Interventions

Budget de l’État

Budget : loi de finances 2011

Monsieur le ministre, dans un entretien au journal Le Monde, le 29 septembre dernier, vous avez osé qualifier ce projet de budget pour 2011 de « rupture historique », signe que la densité des mots s’évapore.
Il ne faudrait pas confondre ce projet de loi et le contexte économique et social, à savoir l’explosion du chômage, le montant astronomique du déficit et de la dette publics, la montée, partout dans notre pays et dans tous les secteurs d’activité, du mécontentement et de la colère.
Il ne faudrait pas confondre la crise dont l’ampleur et les effets sont, eux, historiques et l’action du Gouvernement qui, elle, ne l’est certes pas.
Ce projet de budget, mes chers collègues, n’a rien d’historique. Bien au contraire, il porte la marque de la continuité et de l’aggravation. Autrement dit, ce budget est celui de l’entêtement dans une voie qui a déjà détruit autour de 800 000 emplois depuis l’élection de Nicolas Sarkozy.
Quant à la notion de « rupture », elle peut effectivement s’appliquer au contexte dans lequel s’inscrit ce budget. Cependant, il s’agit d’une rupture entre le pouvoir en place et le peuple de France.
Semaine après semaine, jour après jour et aujourd’hui encore, des millions de nos concitoyens descendent dans la rue pour s’opposer à la destruction du droit à la retraite et, globalement, pour empêcher la mise en place de cette société inique que Nicolas Sarkozy appelle de ses vœux.
Désormais, l’ampleur de la contestation est telle que le Président du Fouquet’s, des riches et des privilégiés n’hésite plus à envoyer les forces de police contre les salariés et les enfants, comme cela s’est produit à Montreuil la semaine dernière.
Je sais que pour nombre de policiers et de gendarmes de notre pays se pose aujourd’hui la question de savoir de quel côté de la barrière se situe leur devoir envers la nation.
Ce budget est celui de la continuité, de l’entêtement, de l’aveuglement. En agissant ainsi, vous répondez parfaitement à la situation décrite par les « économistes atterrés », dont j’ai déjà eu l’occasion de citer le manifeste à cette tribune. Monsieur Baroin, vous l’avez sûrement lu, parce que rien ne vous échappe.
Ces économistes écrivent : « La crise a mis à nu le caractère dogmatique et infondé de la plupart des prétendues évidences répétées à satiété par les décideurs et leurs conseillers. Qu’il s’agisse de l’efficience et de la rationalité des marchés financiers, de la nécessité de couper dans les dépenses pour réduire la dette publique, ou de renforcer le "pacte de stabilité", il faut interroger ces fausses évidences et montrer la pluralité des choix possibles en matière de politique économique. D’autres choix sont possibles et souhaitables, à condition d’abord de desserrer l’étau imposé par l’industrie financière aux politiques publiques.
Pourtant, vous ne cessez de répéter qu’il n’y a pas d’autre solution. Un grand sage du XIXe siècle, Friedrich Engels, disait que lorsqu’on n’est pas capable de trouver une solution, cela ne prouve qu’une chose : qu’on a été incapable de la trouver.
Monsieur le ministre, cela s’applique aussi à vous. Vous êtes dans cette situation et, si vous étiez un petit peu marxiste cela vous motiverait, vous doperait pour chercher les solutions que vous n’avez pas été capable de trouver pour l’instant. Votre caractère juvénile vous laisse du temps pour approfondir vos recherches.
Jusqu’à présent, cela n’a pas été votre choix. Après avoir refusé de réformer la finance en adoptant une loi dite de régulation bancaire et financière qui ne régule rien du tout, ce Gouvernement nous propose aujourd’hui un budget qui n’est absolument pas, lui non plus, à la hauteur des enjeux.
Vous ne vous en cachez d’ailleurs pas puisque vous affirmez sans détour dans votre projet de loi qu’il s’agit de « poursuivre les réformes structurelles engagées depuis 2007 ». J’y reviendrai en détail.
Tout d’abord, j’aimerais souligner que ce budget a été construit sur des bases totalement erronées, très loin du réel.
Ainsi, vous affirmez qu’il succède à la « crise internationale majeure que nous avons connue » et qu’il « s’inscrit dans un contexte de reprise de la croissance française ».
Je laisserai les Français juges de la question de savoir si cette affirmation est le fruit de votre ignorance ou d’une affabulation concoctée dans le cabinet noir du service d’information du Gouvernement.
Quoi qu’il en soit, parler de reprise alors que la croissance française a été de 0,6 % au dernier trimestre 2009, et respectivement de 0,2 % et de 0,6 % aux deux premiers trimestres de 2010, est, pour rester convenable, une contre-vérité flagrante.
En ce qui concerne vos prévisions de croissance, tous les économistes – y compris ceux dont vous êtes proches, vos féaux – les qualifient d’irréalistes ou, pour le mieux, de très optimistes.
Ainsi le très libéral économiste Nicolas Baverez estime-t-il dans Le Point du 30 septembre dernier que « le tiers de la réduction du déficit est censé découler d’une croissance estimée par le Gouvernement à 2 %, soit nettement au-dessus du consensus des prévisions, qui table sur une progression limitée à 1,5 % en 2011, cohérente avec le ralentissement observé dans l’ensemble du monde développé ».
Voilà, monsieur le ministre, ce que disent vos propres propagandistes. Après tout, pourquoi les Baverez, Minc et consorts ne seraient-ils pas, pour une fois, dans la vérité ?
Ma deuxième remarque porte sur ce que vous appelez « un grand coup de rabot sur les niches fiscales ». En réalité, il s’agit bien plus d’un coup de « lime à ongles » pour reprendre l’excellente expression de notre collègue Gilles Carrez.
Ainsi, vous vous félicitez d’un gain estimé à 10 milliards d’euros par an. Vous qualifiez une économie de 10 milliards de « rupture historique », d’effort « hors norme », « sans précédent » et de je ne sais quel autre superlatif publicitaire.
En réalité, monsieur le ministre, la suppression de la taxe professionnelle, l’an dernier, coûte plus de 11 milliards d’euros par an et votre laxisme en matière de lutte contre la fraude fiscale prive l’État d’au moins 25 milliards d’euros chaque année.
Rien que dans ces deux domaines, la politique du Gouvernement prive la collectivité de plus de 35 milliards d’euros par an.
Parallèlement à votre fanfaronnade sur les 10 milliards économisés, vous continuez à asphyxier les collectivités territoriales, en leur imposant une véritable cure d’austérité.
Par rapport au budget pour 2010, les prélèvements opérés sur les recettes de l’État au profit des collectivités baisseront – écoutez bien, mes chers collègues de l’UMP – de presque 30 milliards d’euros cette année. Cela est d’autant plus inacceptable et irresponsable que vous vous attaquez aux collectivités uniquement parce qu’elles sont dirigées par des majorités de gauche. La matraque contre la jeunesse et l’asphyxie financière à l’égard des territoires, voilà la considération qu’a ce Gouvernement pour la contradiction et le pluralisme démocratique.
Ce « coup de rabot » n’est donc pas seulement insuffisant, pour reprendre votre formule, il est surtout très mal ciblé. En plus des collectivités, ce seront en effet les classes moyennes et l’activité économique dans son ensemble qui en paieront la note. Ainsi, vous mettez un coup d’arrêt brutal à l’essor encore fragile de l’économie verte en supprimant les aides en faveur du photovoltaïque, vous ponctionnez le pouvoir d’achat des jeunes mariés et des personnes divorcées et vous mettez un coup de frein à l’économie numérique en augmentant la TVA sans avoir exigé, au préalable, que cette hausse ne soit pas répercutée sur les consommateurs.
Monsieur le ministre, si le Président de la République avait vraiment voulu réduire les déficits de la France, il vous aurait été assez facile de nous présenter un projet de budget qui « rabote » réellement les dépenses fiscales les plus coûteuses. Le problème, c’est que ce gouvernement a besoin du déficit pour justifier ses politiques au service des privilégiés. Si vous souhaitiez vraiment réduire les déficits, vous auriez dû commencer par la suppression du bouclier fiscal, qui prive l’État de plus de 700 millions d’euros par an, sans remettre en cause, bien entendu, l’ISF. La suppression du bouclier fiscal n’est donc pas qu’une nécessité symbolique.
Certains ont parlé d’un coup de rabot, d’autres d’un coup de lime tandis que Mme Lagarde a utilisé l’image du couteau suisse.
J’ai amené un rabot, monsieur le ministre, car je pense que vous n’en usez pas souvent.
Comme vous le voyez, un rabot comporte une lame qui, quand vous l’utilisez à bon escient, coupe vraiment. Imaginez-vous en train de raboter la fortune de Mamie Liliane : chaque copeau représenterait plusieurs centaines de millions d’euros.
Si, au contraire, comme le rapporteur général le prétend, vous ne faites que limer, vous voyez que vous ne récupérerez rien sur les grandes fortunes.
Mais si, comme Mme Lagarde l’a avancé, vous usez du couteau suisse, c’est alors très différent parce que, avec un tel couteau, vous extrayez l’os à moelle du morceau de viande, cet os à moelle que vous réservez aux privilégiés.
Monsieur le ministre, vous ne savez pas comment fonctionne un rabot et ceux qui vous ont conseillé la formule ont oublié un détail car il comporte une pièce de bois qui retient la lame : si l’on enlève cette pièce de bois, qu’on retire les lames et qu’on remette en place la pièce de bois, vous avez l’illusion du rabot et vous n’enlevez plus rien du tout sur la fortune de Mamie Liliane. C’est ce que vous pratiquez !
Voilà votre politique, monsieur le ministre. Alain Rodet, qui, à ses heures de loisir, pratique le rabot, sait que j’ai raison.
Vous utilisez, monsieur le ministre, des formules dans les médias pour faire croire que vous avez la volonté de tailler dans les grandes fortunes. En réalité, c’est le pouvoir d’achat des petites gens que vous, non pas limez, mais rabotez carrément. Nous ne pouvons pas vous suivre dans cette voie. C’est ce que les gens vous disent tous les jours ou presque dans les rues de notre pays.
Le rétablissement du taux normal de la TVA dans la restauration rapporterait plus de 3 milliards d’euros par an. Vous qui cherchez toujours des sous, monsieur Mallié, vous n’auriez plus à le faire. Le coût de la défiscalisation des heures supplémentaires représente, selon le Conseil des prélèvements obligatoires, plus de 4 milliards d’euros chaque année. J’ai déjà mentionné la suppression extrêmement coûteuse de la taxe professionnelle et le coût annuel de la fraude fiscale. Le crédit d’impôt-recherche, quant à lui, qui sert avant tout d’outil « d’optimisation fiscale », coûte plus de 2 milliards par an, malgré les louanges adressées à ce crédit par M. Jérôme Chartier.
Beaucoup d’autres mesures restent à prendre pour rétablir les finances de la nation et remettre l’économie au service des hommes. Ainsi, qu’attendez-vous, monsieur le ministre, pour rendre effective la taxe « Tobin » – appelez-la comme vous voulez ? Vous le savez, mes chers collègues, si l’on veut mettre un frein aux mouvements spéculatifs, il faut absolument créer un taux de taxation dissuasif sur les transactions financières.
Voilà des ressources à votre disposition !
Qu’attendez-vous pour définir les critères d’une saine progression du crédit, en fonction du potentiel de croissance de l’économie réelle ? Comme vous le savez, ce sont en partie les politiques inconséquentes de crédit – d’un mauvais crédit de surcroît – qui ne visent que le profit, le plus élevé et le plus « court-termiste » possible, qui nourrissent les bulles spéculatives et provoquent, de plus en plus souvent, des crises systémiques. Quand reconnaîtrez-vous enfin la nécessité d’une nouvelle politique tendant à mettre en place un contrôle public de la dynamique de distribution des crédits par les banques ?
Enfin, qu’attendez-vous pour imposer la transparence aux acteurs de la finance mondiale ? Je vous rappelle, mes chers collègues, que la banque Lehman Brothers, prise dans son ensemble, comptait pas moins de 2 985 entités juridiques différentes.
J’aurais pu détailler davantage les dispositions que vous pourriez prendre. La liste est loin d’être complète mais la question fondamentale est de savoir pourquoi vous ne faites pas les réformes qui, pourtant, s’imposent à tout esprit sensé. La raison est tout simplement que cela ne correspond pas aux desseins du Président de la République. Dans leur excellent ouvrage « Le président des riches », les sociologues Monique Charlot et Michel Pinçon démontrent, à la page 187, que le « sarkozysme, c’est l’argent subvertissant la politique, à un degré jamais encore atteint sous la République ». Et d’ajouter plus loin que « la force de l’oligarchie est énorme », qu’« elle contrôle l’économie, la finance, les médias ». « Ses représentants, écrivent-ils, sont au cœur du pouvoir politique » – ce que vous êtes bien placé pour savoir, monsieur le ministre. Je vous recommande ce livre, que l’on ne peut pas lire en une seule fois tellement les situations qui sont décrites – et qui sont les avatars de la bande du Fouquet’s – donnent la nausée.
Comme vous l’aurez compris, monsieur le président, les députés du groupe de la Gauche démocrate et républicaine s’opposeront à votre projet de budget qui fait payer aux Français la note de la crise et les cadeaux que vous faites aux actionnaires.
 

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Jean-Pierre
Brard

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