invite à les mettre en rapport avec le montant de 1,2 milliard que doit rapporter l’écotaxe poids lourds.
L’ancien gouvernement avait décidé de confier la collecte de l’écotaxe à un partenariat public-privé, c’est-à-dire à la société Ecomouv, filiale d’Autostrade per l’Italia, qui va prélever 230 millions d’euros par an sur plus de dix ans, soit plus de 2 milliards. Nous aurions tout intérêt à confier cette tâche au service public, en l’occurrence au service des douanes.
J’en viens à l’article 23 qui a motivé notre vote négatif en première lecture. Il concerne la régulation du cabotage maritime national.
L’Union européenne a ouvert le transport maritime en 1986, puis le cabotage maritime en 1992 à la concurrence européenne, mais les États membres ne se sont pas mis d’accord sur les critères communs d’immatriculation de leurs navires. Certains ont abaissé leur pavillon au standard international, y compris pour le cabotage européen, instaurant ainsi une concurrence déloyale avec les navires immatriculés en France au pavillon de premier registre.
Conséquence, l’activité et l’emploi maritimes ont été mis à mal en France et la situation s’aggrave, en raison des distorsions de concurrence entre armateurs, avec l’existence en Europe de véritables pavillons de complaisance. C’est de cette manière que la compagnie Corsica Ferries avait raflé à la SNCM les deux tiers du trafic vers la Corse avec des prix cassés.
L’enregistrement sous le pavillon du premier registre français assure un haut niveau de garantie en matière de sécurisation et de droits des salariés. Mais à présent, des entreprises d’armement remplacent des équipages de marins sous statuts nationaux par des marins communautaires ou issus de pays tiers, afin de les employer à bas coût et à des conditions sociales minimales, selon les normes internationales en vigueur.
Ces normes tendent, au final, à devenir la règle en Europe et en France, grâce à la création de pavillons sous registre international. Se dessine ainsi une harmonisation par le bas du secteur maritime sur fond de mondialisation et de libéralisation des échanges. Ces pavillons peuvent afficher des coûts de transports 40 % moins cher. Des navires battant pavillon français peuvent naviguer sans plus aucun marin français à bord et dans des conditions sociales minimales et précaires.
Vous nous dites, monsieur le ministre, que le projet tend à réguler l’anarchie qui s’est installée, mais dans les limites de l’euro-compatibilité – c’est-à-dire qu’en réalité, on ne peut pas réguler grand-chose. La directive Bolkestein, à son origine, instaurait cette jungle en faisant prévaloir la législation du pays d’origine. La levée de bouclier qu’elle a suscitée a conduit à l’amender, de sorte que nous pouvons imposer les règles du pays d’accueil, d’autant plus que le secteur du transport a été sorti du champ de la directive.
C’est pourquoi je maintiens notre exigence d’application de la législation du pavillon français de premier registre aux pavillons circulant dans nos eaux territoriales. Par ailleurs, j’insiste sur l’urgence que la France porte au niveau européen l’exigence de création d’un pavillon européen équivalent au pavillon français de premier registre avec la garantie d’une haute protection sociale aux gens de mer.
Nous maintenons donc notre vote négatif.

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Patrice
Carvalho

Député de Oise (6ème circonscription)

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