Nous examinons, en dernière lecture, un texte « fourre-tout » dont l’unique propos est de nous mettre le plus rapidement possible en conformité avec une quantité impressionnante de directives et de règlements européens, dont certains datent de plus de trois ans. Certaines dispositions n’appellent pas de remarque particulière et recueillent un large consensus, comme les mesures relatives à la protection des droits des consommateurs, à la lutte contre les pratiques commerciales déloyales, au blanchiment ou encore au contrôle des flux d’argent liquide. D’autres font difficulté et auraient nécessité un débat beaucoup plus approfondi.
C’est le cas de la transposition des directives visant à réduire les coûts et les obstacles pour les gestionnaires de fonds et les investisseurs dans l’espace européen, et plus encore de la directive relative à la transparence des aides d’État à caractère fiscal. En effet, cette dernière ne vise pas à ce que les citoyens et les acteurs économiques soient informés de manière transparente de l’argent public et des allégements de charges dont bénéficie telle ou telle entreprise : elle a en réalité pour objectif de mieux identifier et contrôler les potentielles atteintes à la libre concurrence, et à éviter que l’État ne vienne en soutien, par des mesures ciblées, aux secteurs industriels en péril. Ce contrôle accru du respect des sacro-saintes règles de la concurrence traduit la volonté de persister, malgré la crise et quoi qu’il en coûte, dans une fuite en avant libérale.
Nous sommes également surpris de retrouver, dans ce projet de loi, la transposition de deux directives européennes de 2019 relatives aux droits d’auteur et aux droits voisins, qui visent à mieux protéger les droits des auteurs dont les œuvres sont diffusées sur des plateformes. Ces directives, en responsabilisant les fournisseurs, leur confient un pouvoir de censure automatisé qui pose question. Le sujet mériterait, là encore, un débat approfondi. Le Parlement ne saurait confier au Gouvernement, au détour d’un texte comme celui-ci, le soin de négocier avec les grandes plateformes sur des sujets qui intéressent la protection et l’exercice des libertés publiques.
Les modalités de contribution des services de médias audiovisuels et des plateformes de vidéo par abonnement à la production d’œuvres n’ont pas non plus vocation à être décidées par décret, sans débat.
L’Assemblée a cru bon de supprimer, en première lecture, un article adopté à l’unanimité par le Sénat, qui reprenait lui-même une proposition de loi votée par les sénateurs. Ces derniers proposaient un nouvel encadrement des géants du numérique, à travers trois grandes dispositions : la neutralité des terminaux, l’interopérabilité des plateformes, et le renforcement du contrôle des concentrations afin d’appréhender les acquisitions dites prédatrices. Vous avez souhaité supprimer cet article. En d’autres termes, après avoir refusé tout moratoire sur les implantations d’Amazon, vous souhaitez montrer patte blanche aux géants du numérique, servant ainsi des intérêts qui ne sont pas conformes à l’intérêt général.
Malheureusement, comme nous l’avons dit et répété au cours de la navette, le format démesuré du texte, sans cesse amendé par le Gouvernement, ne permet pas à l’Assemblée de conduire un débat digne de ce nom et d’exercer pleinement ses prérogatives. Vous nous avez réduits de manière caricaturale au statut de chambre d’enregistrement. C’est de plus en plus fréquemment le cas, et nous jugeons ces méthodes de travail inacceptables. Pour ces motifs, les députés du groupe de la Gauche démocrate et républicaine voteront contre ce texte.