Interventions

Discussions générales

Certificats d’obtention végétale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Pierre Brard.
M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui a pour objet de retranscrire dans le droit français la législation européenne relative au système de propriété des variétés végétales. Celui-ci est régi actuellement dans notre pays par les certificats d’obtention végétale. Tout le monde s’accorde reconnaître les avantages spécifiques de ce système. À ce jour, 77 000 certificats ont été enregistrés et l’industrie semencière française se classe première au niveau européen et deuxième à l’échelle mondiale. Les COV garantissent une rémunération du travail de recherche tout en permettant l’utilisation libre et gratuite de toute variété protégée lorsqu’il s’agit de sélectionner une nouvelle variété.
À l’opposé, le système des brevets, en autorisant l’appropriation du vivant à des fins commerciales, a certes permis aux multinationales semencières, telle Monsanto, de se gaver de profits, mais il a en contrepartie mis le couteau sous la gorge de milliers d’agriculteurs. À ce sujet, monsieur le ministre, permettez-moi de vous interroger sur l’état d’avancement des négociations du traité ACTA – l’accord de commerce anti-contrefaçon –, qui n’a pas été évoqué jusqu’à présent. Celui-ci a vocation à régir la propriété intellectuelle en général, dont celle des semences végétales. Au vu du climat actuel, on peut craindre un renforcement du système des brevets et de la propriété du vivant que nous combattons avec force. Qu’en est-il exactement ?
J’en reviens au texte qui nous occupe. Si les COV font consensus, pourquoi alors la proposition de loi a-t-elle soulevé autant de critiques et de résistances dans le monde agricole ? Je pense notamment à l’appel lancé par dix-huit organisations aussi diverses que la Confédération paysanne, ATTAC, Les Amis de la Terre, les Chrétiens du monde rural et la Coordination nationale pour la défense des semences fermières. Cet après-midi, des agriculteurs ont manifesté devant l’Assemblée pour dénoncer ce qu’ils considèrent comme une attaque sans précédent contre les droits fondamentaux des paysans. Vous avez des références historiques, monsieur le ministre : vous comprendrez donc que je regrette le temps de la Convention nationale, quand les gens pouvaient venir eux-mêmes porter leur parole, que les députés étaient obligés d’écouter. Tandis qu’ici, nous sommes enfermés à double tour, ce qui vous permet, monsieur le ministre, mes chers collègues de la majorité, de débrancher vos sonotones pour vous mettre à l’abri de la protestation des paysans.
M. Pascal Brindeau. C’était aussi le temps de la guillotine : il est heureux qu’il soit révolu !
M. Jean-Pierre Brard. Vous savez bien, mon cher collègue, que la guillotine humanisa les pratiques précédentes, et depuis, nous avons encore progressé. Non pas grâce à vous, mais grâce à un certain Robert Badinter…
M. Germinal Peiro. Très juste !
M. Jean-Pierre Brard. …qui défendit le projet de loi sur l’abolition de la peine de mort alors que vos collègues étaient contre.
M. Pascal Brindeau. Pas tous !
M. Jean-Pierre Brard. Mais vous m’avez amené à digresser. Revenons, si vous le voulez bien, au sujet de cet après-midi.
Nous savons d’ores et déjà qu’une refonte de la législation européenne en la matière est prévue pour 2014-2015. N’est-il donc pas quelque peu inutile de faire adopter à la hussarde une législation dont on sait qu’elle sera caduque dans deux ans ? N’est-il pas inutile de braquer ces organisations paysannes à l’heure où l’Union européenne travaille avec elles pour rédiger la nouvelle législation ? La France et son industrie semencière ont bien survécu à vingt ans de vide juridique : nous aurions donc pu largement attendre encore deux ans. Monsieur le ministre, tenez-vous à ce point à ce qu’une loi porte votre nom pour y mettre subitement tant d’enthousiasme alors que personne ne vous demandait rien, en tout cas pas les organisations que j’ai évoquées ? Vous faites le choix du passage en force en présentant un texte sans concertation, totalement inadapté à la réalité de l’agriculture d’aujourd’hui.
L’essentiel de nos critiques se concentre sur l’article 14 de la proposition de loi.
Dans notre pays, 50 % des semences utilisées sont autoproduites par les agriculteurs. Or sur le modèle du blé, vous souhaitez leur imposer le paiement de royalties. Nous ne sommes pas dupes des intérêts que vous servez en faisant adopter une telle proposition de loi. La manœuvre est claire : elle vise à dégager de nouveaux marchés pour une industrie semencière pourtant déjà très rentable. Celle-ci a d’ailleurs fait ses calculs et estime le profit potentiel à 300 millions d’euros. Quel pactole, monsieur Lazaro ! Comment pouvez-vous le justifier ? Je sais bien que quand on aime, on ne compte pas ; mais tout de même, cela fait beaucoup de sous offerts aux monopoles de l’industrie semencière !
Cette opération se fait sur le dos des agriculteurs dont on connaît la situation difficile. Alors que les parlementaires ont voté un abaissement de la fiscalité de 210 millions pour les agriculteurs, vous les soumettez à un nouveau prélèvement de 300 millions. Ce que vous et vos collègues avez lâché de la main gauche, si j’ose dire, vous le reprenez de la main droite – ce qui, après tout, est bien naturel chez vous –, au profit du privé !
Rappelons que 30 % des semences d’orge, 60 % des semences de pois et 80 % des semences de féveroles sont autoproduites – et mon collègue André Chassaigne, beaucoup plus compétent que moi sur le sujet, aurait pu détailler davantage. Après l’adoption de cette loi, les agriculteurs devront payer des royalties sur cette part de leur récolte.
L’argument selon lequel ces taxes serviraient à rémunérer la recherche ne tient pas. Nous sommes déjà très compétitifs en la matière, nul besoin de saigner davantage les agriculteurs. Si votre majorité veut renforcer la recherche, mes chers collègues de l’UMP, qu’elle lui donne les moyens financiers nécessaires, notamment aux lycées agricoles et à l’INRA !
Dans son article 14, cette proposition de loi ne reconnaît que vingt et une espèces autoproduites. Monsieur le rapporteur, vous avez dit : nous allons légaliser les semences de fermes. Quelle drôle de façon de présenter la réalité ! En fait, vous allez réduire à vingt et un le nombre des semences de fermes.
M. Thierry Lazaro, rapporteur. Mais non !
M. Jean-Pierre Brard. C’est très important d’expliquer ce que cache votre phraséologie aux gens qui nous regardent, notamment dans les fermes où, en cette mauvaise saison, des paysans suivent le débat sur internet. Vous aurez des comptes à leur rendre, à ces paysans !
M. Thierry Lazaro, rapporteur. Vous croyez qu’on ne les connaît pas ?
M. Jean-Pierre Brard. Ah ça, pour les connaître, vous les connaissez ! Et vous essayez de les embobiner en leur racontant de belles histoires, certainement parce que nous sommes à la veille de Noël !
M. Yves Censi. Vous essayez de récupérer les bobos de Montreuil qui votent pour les Verts, monsieur Brard !
M. Jean-Pierre Brard. Vous ne pouvez pas dire le contraire : vous limitez à vingt et un, et pas davantage, le nombre des semences de ferme autorisées dans les conditions décrites. Démontrez-nous le contraire !
Pour les autres semences, l’agriculteur autoproduisant sera considéré comme un contrefacteur ; sa récolte sera détruite. Je pense notamment à la culture de la moutarde fourragère ou autre phacélie imposée par l’Union européenne sur les terrains nus pour lutter contre l’azote. Elles ne font pas partie de la liste des vingt et un produits cités. Les agriculteurs seront contraints de les acheter chaque année aux industriels, pour un coût qu’ils ne pourront soutenir.
Votre proposition de loi est inadaptée à la réalité du terrain. En interdisant les échanges, la vente et les dons des semences fermières, vous allez à l’encontre d’une pratique séculaire et vitale pour les paysans. Sans dons ou échanges de semences de ferme, peu d’agriculteurs auraient pu passer sans dommage les épisodes climatiques récents tels que la sécheresse du printemps dernier.
Au-delà de l’économie qu’elles facilitent, les semences de ferme maintiennent sur les exploitations un stock semencier ajustable, indispensable pour réagir au jour le jour aux aléas climatiques, aux destructions par les prédateurs et autres événements imprévisibles.
Dernier point : en vous attaquant aux semences de ferme, vous allez à l’encontre des objectifs du Grenelle de l’environnement en matière de biodiversité et de lutte contre la pollution.
Il y aurait bien d’autres choses à dire, monsieur le ministre. En vous écoutant tout à l’heure, je me disais : « Et pourtant, son ADN est marqué d’une croix de Lorraine ». Je suis en train de relire les mémoires du général de Gaulle, lui qui savait dire « non » même à Roosevelt, même à Churchill. Vous, vous ne savez pas dire « non » à Monsanto.
M. Bruno Le Maire, ministre. Je viens de dire « non » à Monsanto, monsieur Brard !
M. Thierry Lazaro, rapporteur. Vous auriez dû écouter !
M. Jean-Pierre Brard. Décidément, la croix de Lorraine s’est effacée de votre ADN. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

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Jean-Pierre
Brard

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